Parler de « grand » ou « petit » projet, comme c’est l’usage, n’a aucun sens, tout est question de proportions. Un autre critère de comparaison pourrait-il être l’impact d’un projet par rapport à son environnement : est-ce qu’il fait du bien ? est-ce qu’il fait du mal ? L’impact d’une tour à La Défense n’est pas le même que celui de la même tour ailleurs dans Paris et la même école n’aura pas la même influence sur son environnement selon qu’elle est construite à Paris ou dans une petite ville.
Les architectes sont prompts, et Chroniques s’en fait régulièrement l’écho, à dénoncer l’impéritie, sinon l’incompétence des élus. Mais là encore, il est question de proportions, la maire de Paris peut prendre une décision qui n’aura qu’un impact marginal sur les élections quand la même décision prise par la maire d’un village peut justement lui coûter les élections…
Il y a pourtant des maires et des architectes heureux de leur rencontre, dont les projets ne doivent rien ni à la taille ni au budget en termes d’impact.
Prenons par exemple Nadine Wendling,1ère adjointe chargée des travaux et du développement durable à la mairie de Neuvecelle, une petite commune en pente de 3 000 habitants jouxtant Evian-les-Bains en Haute-Savoie. Ingénieur agroalimentaire de profession, 40 ans, elle raconte la croissance démographique scolaire de la ville, le besoin d’un espace sportif pour l’école, d’une nouvelle médiathèque, d’un restaurant scolaire aux normes, etc. Son plaisir à présenter l’équipement aux journalistes exogènes en goguette est manifeste.
« Nous tenions à garder l’école dans le centre afin de conserver au mieux sa vocation d’équipement public », dit-elle. Le centre, c’est un bien grand mot pour l’observateur débarquant de Paris. Certes l’équipement occupe bien un point central, surplombé au sud par un petit quartier urbain doté de commerces et environné de solides maisons individuelles savoyardes, elles-mêmes entourées de leurs terrains généreux avec vue au nord sur le lac Léman et, au-delà, la Suisse.
Le défi était celui de l’intégration, en ‘ville’ donc, d’un équipement devant répondre à des besoins multiples. A l’issue du concours en 2015, le projet d’Atelier PNG* (Pedro Petit, Nicolas Debicki, Grichka Martinetti), avec les ateliers Emilien Robin architecte et Julien Boidot, est lauréat. « Ce projet était très différent des autres, comme un village dans un village, et nous permettait de garder notre identité », explique l’élue.
A propos du concours. Le programme portait sur un seul bâtiment mixte regroupant tous les usages. Atelier PNG ne pouvait s’y résoudre. A Saint-Barthélemy-de-Séchilienne, en Isère, l’agence avait déjà rassemblé sur un même site des usages techniques, administratifs, éducatifs et culturels au travers d’un programme éclaté en plusieurs bâtiments. A Neuvecelle, une évidence similaire s’imposait ; plutôt qu’un objet peut-être hors de proportions, au risque du geste architectural qui ne sert que son auteur, l’agence a décomposé le programme en autant d’éléments articulés ensemble de manière cohérente puis, pour plus de clarté, a proposé un contre-projet entièrement dessiné à la main, à l’encre de Chine. Effet garanti ! Par ailleurs, influence de la Suisse toute proche, la ville a fait réaliser de l’autre côté de la frontière les maquettes blanches et anonymes des trois projets en lice. Unanimité du jury donc.
A partir de là, tout restait à faire. Le budget de 10M€ est bouclé avec un petit soutien de la région, de l’Etat et de la DRAC – cf les différents usages – mais constitué pour l’essentiel (65%) par les fonds propres de la ville, le reste correspondant à un emprunt. Bref, pour une commune de cette dimension, ce projet construit le temps d’un mandat est un énorme investissement financier et humain et aura un impact durable sur le fonctionnement de la commune. « Nous sommes une petite équipe, nous avons vécu de près une formidable aventure », indique Nadine Wendling, l’adjointe. A noter dans cette petite équipe la présence d’Hervé Lachat, 54 ans, 2ème adjoint, chargé du Cadre de Vie et de l’Urbanisme, de profession Architecte Paysagiste à Genève. Comme quoi la présence d’un architecte dans un conseil municipal ne gâche rien.
La suite est une couture dans la pente des différents équipements, de différents espaces, d’accès diversifiés aux bâtiments, le tout organisé logiquement autour d’une sorte de rue intérieure traversant le site de part en part. Nombreux sont ainsi les passages protégés, publics ou non, qui offrent des accès intérieurs et extérieurs vers la médiathèque, le restaurant, les salles de classes et cours de récréation.
L’entrée publique du gymnase est au point haut, opportunément placé près du parking des commerces, l’entrée de l’école des grands est au point bas. Il y a un parvis public, un parvis intergénérationnel, un parvis protégé pour l’école. Il y a des raccourcis, des chemins de traverse qui montent ou descendent. Certes, rien de mystérieux quant à l’analogie pour chaque bâtiment avec les archétypes locaux mais comment faire autrement quand quasiment tous les espaces donnent sur le lac et/ou le grand paysage de la montagne ?
