Pourquoi les logements neufs sont petits et mal fichus ? Un article de Libération du 11 décembre 2020 relate « les clés économiques de cette néfaste évolution » énoncées lors d’une conférence organisée par l’Institut des hautes études pour l’action et le logement (IDHEAL) mettant face à face un architecte chercheur et un promoteur. Parole d’évangiles ?
« Et si la fabrication du logement était d’abord une équation économique ? » Cette interrogation, telle que le rapporte l’article de Libé, a été posée lors de la première conférence le 10 décembre 2020* (un chercheur, un acteur) de l’Institut des hautes études pour l’action et le logement (IDHEAL), « laboratoire d’idées spécialisé sur le sujet ». Alexandre Neagu, architecte et enseignant à l’ENSA de Montpellier et à Paris-Nanterre, est le chercheur. Jean-Raphaël Nicolini, promoteur chez Care Promotion, est l’acteur. Or, après lecture de cet article, la question se pose de la légitimité du discours.
« Et si la fabrication du logement était d’abord une équation économique ? » Posée en ces termes, l’équation économique est un processus incontournable de « l’art de la fabrique ». Fabriquer a longtemps désigné la création de choses destinées à tromper, à faire illusion, à faire du faux. L’homme a commencé par créer, inventer de toutes pièces à partir d’un travail d’imagination les mythes et les légendes pour progressivement aller vers la réfection savante du latin Fabricare qui donna en bas- latin Forger. Façonner, modeler, travailler et transformer la matière a de tout temps été l’apanage de l’Homme. De l’artisanat à la fabrication manufacturée, il y a eu la révolution industrielle. L’industrialisation des procédés constructifs d’après-guerre a été indispensable pour loger le plus grand nombre.
De fait, il n’est pas question de technique de fabrication ou de technique constructive, (construction en béton armé, construction métallique, construction en bois), mais de logements, cette chose dans laquelle les gens habitent, qui est devenue un produit dérivé !
Jean Giono dans le bonheur fou de 1957 nous dit : J’ai vu des copains. Ils sont tous d’avis qu’on est fabriqué (…). Il y a cent rois. Dès qu’on parle de république, il en sort de tous les côtés.
Alors, comment le logement de qualité peut-il résister et survivre à une économie de la « fabrique » hostile à l’espace et à ses usagers ? En mettant en place un laboratoire ! Or IDHEAL, ce laboratoire « d’idées spécialisé sur le sujet de la fabrication du logement » n’est qu’autre qu’un Institut du groupe Action Logement dont les six membres partenaires – de choix – sont : ENGIE, l’Étude Notariale Cheuvreux, GROUPAMA IMMOBILIER, NEXITY, la SMABTP et la SNCF.
L’IDHEAL se fixe pour objectif de produire des études sur le logement, susceptibles d’influencer des décisions publiques et de proposer des formations – rien que ça ! Il invite même les chercheurs des universités françaises et étrangères, issus du secteur où souhaitant le rejoindre – dans le cadre d’une reconversion peut-être – à suivre des séminaires et être associés à la production des nouvelles idées ! En guise de nouvelles idées, IDHEAL semble passé maître dans le concours d’inepties tant, au vu de cet article, elles sont nombreuses à nourrir les « réflexions » de cet institut de haute volée.
Pour l’expertise d’ailleurs, qui a besoin d’IDHEAL ? Si depuis plus de soixante ans, les missions d’utilité sociale d’Action Logement ne sont plus à démontrer, il est permis de douter de sa capacité à s’inscrire dans un processus de recherche. D’autant plus que, le Centre de Recherche sur l’Habitat qui fait autorité en la matière, est l’une des sept composantes du Laboratoire Architecture Ville Urbanisme Environnement comptant parmi les unités mixtes de recherches du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS). Installée à l’École Nationale Supérieure d’Architecture Paris-Val de Seine, l’équipe du CRH-LAVUE se compose de 16 enseignants-chercheurs, de 16 chercheurs associés et de 41 doctorants. Leurs travaux portent principalement sur la production et la gestion du cadre bâti, la qualification sociale des espaces urbains ainsi que sur les enjeux propres aux espaces publics urbains. Trop de chercheurs pour faire la UNE !
Ces vingt dernières années ont été marquées par la privatisation massive de la construction du logement social et la manipulation, tout aussi massive, orchestrée par les lobbies du secteur. Cette privatisation va ainsi trouver sa légitimité dans le discours public afin de méthodiquement convaincre qu’il fait bon de vivre en famille dans un trois-pièces de 55 m² avec une cuisine en fond de séjour !
