Lors de la visite de presse, le 7 mai 2019, l’architecte Martin Fougeras Lavergnolle, associé de l’agence Marc Mimram, était le premier arrivé au 1 avenue Gordon Bennett, voie parisienne ce jour-là en plein préparatifs pour le tournoi de Roland-Garros qui démarre bientôt (du 26 mai au 9 juin 2019).
Il est vrai qu’il connaît le chemin, depuis dix ans que Martin Fougeras Lavergnolle suit ce projet. Quand il a commencé, jeune architecte, il était déjà sur le concours international gagné par Marc Mimram (contre, en finale, Paul Andreu et Richez associés, Renzo Piano, Christian de Portzamparc). Il s’agissait à l’époque de construire un nouveau stade Roland-Garros porte d’Auteuil.
Aujourd’hui, après moult vicissitudes – il fut notamment question de déménager Roland-Garros à Marne-la-Vallée, Gonesse ou Versailles -, maintenant donc que le nouveau court Simonne-Mathieu sera inauguré dans quelques jours, le jeune architecte a eu le temps, entre-temps, de devenir associé de l’agence !
Dix ans pour construire un petit stade de 5 000 places ! Bienvenue en France !
«Fake news» ! La visite commence à peine que Marc Mimram impose à notre petit groupe de journalistes de stopper devant l’une des formidables serres botaniques d’Auteuil construites au XIXe par l’architecte Jean-Camille Formigé, la plus grande avec sa palmeraie qui culmine à 35m, splendide sous le soleil de mai qui fait miroiter la fonte du bleu au vert.
Pour ceux qui l’auraient oublié, l’architecte se souvient à leur place : «Les associations avaient distribué des tracts pour s’opposer à la ‘Destruction des serres de Formigé’, qu’il n’a jamais été question de détruire…», dit-il, l’humour le disputant à l’ironie quand il fait le rapprochement avec les ‘Fake news’ de Donald Trump. Que l’on ait pu le soupçonner d’un tel sacrilège, il est encore ému rien que d’en parler.
De fait, pour qui connaît le jardin, aucune des serres historiques et inscrites au titre des monuments historiques en 1998 n’a disparu, ni n’a même été touchée. Certes, une serre en aluminium des années 80 et une autre en acier datant des années 2000 ont bien été remplacées – l’une servait à la préparation des bouquets de fleurs pour les réceptions de la ville de Paris et l’autre n’avait que des plantes en pot – mais l’intégrité du jardin n’est pas remise en cause avec ce nouvel équipement.
Elle en est au contraire augmentée, plus encore avec la réhabilitation réalisée par Michel Goutal, l’architecte des bâtiments de France, de deux bâtiments en meulière, anciennes orangeraies devenues au fil du temps des espaces de services et de stockage et désormais lieux polyvalents. Marc Mimram l’affirme : avec la création de 1 435 m² de serres, celles qui servent d’écrin au court de tennis, les serres d’Auteuil ont en réalité gagné en surface.
Il appartient à chacun de se faire son opinion à propos des 900 écailles de double vitrage, soit 2 800 m² d’écailles de verre, qui font en façade varier et vibrer la lumière «en un dialogue avec les vibrations lumineuses des serres de Formigé».
Toujours est-il que, pour ce qui concerne la pertinence, le confort et la qualité de ces nouvelles serres, tant pour les plantes que les hommes, il suffit d’écouter David Montagne, le responsable du jardin. Pour sa part, lui – le premier concerné sans doute, il recevait ce jour-là des plantes rares d’Australie -, ne semble nullement regretter ce qui a disparu. Il tient au contraire à mettre en exergue les propriétés exceptionnelles de ces serres uniques en Europe, voire dans le monde, dont il a la charge.
«D’un point de vue énergétique, elles sont évidemment beaucoup plus performantes que celles de Formigé. Surtout, chacune est autonome, ventilée, ombragée par l’extérieur», dit-il. Il explique que la gestion des serres Formigé se fait à la main, qu’il faut monter sur le toit pour ouvrir les panneaux. «Du coup il y a de gros écarts de température dans les serres Formigé ; dans les nouvelles, nous pouvons gérer la température au degré près, instantanément», poursuit David Montagne.
En plus, dit-il, le système de gestion développé est si peu compliqué que n’importe quel jardinier peut se l’approprier. Une vraie invention ! Ce que confirme à sa façon Martin Fougeras Lavergnolle quand il explique que si chaque serre, une de chaque côté du court, représente un continent (Amérique, Asie, Afrique, Océanie, «le tour du monde en 80 plantes», selon l’expression de Marc Mimram), elles peuvent chacune créer n’importe quel climat. Il s’agit donc de serres réversibles en somme, une idée à laquelle Jean-Camille Formigé n’aurait certainement pas pensé – lui qui pourtant était à la pointe de l’innovation industrielle de son temps – et qui devrait défriser ses zélotes idolâtres.
