
Banaliser l’accueil d’enfants handicapés au sein d’un collège était un pari osé. A Laval (53), un maître d’ouvrage d’une compétence rare, de jeunes architectes audacieux, un respect véritable et non emprunt de misérabilisme des futurs usagés… Une réussite, signée Potin*Guinée et Block.
Stéphane Galienne est chef du service bâtiment au Conseil général de la Mayenne. Homme de terrain et d’expérience, il maîtrise parfaitement son sujet. Il ne se félicite donc pas outre mesure de la réalisation de l’extension du collège Emmanuel de Martonne à Laval. Pourtant le programme n’était pas simple puisqu’il s’agissait de concevoir, outre quatre salles de sciences, quatre salles d’arts et l’agrandissement de la salle de restaurant, la création d’une section d’éducation motrice (SEM) – en clair des salles de classes pour enfants handicapés – et des locaux commun permettant aux jeunes, valides ou non, de se rencontrer et travailler ensemble. Il fallait de plus « raccommoder » les bâtiments existants. Une telle volonté de permettre aux uns et aux autres de partager un même lieu dans le cadre d’un cursus scolaire pourtant différent, et l’ouvrage qui les accueillent depuis la rentrée 2005, sont suffisamment rares pour être ici signalés.
Avant de revenir à l’ouvrage lui-même, il convient de s’arrêter un peu sur la façon dont le Conseil général de Mayenne et Stéphane Galienne gèrent leurs projets architecturaux en général et celui-ci en particulier. En effet, le Conseil général retient par principe lors de ses concours, sur références, au moins un jeune architecte ou une jeune agence, une démarche frappée, selon Stéphane Galienne, au coin du bon sens. En l’occurrence, ce sont les « jeunes » architectes Hervé Potin et Anne-Flore Guinée, en collaboration avec l’agence Block qui ont été retenus, non par bonté d’âme mais parce que, pour citer le chef de service bâtiment « ils ont le mieux pris en considération les problèmes d’accessibilité et ils ont proposé, sur le plan de l’économie, un projet réaliste dans son évaluation« . Bref, nul ne leur fit l’aumône.
Plus surprenant encore fut le soutien infatigable du maître d’ouvrage pour le projet résolument contemporain des architectes. « Sur le plan architectural, le projet a surpris. Il a fallu convaincre les membres du jury pas forcément rompus à l’architecture. C’est un projet qui sort de l’ordinaire ; or les élus s’accrochent toujours à quelque chose qu’ils ont l’habitude de voir. La règle de l’anonymat s’est révélée, en l’occurrence, une bonne règle« , explique encore Stéphane Galienne. Les deux autres équipes qui avaient proposé des projets « plus classiques » furent sans doute étonnées tant la prise de risques n’est pas habituellement le fort des maîtres d’ouvrage publics et qu’on ne l’attend pas, à tort visiblement, de la Mayenne.
C’est aussi la démonstration que quand le maître d’ouvrage sait où il habite, cette prise de risque est parfaitement contrôlée. « Malgré un chantier très technique, le projet présenté est rigoureusement celui qui a été construit, il y a eu 0% d’avenant et il fût très très bien maîtrisé d’un point de vue de l’économie« , dit-il encore. De quoi tordre le cou aux clichés concernant le manque de sérieux ou de rigueur des « jeunes architectes » qui handicaperait leur accès à la commande publique. De fait, à elle seule, la façade contemporaine de l’extension du collège mériterait un article. C’est pourtant sur l’aspect fonctionnel de l’ouvrage que ses concepteurs ont choisi de communiquer.

Le projet donc. Potin*Guinée et Block avaient plusieurs contraintes à résoudre. La première était de relier les bâtiments existants, d’architecture disparate. L’intégration de l’ouvrage en équerre dans le complexe permet non seulement de protéger la cour des vents dominants mais, orienté Nord-Sud, elle offre une lumière homogène toute la journée d’Est en Ouest. Ce schéma s’est révélé particulièrement heureux puisqu’il a permis la réalisation de trois idées fondamentales.
En premier lieu la création d’un très grand préau (le double de la surface prévue par le programme) faisant le lien entre tant les bâtiments existants qu’entre les élèves des différentes structures (le collège compte également une section d’enseignement général et professionnel adapté – SEGPA). Ce n’est rien de l’écrire puisque, rappelons-le, c’est la première fois qu’une SEM s’inscrit ainsi au cœur même du fonctionnement d’un collège lambda. « Il faut décloisonner physiquement avant de pouvoir décloisonner dans les esprits« , note d’ailleurs Stéphane Galienne. Ce n’est pas la moindre des réussites des architectes d’être parvenu à faire tomber les frontières, physiques et mentales, entre les élèves.
En second lieu, en insérant l’implantation dans le dénivelé du terrain (2m entre la cour et la rue toute proche), les architectes ont ensuite imaginé d’intéressantes solutions à l’aide de remblais permettant de préserver l’intimité des handicapés en salle de soins sans pour autant leur cacher la vue, ce qu’Hervé Potin appelle « transformer le relief en paysage périphérique« . (Ces tertres et nouveaux cheminements paysagers, en sus des toitures végétalisées, permettront d’adoucir les lignes sévères de l’ouvrage et de créer des contrastes de couleurs, lesquels ne sont hélas pas encore visibles sur les photos). Enfin, cette orientation a rendu possible la toiture en shed offrant aux salles de cours de l’étage un surcroît de lumière, source, accessoirement, d’économie d’énergie.
La seconde contrainte était de rendre les lieux pour les 20 enfants handicapés aussi accessibles que possible sans pour autant les confiner à « leur » partie du collège et sans pour autant non plus perturber l’accès aux salles à l’étage des élèves « valides« . Le bâtiment juxtapose donc la SEM au rez-de-chaussée (635m²) et des salles de sciences et d’arts au premier étage pour le collège (710m²). En clair, les deux niveaux sont deux entités différentes, aussi bien en plan qu’en fonctionnement, sans pourtant que l’unité et la cohérence du bâtiment en souffrent, d’autant plus que des puits de lumière rythment verticalement les deux ensembles.

