
Rachida Dati, ministre de la Culture, a annoncé le 4 février 2025 à Paris sa stratégie nationale pour l’architecture (SNA) 2025-2029, un pot-pourri de 30 mesures non chiffrées, la plupart consensuelles et paresseuses, faisant ainsi plaisir à tous les acteurs de la construction selon l’expression consacrée. Parmi elles, une augmentation de 20 % du nombre des étudiants sur dix ans dans les ENSA. Bonne idée ?
À noter en premier lieu l’irruption dans le domaine public de la notion de désert architectural, d’où plusieurs initiatives pour le peupler, dont le lancement d’une formation post-master portée par le réseau scientifique et pédagogique « Perspectives rurales », via l’école nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), « qui permettra de lutter contre les déserts architecturaux en incitant et en préparant les jeunes architectes à s’installer en milieu rural ». Une agence d’architecture qui entre deux rénovations d’églises et de maisons individuelles ferait en même temps épicerie bio, bar convivial et la poste par exemple ?
Avec une telle ambition de carrière, encore faut-il pour cela des volontaires. Apparemment, selon la ministre, il manque d’architectes en France et elle se propose d’augmenter de 20 % le nombre des étudiants sur dix ans dans les écoles nationales supérieures d’architecture et paysage (ENSA-P). À constater pourtant l’appauvrissement constant des (très) petites et des moyennes agences d’architecture, la stagnation du pouvoir d’achat de la plupart des femmes et hommes de l’art – sans doute l’une des professions libérales les plus mal rémunérées en moyenne – et considérant l’assèchement de la manne des marchés publics, est-ce une bonne idée de multiplier le nombre de pauvres architectes ? Le Royaume-Uni en compte deux fois moins mais ils sont deux fois plus efficaces. Plus de bouches pour un gâteau plus petit, sachant que les étudiants en architecture sont déjà ceux en France pour lesquels l’État dépense le moins, est-ce bien judicieux ? Ne faudrait-il pas au contraire réduire le nombre d’étudiants afin d’élever le niveau d’exigence ? Il est vrai que tout dépend de l’objectif espéré.
Ainsi, parmi les mesures de la SNA, la N° 20 entend faciliter « l’accès à l’emploi » pour les diplômés en architecture et en paysage, autrement dit préparer leur employabilité durant leurs études, ce qui en fera sans doute des conquérants. Pourtant, que je sache, l’étudiant(e) un peu doué(e) et/ou motivé(e) qui souhaite faire de l’architecture et qui sort diplômé(e) n’a aucun mal à trouver du travail. Ce ne sera peut-être pas très bien payé mais il ou elle aura du boulot et pourra poursuivre son apprentissage à l’autre bout du monde ou dans des petites villes et villages de province si tel est son goût et son désir. Alors, de l’accès à quels emplois s’agit-il ? « Compte tenu de la diversification des perspectives professionnelles, des évolutions dans la formation initiale ou continue, des mesures dédiées à l’accès à l’emploi doivent être développées », précise le ministère.
De quelles perspectives est-il donc question pour Rachida Dati qui, dès le début de son discours, explique que cette stratégie « doit mieux accompagner celles et ceux qui font ou veulent faire de l’architecture l’essence de leur métier » ? Très bien. Qu’est donc selon elle l’essence du métier d’architecte ? C’est apparemment pour la ministre encore une interrogation puisqu’elle indique (axe 4) que « des réflexions pourront notamment être conduites autour du port du titre, ou encore de la reconnaissance des compétences professionnelles ». Parce que le diplôme tel que nous le connaissons aujourd’hui ne serait pas adéquat ? Le DPLG, c’était mieux ?
Nonobstant les discussions à ce sujet qui « pourront », au futur, être envisagées, il convient en effet de se poser la question du titre et de ces nouveaux emplois de l’architecture. Quand le Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA), dont la mission est justement la protection du titre, fait lui-même la promotion de l’« Architecte Accompagnateur Rénov’ »,* promeut-il l’essence du métier ? Est-ce à cela que doivent aspirer les prochains architectes ruraux pionniers de territoires en friche loin de toute gare et toute autoroute ? Accompagnateur Rénov’… Une fuite d’eau dans la salle de bains ? S.O.S. Architectes ! La chaudière en panne ? S.O.S. Architectes ! Mieux qu’une maison médicale ! En tout cas, selon la ministre, « une ressource sur les derniers kilomètres de tous les territoires ».