De fait, de nouveau l’influence de la Suisse se fait sentir. La clôture de l’école fait 1,30m de haut, pas trois ou quatre mètres et PNG fait ici la démonstration qu’il est possible de concevoir une école où les enfants sont protégés sans pour autant la transformer en bunker. Avis aux normalisateurs à tout crin abrités sous leurs grands parapluies.
Autre originalité, il s’agit bien d’un équipement, pas d’une somme de bâtiments et par exemple la technique ainsi que la sécurité incendie ont été gérées en commun, dans un projet global. Idem pour le parcours de l’eau, qui traverse tout le site pour se jeter dans une mare pédagogique. A Evian, l’eau est certainement précieuse. Noter d’ailleurs ici le travail de Jérémy Huet (L’Atelier des Cairns), le paysagiste du projet, puisqu’il y avait autant d’espaces à composer dehors que dedans.
Conforme à sa pratique, PNG est parvenu à faire travailler les gens du coin. « Pour certains, c’était leur plus gros chantier, ils se sont pris au jeu et ont voulu bien faire », souligne Grichka Martinetti (PNG), citant notamment plus de 100 menuiseries en bois massif. Les tuiles récupérées de la démolition ont été posées en toiture d’une extension de l’école maternelle, créant ainsi une subtile continuité entre l’ancien et le nouveau.
Enfin, ce qui n’était pas attendu dans le programme, l’ancien bâtiment de l’école, finalement réhabilité et décloisonné par PNG est devenu un espace périscolaire offrant à l’équipement une encore plus large souplesse d’utilisation. Un espace bonus en somme.
Fermés donc à l’architecture contemporaine les élus ? S’ils sont blasés dans les grandes villes, l’enthousiasme ailleurs fait plaisir à voir.
Poursuivons notre voyage de presse jusqu’à Lugrin, à quelques kilomètres de là. Il s’agit ici de visiter l’extension d’une école, réalisée par O-S architectes (Vincent Baur, Guillaume Colboc, Gaël Le Nouëne).**
Là encore, une problématique similaire à celle de Neuvecelle, une population en augmentation et qui rajeunit. Lugrin compte 15% d’élèves en plus en deux ou trois ans, d’où ce besoin de quatre nouvelles classes et d’une cantine en extension de l’école. De fait il était au départ prévu trois classes et un atelier, l’atelier attendra.
Jacques Burnet, maire de Lugrin, se réjouit à son tour devant la presse. S’il se souvient que le conseil municipal l’avait trouvé « très bien », à un moment il a bien cru que ce projet lui « coûterait les élections ». Aujourd’hui, « le Corten est spectaculaire », dit-il même s’il fallut à ses administrés pour s’en convaincre que le matériau trouve peu ou prou trouve sa couleur finale au fil du temps. « Pendant les enterrements, ça causait beaucoup », souligne l’édile. Le cimetière est à juste à côté.
Une rentrée et une réélection plus tard, il ne tarit pas d’éloge. « Ce projet a convaincu le jury grâce à son inscription dans la pente, seule la moitié du programme apparaît dans le paysage », dit-il, insistant encore sur la qualité de son intégration : « jamais on ne cache le lac, jamais on ne cache l’église, on dirait un petit bâtiment, ce qu’il n’est pas, parfaitement intégré dans la gamme des couleurs du village et qui fonctionne très bien ».
Et voilà comment un ‘simple’ bâtiment rectangulaire (1,6M€ HT) de quatre classes en béton brut réhaussé par une longère en Corten abritant la cantine a le don de réconcilier avec l’architecture contemporaine des gens qui y étaient totalement étrangers. Aucun rejet des populations. Au contraire. Toutes les plaques du toit étant soudées pour le rendre étanche, réchauffé par la chaleur du soleil, le Corten se dilate et c’est le bâtiment tout entier qui semble craquer et grincer, un bâtiment sonore en somme qui fera sans doute bien rigoler les gamins de l’école.
O-S a su par ailleurs avec bonheur relier à niveau la circulation entre la cour de l’école et celle de son extension via une allée extérieure couverte. Partout, y compris les murs de soutènement qui protègent l’école sans pour autant l’enfermer, un béton coffré à la planche. Un travail d’artisan qualifié à en juger par la finition. Partout une attention aux détails, à l’environnement, aux autres.
Pas étonnant que dans ces villages désormais, l’architecture contemporaine ne soit plus un gros mot.
Christophe Leray
*Lire également notre article A Paris, il faut arrêter le cirque pseudo écolo de la construction bois ! et découvrir ce projet plus avant.
**Découvrir plus avant ce projet avec notre article A Lugrin, l’extension en Corten de l’école signée O-S est contextuelle