La fin de l’architecture, du moins celle des hôpitaux, est écrite. Toutefois, avant de théoriser cet effacement prédit depuis des lustres et d’envisager une autre façon de faire que celle, bien naïve, proposée par le gouvernement, un peu d’histoire est nécessaire. Chronique Sillages.
Le 29 mars 2024, le gouvernement a annoncé triomphalement (ça, c’est selon lui, mais plutôt en catimini selon les professionnels effarés par l’indigence des mesures) la liste des 74 villes « lauréates » du grand plan de revitalisation des zones commerciales par des logements : 25 000 logements à saupoudrer, une grosse petite paille ! Plus, quelques micros équipements traditionnels élémentaires. Le tout, en regard des cinq milliards « actions centres villes moyennes », pour une somme dérisoire : 25 millions à partager en maigres tickets strictement uniformes de 75 000 € d’études « ingénierie ». Presque plus de bruits (« Much ado about nothing » aurait dit Shakespeare) chez les chercheurs en urbanisme effarés par la naïveté de ce plan.
Bien entendu, ne s’y relève aucune allusion à notre suggestion développée dans nos chroniques précédentes d’y saupoudrer des centres de soin, petits et moyens, publics et privés, reliés à des tissus de PME innovantes sur tout ce qui touche à la santé. Pas question pour autant de baisser les bras. Attendons juste un peu plus pour voir ce que cela donne, entre les premières études et les débats à la clé, tant les situations sont complexes et différentes. Rien que les sacs de nœuds issus du foncier risquent de faire perdurer les meilleures intentions… (cf. la métaphore des nouilles dans une soupe chinoise plus apte à produire celle du nid d’hirondelle, source du projet de stade des Jeux olympiques de Pékin par Herzog & De Meuron ! On en reparle vite promis).
Transition cependant vers un autre sujet plus que préoccupant pour Sillages : la fin de l’architecture, du moins celle des hôpitaux. Toutefois, avant de théoriser cet effacement prédit depuis des lustres, un peu d’histoire s’avère nécessaire.
Zoom arrière : peu de projets phares de l’histoire de l’architecture contemporaine mondialisée s’y sont attardés. Contrairement aux grosses machines fonctionnelles souvent en peignes horizontaux que nous a léguées le XIXe siècle, après 1920, grosso modo, le modèle du grand vaisseau haut issu des États-Unis a quasiment triomphé partout. Certes, pour l’Hexagone, il y eut bien quelques sanatoriums (Pol Abraham connaissait Alvar Aalto), voire l’hôpital mémorial de Paul Nelson – précisément américain – à Saint-Lô (extraordinaire qualité de son attention, jusqu’aux salles d’opération), plus l’Hepad d’André Bruyère aujourd’hui quadragénaire et encore encensé récemment dans Le Monde (05/04/2022)… Sans oublier l’échec de Le Corbusier, cette fois à Venise, qui aurait dit-on précipité sa dernière nage fatale.
Aujourd’hui, nous assistons au quasi-monopole de bâtiments conçus comme des exostructures lisses en béton porteur, percés de fenêtres répétitives, boîtes minimalistes lisses sous la caution rigoriste néoclassique du britannique Chipperfield, star chez les Suisses (cf. Diener à Bâle dès 1980) passeurs de l’Italie vers les Nordiques (sauf les épigones de Rem Koolhaas via le danois Bjarke Ingels). Bref, Rossi puis Grassi ont là une postérité plus que renforcée et inattendue. Tout au plus des jeux de réminiscences et filiations érudites seuls aptes à sauver la pure austérité de ces bâtiments entièrement tournés vers l’intérieur (ouf, merci aux grands patios arborés) qui font passer les hôtels-Dieu médiévaux souvent post-cisterciens pour des édifices baroques !
C’est à peine si l’on prête attention aux efforts des architectes pour « réhumaniser » leurs façades par des parements collés de briques uniques dans leurs dimensions et façonnées à la main (telles des poteries artisanales alors que… et tant pis pour les vérités constructives). Passions tactiles et frissons lumineux rasants délicats issus des peintures de Robert Ryman pour les initiés.
Moralité, les mêmes architectes se tournent surtout vers des plans intelligents soucieux de désamorcer la complexité des programmes, lesquels sont enchâssés de plus en plus dans des patchworks d’édifices préexistants à conserver mais également à remanier. Vive les très bons urbanistes à même d’insuffler une nouvelle vie dans ce qui sera les derniers grands complexes hospitaliers en attendant toutes nos micros unités sanitaires et hospitalières déconcentrées.
Pour terminer cette chronique sur une note joyeuse afin de lutter contre le banal à venir partout tel que préfiguré par la plupart des hôpitaux, vite une petite revue des dernières tendances architecturales susceptibles de réenthousiasmer l’intérêt de la société civile pour une autre production des établissements de santé pleine d’empathies envers les soignés, de bonheur au travail pour les soignants, à l’instar des neurones miroirs repérés par certains artistes dans leurs installations en leur sein (Kader Attia pour l’hôpital psychiatrique de Rouffach en Alsace produit par Art dans la Cité en 2009).
Les bâtiments totalement arborés, surtout des logements en hauteur, plus ou moins spiralés, pour tous les maîtres d’ouvrage réfugiés dans la HQE de façade, green washing au premier degré, dernière marche avant l’agriculture urbaine, restent dominants chez les critiques d’architecture grand public. Supplanteront-ils les effets de miroirs de la fin du siècle précédent ?
L’engouement pour le bois, issu des Suisses et des Japonais, lui, semble se tarir légèrement face à une relative saturation produite par sa monotonie formelle des supports possibles. Éric François à Nice a toutefois réussi en 2022 un quartier qui marie sa virtuosité verte avec des espaliers géants. Mais ce matériau, malgré ses grilles et répétitivités, n’est toujours pas suffisamment pérenne pour nos commanditaires hospitaliers institutionnels.
Heureusement les projets de musées réussissent parfois à nous emporter vers une transcendance moins triviale. La route pour les autres semble encore bien longue hélas !
À l’encontre de la revitalisation des zones commerciales des projets du gouvernement, notre idée est de faire de petits établissements de santé le véritable moteur de la revitalisation des zones commerciales qui sans eux risque d’être totalement inopérante. Selon nous, l’avenir est plus dans le micro urbanisme et le contact ville-hôpital que dans une architecture qui cherche ses références.
(À suivre)
Jean-Philippe Pargade, architecte fondateur de Pargade Architectes
Bruno Vayssière, professeur d’architecture et d’urbanisme
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