Du 5 au 7 décembre dernier, le Palais des Congrès de la Porte Maillot, à Paris, a vu se dérouler l’édition 2018 du SIMI, salon consacré à l’immobilier national. Entre enjeux économiques, politiques et environnementaux, Chroniques d’Architecture a tenté de démêler le vrai du faux des annonces ou coups de com’ des plus grands faiseurs de la sphère immobilière. Non sans difficultés !
La vaste queue d’entrée, digne de celle des attractions Disney un après-midi ensoleillé du mois de mai, ne pouvait-être envisagée cette année qu’équipé d’une bonne paire de chaussures, d’un pull pas trop chaud et seulement après avoir installé l’application mobile du salon, Big Data oblige.
Le taux d’affluence du cru 2018 étant annoncé comme record, quelle est la température du business de l’immobilier ? Parmi les grands Mamamouchis représentés cette année, promoteurs au presque complet, collectivités plus ou moins mutualisées, investisseurs et foncières sur le pied de guerre, architectes plutôt discrets, BET en sous-marins, majors de la construction à l’affût du casse du siècle. Bref tout le monde avait répondu à l’appel, incluant quelques architectes plus ou moins stars, pourtant moins habitués du raout annuel. Un signe ?
Le vacarme assourdissant a duré trois jours, une triade pour se faire aussi une idée de la santé du marché immobilier made in France (pour l’international, il est préconisé de se rendre au MIPIM, en mars, traditionnellement au Palais des festivals cannois, plus chic sans doute). Une première écoute rapide au stéthoscope indique que villes, investisseurs et constructeurs filent le parfait amour dans un ménage à trois qui tient depuis plusieurs années déjà, dopé par une économie dynamique, des opérations d’aménagement qui attisent toujours plus les convoitises et des cessions foncières de l’immobilier de l’Etat presque orgiaques.
Les flux de transactions n’ont jamais été aussi importants. La promotion privée affiche des bénéfices records, comme l’univers de la construction, contribuant à pas moins de 11% du PIB affiché en 2017 et à la tête de rien moins que deux millions d’emplois. Pendant ce temps, les investissements se font en masse sur les fonciers de la place parisienne. Il se murmure qu’il faut préparer un accueil massif de réfugiés venus de la City. Francfort étant aussi sur les starting-blocks, une tour par-ci, une réhabilitation d’un bel ensemble immobilier en plein cœur de la rive gauche par-là, «faut pas rater ça les gars !». Sans compter les loyers de l’immobilier d’entreprise qui flambent comme au Black Jack.
Bref le potentiel de croissance est au beau fixe, personne n’ayant croisé de Gilets Jaunes dans les allées bondées ! Les carnets de commandes des entreprises de BTP, pleins à craquer, poussent les moyennes et petites maisons à refuser des chantiers, quand les majors affichent des chiffres d’affaires de plusieurs dizaines de milliards d’euros en 2017.
Il paraît que quand l’immobilier va, tout va… Alors, tout de petit monde est-il vraiment au top ? Parmi les sujets abordés cette année, il fut beaucoup question de valorisation immobilière, d’enjeux environnementaux, de bulles spéculatives, d’élections européennes et, surtout, municipales, le tout faisant craindre un ralentissement cyclique de la commande. Rien d’alarmant en soi. Pourtant, entre deux petits fours, l’IRM commence à sonner, la conjoncture économique et politique semblant se diriger vers un virage à 180° d’ici peu.
En effet, hasard des calendriers, des premières grandes opérations immobilières sont arrivées à terme entre 2017 et 2018. Beaucoup de foncier ayant été cédé, 2019 ne s’annonce pas comme une année de cession. D’autant que les équipes municipales commencent aussi à entendre les critiques, pas toujours positives, du bétonnage acharné des proches banlieues métropolitaines. L’électeur, que les moissons du BTP ne concernent pas, ne voit que le coût de l’immobilier en hausse, pour une qualité plombée. Sans compter que signer en CDI pour vivre au milieu des grues et des pelleteuses n’enchante que très rarement le citadin. Chacun sait qu’un maire constructeur n’est pas un maire qui sera facilement réélu. Alain Juppé, en ralentissant le rythme de la construction bordelaise ces derniers mois montre qu’il l’a bien compris.
Pour le moment, la tendance est encore à la hausse de la pression sur les entreprises du BTP. En effet, ajouter à cela une hausse drastique du prix des matières premières, le coût de la construction risque bien de flamber bientôt comme une crêpe Suzette. Sans compter que la première des matières premières sur un chantier reste le compagnon, lui aussi de plus en plus difficile à recruter. Et, pour la pression au bar qui accompagne la crêpe, il va en falloir du béton et des compagnons pour assurer la logistique, les logements et la construction de quelques équipements en vue des J.O. de 2024
Puis, bien que tous jouent encore le jeu, en tirant de plus en plus la langue, la spéculation immobilière qui atteint sur chaque consultation des sommets toujours plus hauts commence à inquiéter. En effet, pour acheter quelques bijoux immobiliers dans le centre de Paris, les promoteurs et les foncières s’adjoignent les moyens d’investisseurs capables de faire des chèques toujours plus hauts, surprenant encore les concurrents les plus méritants sur leurs propositions.
Les équipes jouent alors un jeu dangereux, créant en plus d’une bulle spéculative pour le moment solide, une arène à laquelle bientôt peu d’acteurs nationaux pourront accéder. Pour le moment, la Ville semble encore encourager cette spéculation, au risque de voir les prix de sortie de quelques opérations de logements libres s’envoler dans la stratosphère. Jusqu’à quand ?
Cette édition SIMI 2018, baignée dans une euphorie encore d’actualité, aura fait la part belle tout au long des 130 conférences à l’aménagement de bureaux, au travail nomade et aux investissements. En témoigne notamment l’omniprésente des WeWork, Spaces ou Wellio. Les enjeux pour les entreprises sont énormes. Le marketing autour de l’immeuble de demain est bien rodé : sobre, résilient, évolutif, mutable… Bref, foin de naïveté, il s’agit surtout de faire plaisir aux grands manitous des métropoles et d’appâter les entreprises de renommées internationales (désormais appelées ‘cash-flow’) qui ont de plus en plus de choix dans les adresses proposées. Du locataire au client…
Finalement, l’innovation semble avoir déjà fait son temps et les questions d’environnement sont encore traitées pour la bonne forme générale. A noter enfin que le mot à la mode de cette édition était ‘réemploi’, de la chaise au bâtiment entier, comme une réponse à la nouvelle marotte de la Ville de Paris de privilégier la réutilisation. Jusqu’à la prochaine marotte !
Et pendant ce temps-là, personne ne pense à l’architecte dont le seul rôle est de dégager un maximum de mètres carrés pour une encore plus grande valorisation immobilière. En immobilier, le m² c’est de l’argent.
En conclusion de cette nouvelle édition, si la mer est calme, nul n’est vraiment dupe de la tempête qui point à l’horizon puisque les sonars commencent à en percevoir les tout premiers signes annonciateurs !
Alice Delaleu