L’Ordre recommande d’ailleurs aux « architectes » en titre qui déposent une demande d’agrément de suivre une formation Mon Accompagnateur Rénov’ et Fee Bat Dynamoe1, qui permet de faire « l’audit énergétique de maison individuelle ». Trop fort sans doute pour un architecte l’audit énergétique d’une maison individuelle, ce n’est pas comme s’il s’agissait d’une tour à La Défense.
En effet, si la Prime Renov’ a sans doute besoin d’accompagnateurs qualifiés, après cinq ans d’études, c’est une destination désespérante pour les jeunes impétrants au noble art et du temps et des moyens perdus pour les ENSA-P. Ouvrir les écoles à la diversité des étudiants, notamment ceux venant de formations techniques ou artisanales, oui, mais pour autant augmenter le nombre d’étudiants – dans nos écoles déjà bien mal financées, et cela ne va pas aller en s’arrangeant – n’est pas la solution pour faire rayonner la France à l’international selon le vœu de la ministre. Exporter l’accompagnateur Renov’ s’annonce en effet comme une entreprise difficile.
Certes, les études d’architecture sont une opportunité d’ouverture sur tous les champs de la société mais le titre, puisqu’il en est question, ne devrait-il pas faire la distinction entre l’architecte qui construit un hôpital, une école, 23 logements, une folie, avec toutes les responsabilités qui lui incombent, et l’« architecte » qui ne construit rien ? Cette question de ce que signifie être architecte en son essence une fois clarifiée par la ministre, il sera alors toujours temps pour l’État de distribuer les ressources là où elles sont le plus utiles en fonction des objectifs et pour les écoles de faire preuve d’exigence pour la formation des architectes amenés à concevoir et construire dans le monde de demain.
En tout état de cause, à l’usage de ceux pour qui l’essence du métier importe, la ministre a prévu (Mesure 13) d’« accompagner et renouveler la commande architecturale et urbaine ». « Ce renouvellement passera par une analyse poussée de l’impact des dispositifs existants sur la construction, et la maîtrise d’œuvre (bilan des marchés globaux, conception réalisation) ». Un bilan des marchés globaux et de la conception-réalisation par le ministère de la Culture ??? C’est Julien de Normandie, ancien ministre du logement (2018-2020) et auteur de la loi ELAN, qui doit être ravi.
Droit d’inventaire ou serait-ce ici, discrètement, de la part du gouvernement un timide début de mea culpa puisque le pays n’a jamais construit si peu de logements, que la commande publique n’a jamais été aussi faible et désemparée tandis que le secteur du bâtiment, les architectes avec eux, vit une crise sans précédent ? Rachida Dati n’imagine quand même pas détricoter le grand œuvre de Vulcain ex-Jupiter au pouvoir depuis huit ans, ce serait inélégant, même face à l’évidence. Pas d’inquiétude en vérité car ce renouvellement passe par « la mise en place d’un cercle de la maîtrise d’ouvrage et d’entreprises [qui] renforcera le dialogue entre l’ensemble des acteurs qui seront réunis chaque année pour échanger et diffuser les bonnes pratiques ». Ha parce que ceux-là ne se voient pas au SIMI, au MIPIM et dans les couloirs de l’Assemblée nationale et des ministères pour papoter de leurs bonnes pratiques ?
Pour conclure, ce qui peut apparaître comme une bonne nouvelle pour l’avenir des futurs diplômés, Rachida Dati indique que cette « stratégie pour l’architecture repose sur le constat de la nécessaire mobilisation interministérielle ». Le constat est ancien, le besoin irréfutable, la mise en œuvre incertaine et jamais vue à ce jour. Roselyne Bachelot, ministre de la Culture de juillet 2020 à mai 2022, y a cru aussi… une minute.
Christophe Leray