Un AMI engagé pour la qualité du logement de demain, c’est à cela que l’on reconnaît les grands stratèges de la start-up nation ! En témoigne la grand-messe qui s’est tenue le jeudi 10 mars 2022 à la Cité de l’architecture et du Patrimoine à Paris.
À cette occasion, Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, et Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du Logement, ont dévoilé les 97 lauréats* de l’opération « Engagés pour la qualité du logement de demain », un programme engagé, c’est le cas de le dire, en octobre 2021, dans la foulée du rapport Girometti-Leclercq.** Ce document qui fit grand bruit apprenait à la ministre que les logements français étaient trop petits, trop chers et de mauvaise qualité. Les mêmes – l’architecte François Leclercq et le président d’EPA Marne Jérôme Girometti – sont évidemment dans le jury***.
En tout cas, sur 201 candidatures, 97 lauréats. Quasi 50 % d’élus ! Il est rare que les architectes et leurs projets soient à telle fête au ministère de la Culture. Surtout que voilà une cérémonie qui tombe bien à pic, quelques semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle.
Question engagement « pour la qualité du logement de demain », tous les professionnels de l’acte de construire, même les plus bienveillants, savent qu’à ce sujet le bilan d’un président ayant notamment asséché les ressources des bailleurs et implémenté une loi ELAN qui donne les clefs de l’architecture du pays aux actionnaires d’entreprises gloutonnes n’est pas une réussite. Et c’est encore le dire gentiment. Qui se souvient de la farce des 5€ d’APL ?
Un stratège de la start-up nation est cependant peu concerné par son bilan dont il ne souhaite débattre, ce qui est dommage considérant que tout va bien mieux dans les hôpitaux, dans les commissariats, dans les écoles et dans le CAC 40 depuis cinq ans. Non, ce qui différencie le stratège de la start-up nation des autres candidats petits joueurs est son habileté à se projeter dans l’avenir, comme un maître de go qui prévoit ses coups très longtemps à l’avance.
La Cité de l’architecture pourrait pourtant, pour ce président peu inquiet du grand art, apparaître comme terrain hostile. Mais la grand-messe une fois terminée, ce sont donc 97 maires – « répartis sur l’ensemble du territoire national », c’est-à-dire du nord au sud, de l’est à l’ouest, à la ville, à la campagne, en banlieue – qui vont rentrer chez eux des étoiles plein les yeux, convaincus que Macron en général et eux-mêmes en particulier sont « engagés pour la qualité du logement de demain ». Quelle histoire à raconter à madame, ou monsieur, aux enfants en tout cas ! Les ors de la République font souvent cet effet.
C’est la raison pour laquelle, en guise d’hostie, fut remise à chaque participant une breloque – d’ailleurs non siglée et à l’aspect assez misérable de récompense de comice agricole – qu’ils seront heureux d’exhiber entre la Pyramide de bronze gagnée avec un promoteur en conception-réalisation et la coupe régionale emportée par l’équipe féminine de hockey sur gazon. Et voilà quasi une centaine de maires, et à travers eux leurs familles, et leurs amis et leurs services techniques et les entreprises locales et leurs familles, qui après avoir serré la pince à non pas une mais deux ministres (excusez du peu), repartent de la Cité de l’architecture et du Patrimoine (excusez du peu) gonflés de fierté pour sillonner la France, leur projet « engagé pour l’avenir ». Que ne fait-il pas pour le logement de demain notre bon président ?
Justement, l’État n’a la plupart du temps rien à voir avec les projets lauréats qui se sont développés sans lui, voire malgré lui. La ministre et son homologue cultivée arrivent juste à ce moment précis de l’histoire pour donner une appréciation, une bonne note, des bons points et une image pour ceux qui sont sages. L’opération de communication, qui ne coûte pas un rond et ne sera en tout cas pas comptée dans les comptes de campagne du candidat, permet donc d’envoyer ces centaines de petits télégraphistes à travers le pays pour porter la bonne parole. Et parmi ces projets, rendez-vous compte, vingt bénéficieront « d’un accompagnement spécifique au sein d’un incubateur ». Un incubateur !!! Vite une maternité ! Si ce n’est pas prendre les gens pour des enfants…
Pas du tout car ces vingt projets « profiteront d’expertises complémentaires, d’un suivi, d’une évaluation et de l’appui de juristes afin de sécuriser le bon développement de leurs opérations et pourront bénéficier d’un appui financier en études et ingénierie par la Caisse des dépôts, partenaire du programme ». Au secours ! Considérant que tous ces projets innovants se sont faits tout seul, malgré les multiples difficultés légales et réglementaires et les intervenants obligés toujours plus nombreux, quel architecte veut encore voir l’État venir justement maintenant lui donner un coup de main ? C’est des coups à se prendre dix ans de retard, le temps certainement d’incuber sept logements…
Le plus formidable est que les ministères du Logement et de la Culture, dans leur soudaine curiosité, semblent découvrir des recherches que nombre d’architectes lauréats poursuivent depuis longtemps, plus de vingt ans parfois, et dont les réalisations ne manquent pas. Sans même parler d’innovation comme en témoigne, parmi ces lauréats, le bâtiment construit à Besançon par Brigitte Metra, dont les volets déplaçables et orientables constituent sans doute une première mondiale, ouvrage d’ailleurs inauguré le 4 février par Amélie de Montchalin, ministre de la Fonction publique.
