
La décision du gouvernement de suspendre une partie du dispositif MaPrimeRénov’ marque un tournant brutal dans la politique de rénovation énergétique des logements. Tribune du Conseil Régional de l’Ordre des Architectes d’Île-de-France (CROAIF).
Officiellement motivée par la montée des fraudes et le détournement massif de fonds publics, cette suspension provoque un arrêt net dans des parcours engagés, désoriente les particuliers, fragilise les entreprises sérieuses, et jette une ombre sur l’ensemble de la filière.
La région Île-de-France, qui concentre à elle seule près d’un tiers des architectes français et plus de 30 % du PIB national, est particulièrement touchée par cette suspension. Territoire dense, urbain, contrasté, où les passoires thermiques côtoient des opérations ambitieuses, elle est un laboratoire de la transition énergétique à l’échelle nationale. Cette mise à l’arrêt frappe directement des milliers de projets, et compromet des dynamiques locales déjà engagées.
Si l’intention de stopper une hémorragie financière peut sembler justifiée, elle masque mal une impréparation profonde. Le fiasco actuel n’a rien d’une surprise. Il était non seulement prévisible, mais annoncé.
Une dérive connue dès l’origine
En 2022, le Conseil Régional de l’Ordre des Architectes d’Île-de-France (CROAIF) avait organisé une soirée dans ses locaux de la Chapelle des Récollets dans le cadre du cycle « Le logement dans tous ses états ». Lors de cette rencontre, nous avions soulevé les limites structurelles du dispositif MaPrimeRénov’ : sa complexité, sa perméabilité aux abus, son manque de pilotage et d’encadrement.
Nous avions surtout mis en lumière l’angle mort de cette politique : l’absence du passage obligé par l’architecte, seule profession réglementée du secteur, pourtant rompue à l’approche globale que nécessite toute rénovation thermique sérieuse. La dérive actuelle, que le gouvernement feint de découvrir, était alors déjà en germe. Elle n’est pas le fruit d’une fatalité, mais celui d’une architecture mal pensée.
Quand l’argent public nourrit l’inefficacité
Les exemples abondent : sociétés fictives créées pour capter des aides, rénovations cosmétiques sans aucun gain énergétique réel, démarchages téléphoniques massifs et mensongers, chantiers bâclés voire inexistants.
MaPrimeRénov’ a permis à trop d’acteurs opportunistes de prospérer, au détriment des ménages sincèrement engagés dans une démarche de rénovation, et des professionnels rigoureux qui n’ont jamais été pleinement intégrés au processus.
Le résultat est doublement catastrophique : d’une part, un immense gaspillage d’argent public ; d’autre part, une perte de crédibilité pour une politique publique pourtant vitale.
Une urgence climatique et sociale piétinée
La rénovation énergétique du parc immobilier est une nécessité. Non seulement pour réduire notre empreinte carbone, mais aussi pour améliorer les conditions de vie de millions de Français confrontés à la précarité énergétique. En suspendant MaPrimeRénov’ sans plan de refondation immédiat, l’État désorganise un secteur essentiel, désespère les citoyens, et s’éloigne de ses engagements internationaux.
Le temps presse. Et cette pause, décrétée sans alternative crédible, nous éloigne de notre trajectoire climatique autant qu’elle compromet la transformation de notre cadre de vie.
Une mesure juste, mais à reconstruire
Suspendre temporairement le dispositif ne peut se comprendre que s’il s’agit de le rendre enfin cohérent et crédible. L’État se trouve aujourd’hui face à un choix : soit renforcer massivement les contrôles – ce qui suppose des moyens humains et financiers dont il ne dispose pas – soit s’appuyer dès le départ sur des professionnels qualifiés, indépendants, régis par des règles éthiques et soumis à une responsabilité.
C’est dans cette seconde voie que se dessine une solution durable.
Replacer l’exigence au cœur du processus
La rénovation énergétique ne peut être réduite à une suite de gestes techniques. Elle suppose une vision globale du logement, une hiérarchisation des priorités, une coordination des corps de métier. Autrement dit : une maîtrise d’œuvre. Or cette compétence existe, c’est celle des architectes.
Cette profession réunit les garanties que l’on est en droit d’attendre dans le cadre d’une politique publique : une formation reconnue, une déontologie, une responsabilité, et une indépendance. L’architecte ne réalise pas les travaux : il structure la démarche, coordonne les intervenants, et veille à la cohérence des choix techniques.
Faire de l’intervention d’un architecte une condition d’accès à MaPrimeRénov’, ce n’est pas ajouter de la complexité. C’est renforcer la fiabilité du dispositif, protéger les bénéficiaires, et garantir une utilisation plus juste des fonds publics.
Une ambition collective à remettre sur les rails
La rénovation thermique des logements est une politique publique majeure, qui engage l’avenir de notre pays autant que le quotidien de ses habitants. Elle ne peut reposer sur un empilement de procédures ou une logique d’urgence. Elle exige méthode, cohérence et exigence.
Plutôt que d’abandonner une mesure utile à cause de ses dérives, le moment est venu de l’outiller correctement. Et pour cela, l’État peut s’appuyer sur un cadre existant, inscrit dans la loi.
Depuis la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture, la France s’est dotée d’une profession réglementée, investie d’une mission de service public, encadrée par une déontologie et un dispositif disciplinaire. Ce n’est pas l’architecture qui relève de l’État, mais l’État qui a choisi de reconnaître dans l’architecture un levier d’intérêt général.
Aujourd’hui, ce levier est à portée de main. Il est temps de s’en saisir pour l’intérêt général et le service au public
Laurence Bertaud
Présidente du Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Île-de-France
Paris 27 juin 2025