L’architecte en chef du service des Promenades et Plantations de la Ville de Paris – le titre de Formigé – n’aurait sans doute pas imaginé non plus que, au XXIe, il faudrait encore de trois à cinq ans pour purger tous les recours avant de commencer les travaux, lui qui a tout construit – serres, jardin, fontaine, etc. – en trois ans entre 1895 à 1898. En revanche, il est permis de penser qu’il serait sans doute émerveillé de la technicité de ces serres publiques encadrant un court de tennis, sport dont il avait juste à l’époque entendu parler.
A l’issue des diverses tribulations du projet, il fallait sans doute pour la fédération de tennis maître d’ouvrage qui attendait son stade que les travaux, une fois lancés, se déroulent rapidement, enfin. Encore que, un stade, le mot est réducteur. Un stade est habituellement un lieu fermé sur lui-même, ouvert exceptionnellement ; ici, le lieu est accessible puisque ces nouvelles serres seront ouvertes toute l’année au public, sauf pendant les deux semaines de Roland-Garros.
De fait, les serres donnent une intimité aux spectateurs du court Simonne-Mathieu sans en entraver les circulations, l’architecte ayant pris soin à travers sa composition de créer ce qu’il appelle des «espaces virtuels» entre les tribunes basses en béton et les tribunes hautes en acier, espaces virtuels éclairés par des contremarches en verre laissant passer la lumière pour des coursives lumineuses avec vue sur la jungle. Ce que l’homme des ouvrages d’art appelle «l’équation entre la structure et la lumière», avec ici, derrière, des plantes rares.
Bref, un stade ouvert sur son environnement – les meilleurs sièges sont tout en haut des tribunes pour qui veut combiner sport et paysage – et d’autant mieux intégré que la Fédération de Tennis, en regard des polémiques – dont c’est sans doute le seul point positif – n’a pas lésiné à la dépense. D’ailleurs, le budget de ce projet n’a pas été communiqué.
Un nouvel aménagement urbain et paysager sur l’avenue Gordon Bennett remplacera bientôt l’ancien court numéro 1 de Roland-Garros qui tournait le dos au jardin et fera le lien entre ces deux institutions parisiennes. Pendant les deux semaines du tournoi – les Internationaux de France ! -, même si des filtres dans les contrôles et les accès sont prévus, ces visiteurs du monde entier animeront donc un jardin extraordinaire habituellement vide sinon visité par quelques têtes grises et des scolaires. Dit autrement, pour citer Marc Mimram, «le court Simonne-Mathieu est à la fois la vitrine du sport de haut niveau et celle d’un développement botanique renouvelé».
Malgré la réussite apparente de l’ouvrage – il sera bientôt testé -, tout comme Trump continue d’avoir de fervents supporters, les excités parisiens des Fake News n’abandonnent pas l’affaire car c’est l’occasion de renouveler les demandes de dons.
Une info pour ces derniers : Simonne Mathieu n’est pas «juste une tenniswoman inconnue», mais une grande sportive – la seconde plus titrée en France en tennis après Suzanne Lenglen, qui donne son nom à un autre court de Roland-Garros – et surtout une grande résistante qui a rejoint De Gaulle dès 1940 et a défilé avec lui sur les champs Elysées. A ceux-là donc, ce conseil : même les combats d’arrière-garde requièrent un minimum de curiosité, sinon de culture !
Pour conclure. Dix ans pour construire à Paris un petit stade. Après tout, si la loi autorise le citoyen à déposer des recours, même les plus abusifs, il aurait tort de se priver. Le problème est le temps de la justice pour trancher l’affaire. Il aura fallu six ans ici pour qu’elle se prononce sur le fond du dossier, le tribunal administratif de Paris rejetant en février 2016 seulement les recours des associations et la cinquantaine de moyens d’illégalité soulevés. Il n’est jamais bon de restreindre une liberté, surtout celle de contester une décision administrative ou politique, mais la lenteur de la justice se révèle en l’occurrence être une alliée objective des conservateurs de tout poil.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit et c’est ce qui fait peur. Si ces derniers avaient eu gain de cause, le jardin, maintenu en vie par des fonds publics en intraveineuse, demeurait aujourd’hui à l’usage exclusif de quelques personnes âgées venant nourrir les pigeons sous des arbres centenaires.
Désormais, et c’est la moindre des choses, les dizaines de milliers d’amateurs de tennis venus de toute la planète en seront bien étonnés et, traversant le jardin pour rejoindre le court Simonne-Mathieu, avec force photos instagrammées et force effets Whaow seront en quinze jours meilleurs promoteurs de ces magnifiques serres d’Auteuil et de l’œuvre de Jean-Camille Formigé que tous ses pseudos défenseurs en dix ans !
Pour l’anecdote, ce sont des conservateurs virulents qui, pour protéger le respect du jour du Seigneur – seul jour de congé des Anglais de l’époque -, ont provoqué la déréliction du fameux Crystal Palace, créé par le jardinier Joseph Paxton, en lui interdisant l’ouverture le dimanche.
Avec Marc Mimram, voilà les serres d’Auteuil sauvées, pour l’instant !
Christophe Leray