Ce qui signifie qu’il y avait la place pour Macron de lancer son AMI dès le lendemain de son élection ; nous aurions aujourd’hui vingt prototypes réalisés, brevetés, voire labelisés si vraiment nécessaire, surtout prêts à être développés à grande échelle à la satisfaction de tous. Mais non. Se souvenir de l’estime qu’avait alors pour les maires de cambrousse le président nouvellement élu. Mais aujourd’hui en campagne, pour le symbole, mieux les bottes que les escarpins, d’où les gros sabots des deux ministres.
Ces arrière-pensées électoralistes éclairent sans doute l’indigence de la cérémonie à La Cité de l’architecture, les ministres égrenant en autant de clichés tous les nouveaux thèmes de la novlangue en cours : on y parla de l’eau, des asperges, de bois, de co-construction, de jardins partagés, de ferme urbaine, etc. surtout pour ne pas dire grand-chose. Ce n’est d’évidence pourtant pas avec le marché bio des bourgeois que seront réglés les problèmes liés au logement, social ou non.
Dans les discours, ce jour-là, rien en revanche sur le nucléaire alors que nous sont promis 14 EPR évidemment « innovants » aptes à garantir « la qualité du logement de demain ». Un EPR bio, c’est possible ? Etonnamment, 97 lauréats et pas une image de projets dans le communiqué de presse. Le poids léger des mots sans le choc d’une seule photo ?
« La plupart des projets sélectionnés sont à l’état d’intentions », justifie Aurélie Cousi, directrice adjointe au directeur général des patrimoines et de l’architecture, chargée de l’architecture, citée par AEF (10/03/2022). La même juge cependant utile de préciser avoir souhaité des projets « faisables », ce qui est bien le moins. « Il n’était pas question d’avoir juste des idées en l’air », dit-elle encore pour être sûre que ses interlocuteurs ne se méprennent pas car, c’est bien connu, les architectes ont tendance à faire n’importe quoi… En revanche, communiquer sur du vent, pour un président en campagne, en se fichant de la gueule du monde, est-ce pour autant « infaisable » ?
De fait, la maestria de cette opération de communication en loucedé pour la campagne de Macron démontre qu’il ne s’agit pas là d’une idée en l’air. Encore que, maestria est un bien grand mot avec cette tactique cousue de gros fil blanc. D’ailleurs, lors de la bénédiction des 97 heureux lauréats, Emmanuelle Wargon a confirmé que la date du 1er janvier 2023 conditionnera le bénéfice du taux plein du dispositif Pinel « au respect de critères environnementaux et de qualité d’usage ». La preuve quand même, quelques semaines avant le premier tour, que là-encore, le président radioactif se préoccupe de la planète. Yannick Jadot n’a qu’à bien se tenir.
Les annonces miraculeuses n’en finissent d’ailleurs plus puisque la même Emmanuelle Wargon annonçait quelques jours plus tard, le 14 mars, « des résultats exceptionnels pour le développement du logement intermédiaire en 2021 : 17 912 logements, soit une progression de 34% sur un an ». 34% ! Effet Waouh garanti comme on dit dans les cénacles de la start-up nation. Ce qui est en réalité exceptionnel est de se glorifier ainsi pour 17 000 logements, dont 7 000 nouveaux, fussent-ils intermédiaires, quand des logements tout court il en manque encore des millions, et plus aujourd’hui qu’hier.
Le ministère de la Culture, qui pourtant pleure habituellement misère, n’est pas en reste de bienveillance, qui a lancé un appel d’offres auprès de 200 photographes de presse pour, en substance, aller photographier la France post-Covid. Comme si ce n’était pas déjà leur boulot ! Chacun de ces 200 lauréats se verra attribuer une bourse de 22 000 € pour couvrir ses frais de mission. Et hop, une jolie loterie – une chance sur deux les gars et les filles – à l’intention des photographes de presse qui n’en seront pas plus farouches et 4,4 M€ de soutien en loucedé à la presse qui ne compteront pas non plus dans les comptes de campagne.
Cela fera aussi une belle expo à la Cité de l’architecture et, pour chacun de ces photographes, il faut l’espérer, également une breloque à ranger sur son étagère.
Christophe Leray
* Voir Tous les lauréats de l’AMI « Engagés pour la qualité du logement de demain »
**Lire notre article Rapport Leclercq – Girometti : le baromètre qui donne le temps d’hier
***Le jury
Le jury était composé d’architectes, de designers, d’aménageurs, d’élus, de représentants des ministères et de personnalités qualifiées. Il était conduit par Stéphanie Dupuy-Lyon, la directrice générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), et Aurélie Cousi, directrice, adjointe au directeur général des patrimoines, chargée de l’architecture au ministère de la Culture, assistées de François Leclercq, architecte, et de Laurent Girometti, directeur général d’EPA Marne, tous deux incontournables depuis qu’ils ont produit en 2021 un référentiel sur la qualité du logement.
Ce jury comptait, parmi les architectes :
– Christian de Portzamparc
– Stephen Barrett, associé de l’agence britannique RSHP
– Laurent Lehmann, Eliet & Lehmann
– Anne Demains, AAD
– Boris Bouchet
– Félix Mukke
– Aglaée Degros
Les autres membres du jury :
– Emmanuelle Cosse présidente de l’Union sociale pour l’habitat
– Nadia Bouyer, directrice générale d’Action Logement Groupe
– Philippe Rio, maire de Grigny
– Catherine Sabbah. Déléguée générale d’IDHEAL
– Kosta Kastrinidis. Directeur des Prêts de la Banque des Territoires chez Groupe Caisse des Dépôts.
– Hélène Peskine, présidence de l’Europe des projets architecturaux et urbains (EPAU)
– Marjan Hessamfar – Vice-présidente – Conseil national de l’Ordre
– Sylvie Adigar, journaliste à France Télévisions
– 4 citoyen-ne-s