Cet article en est la parfaite illustration. Seriner à qui veut l’entendre, que les logements petits, mal fichus et neufs sont issus de la « surenchère foncière » – sans doute – mais la « dictature du parking » et le « rendement de plan » etc. sont des arguments d’un autre temps !
De 12 ou 14 mètres, largeur optimale, les bâtiments sont passés à 16 mètres, pourquoi ? « Parce que c’est la largeur du parking », explique Alexandre Neagu qui précise : « une bande de voitures garées en épi + une bande de circulation centrale + une seconde bande de voitures garées en épi = 16 mètres de large ». Evident mon cher Watson.
Sauf que… Comment évoquer la question du parking sans présenter le document réglementaire qui en est la référence, soit la norme NF P 91-120 (NF comme norme française, P comme parking). Que nous dit-elle ? Trois variables permettent de définir le dessin d’un parc de stationnement. En sous-sol, les stationnements sont perpendiculaires à la voie de circulation – et non en épi (consommatrice d’espace) –, les dimensions minimales sont de 5m de profondeur, 5m de voie de circulation et 5 m de profondeur soit une largeur de 15 m. En fait, certains PLU préconisent une voie de 6 m portant à 16 m la largeur du parking.
De là à dire que « dans les étages, on suit le modèle du sous-sol » risque de provoquer plus d’un mécontent, Bouygues, Eiffage et compagnies, sans parler des ingénieurs, ayant le mérite d’avoir su proposer ce que l’on appelle un plancher de reprise. Le plancher du rez-de-chaussée, la dalle et les poutres permettent de reprendre les charges des étages pour s’affranchir du sous-sol. Une technique au service de l’architecture en général et du logement en particulier qui ne date pas d’hier !
Chaque architecte sait depuis bien longtemps que le plan d’étage n’est plus tributaire du parking, il dépend d’une volonté politique visant la qualité des espaces et le bien-être de leurs occupants. Les logements traversants sont victimes de la rentabilité économique, parce que, de part et d’autre d’un escalier et d’un ascenseur il ne peut y avoir qu’un seul logement traversant. Dit autrement, pour ne concevoir que des logements traversants, il faut démultiplier les cages d’escalier et les ascenseurs. Je vous laisse méditer sur la rentabilité économique – pas celle du plan – d’une telle option !
Et puis, nous explique-t-on, il y a les économies de cloisons : « on a eu tendance à supprimer les cuisines – oh ! lapsus – parce que la cuisine à l’américaine (ouverte sur le salon) était un bon moyen de gagner de l’argent, Une cloison en moins, répétée à chaque étage, ça compte », explique le promoteur.
Ce qui est exprimé ici à demi-mot est la suppression de la cuisine. Reléguée en fond de séjour, la cuisine devient un espace résiduel et permet au nom de l’Amérique d’en réduire la surface, ainsi que celle du logement et tout ça au même prix ! Mais pour IDHEAL, si les logements sont petits et mal fichus, ce n’est pas une question de m² gagnés insidieusement, à chaque étage, mais un problème de cloisons.
Et il y a aussi la terrasse que l’on ne peut utiliser ! « Pour s’en servir, il faut que l’ascenseur monte jusqu’en haut. Donc il y a un édicule sur le toit. Avec l’édicule, le règlement considère que vous avez monté un étage supplémentaire. Donc vous préférez faire un véritable étage », poursuit Alexandre Neagu. Mais de quel règlement peut-il bien parler ?
Le Plan Local d’Urbanisme (PLU) définit les hauteurs, les gabarits, les emprises et les édicules d’ascenseur et des locaux techniques. Un édicule n’est pas un étage. Si le règlement d’urbanisme autorise à construire trois étages, l’édicule ne sera pas comptabilisé comme tel puisque c’est un organe technique indissociable du fonctionnement d’un bâtiment. Cependant, pour rendre accessible une terrasse, il faut la rendre praticable, cela n’est pas gratuit ! Mais les lecteurs auront évidemment compris autre chose avec les flèches retenues pour cette conférence.
Enfin, puisqu’il est question « d’équation économique » le meilleur reste à venir ! « Faut-il rémunérer davantage celui qui conçoit ou celui qui vend ? » s’interroge gravement le promoteur ! A priori, architecte est un métier ! Il n’est pas question de rémunérer « davantage » celui qui conçoit, ce qui laisse entendre qu’il se gave déjà, il faudrait déjà le rémunérer à sa juste valeur, ce qui serait déjà pas mal.
Mais on a compris que les experts de l’IDHEAL, avec leurs parkings en épi, n’en sont pas persuadés.
Slim
*MAJ le 13/01/2020 à 13h33. La date de la conférence indiquée précédemment était erronée.