« Nous avons veillé tout particulièrement à l’aspect fonctionnel du bâtiment : la largeur des couloirs pour faciliter la circulation des fauteuils roulants, qui peuvent même servir d’espace de jeu, des coins arrondis pour éviter les blessures en cas de choc avec les fauteuils, la hauteur des commandes d’appareils électriques, les qualités anti-crissements du revêtement de sol, etc.« , expliquent les architectes. Cela va sans dire mais ça va mieux en le disant quand le résultat traduit concrètement la bonne volonté. Significatif à cet égard fut d’ailleurs la volonté de Hervé Potin et consorts que des salles de stockage pour les fauteuils et les appareillages soient aménagées. Ce dont leur est gré Catherine Côme, directrice de la SEM, qui déplore que « souvent, dans les couloirs [des structures adaptées], on ne voit que ça« . En clair, il s’agit bien d’un collège dans lequel travaillent et étudient des enfants, dont certains sont handicapés, et non d’une SEM greffée autoritairement à un collège. « Nous n’employons pas le mot ‘intégration’, nous vivons ensemble« , assure Catherine Côme. Pourtant, nouvelle directrice et découvrant donc le projet quasiment achevé, ses craintes étaient nombreuses. Elles ont aujourd’hui disparu. « Nous allons devoir inventer une façon de travailler ensemble dans un bâtiment tout en longueur mais nous avons déjà pas mal d’idées depuis que nous avons découvert les locaux« , dit-elle. Tous les élèves partageront, en sus du préau, un restaurant scolaire agrandi et une salle de réunion. De quoi donner de la noblesse à la communication de l’Ordre ‘la première personne qui a pris soin de vous est un architecte’.
La dernière contrainte était enfin d’habiller cette structure remarquable en tous points. Hervé Potin et Anne-Flore Guinée auraient pu sans doute s’attacher à répondre au programme comme ils l’ont fait sans prendre le risque d’une écriture résolument contemporaine. Où peut-être alors, installés à Nantes, savaient-ils qu’en Mayenne le Conseil général, présidé par Jean Arthuis (UDF, ancien ministre de l’économie), était moins que frileux que la plupart des autres Conseils généraux ? Toujours est-il qu’ils ont donc proposé une façade en béton matricé en rez-de-chaussée, valorisée par une écriture spécifique à l’étage – « un motif textile inspiré d’ornements de façade découvert dans le vieux Laval« , explique Hervé potin – constituée de motifs losangés faits « d’omégas en inox, d’acier galvanisé ou vernis, d’acier larmé, de panneau inox, de miroirs, remplis en alternance de panneaux Minéralis d’Eternit« . Certains losanges sont des fenêtres ouvrantes en verre double-vitrage anti-UV. Une toiture végétalisée de chaque côté complète l’ouvrage.
« La façade plus les sheds plus la toiture végétalisée… ce fut une source de questionnement des élus« , explique Stéphane Galienne en souriant. Des maquettes grandeur nature furent réalisées à leur intention. Une bonne idée puisque la première maquette de fenêtre en losange a révélé l’incapacité de la première entreprise retenue à proposer un système fiable. Un nouvel appel d’offres, avec le soutien du maître d’ouvrage, eut donc lieu.
Cerise sur le gâteau, le maître d’ouvrage a pu au final se targuer d’une démarche HQE. « Nous avons pris le train en marche, les réponses étaient déjà dans le projet« , s’amuse Stéphane Galienne.
Christophe Leray

Fiche technique
Maîtrise d’ouvrage : Conseil Général de la Mayenne
Maître d’oeuvre : Guinée*Potin Architectes mandataire ; Block, Architectes associé ; OTH Ouest, Bureau d’étude
Programme : Extension du collège Emmanuel de Martonne à Laval (53)
Surface : 2.000 m² SHON
Coût : 2.300.000 euros HT
Début des travaux : juin 2004
Livraison : juillet 2005
Cet article est paru en première publication le 19 octobre 2005