Ethel Hazel a donné du sien pour découvrir le modus operandi de Dubois l’architecte. Lequel, en attendant se la coule douce au Brésil avec Gloria, architecte et blonde aux yeux bleus comme les affectionne Dubois le tueur. Autour de lui les meurtres s’accumulent et Aïda la policière acharnée a du mal à suivre sa trace.
Psychanalyse de l’architecte : les personnages à l’œuvre
Relire le prologue de la saison 7 (et le résumé des saisons précédentes)
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« Je suis persuadé que les bâtiments devraient parler ».
Richard Meier
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Jeudi, 5h00 (heure locale) – São Paulo, Brésil
Dans les pages locales du Folha de São Paulo (Feuille de São Paulo), une brève intitulée : Morte suspeita no Hotel Arpoador (Mort suspecte à l’hôtel Arpoador).
Fica agora apurado que Augustinha Dos Santos, 33 anos, solteira, jovem loira de olhos azuis, trabalhadora de lingerie, cujo corpo foi encontrado no domingo, às 7h50 da manhã de ontem, na lavanderia do Arpoador, famoso 5* hotel localizado na Avenida Paulista, 508, foi assassinado. Segundo a polícia, a autópsia revelou a presença de alto teor de álcool e GHB no sangue e a vítima teria tido relações sexuais antes… ou mesmo depois de sua morte. De acordo com patologistas forenses, ela foi drogada, estuprada, depois deixada inconsciente e morreu de overdose de GHB e álcool. No entanto, as circunstâncias da morte permanecem misteriosas. O acesso à lavandaria, na cave, é difícil para quem não conhece a zona. No entanto, nenhum dos funcionários que tiveram acesso a ele, como atestam os registros de seus crachás, é suspeito, todos com álibis sólidos. Porém, o assassino tinha acesso ao porão e para isso precisava conhecer perfeitamente o local. Mas porque é que um simples violador – agora um assassino – tomaria todos estes cuidados e patrulharia antecipadamente, num local particularmente vigiado, para atacar Augustinha Dos Santos, solteiro, desconhecido da polícia, com um exemplar e cuja comitiva não conhece inimigos? Por que atacá-lo ali mesmo, na lavanderia? Quem poderia culpá-lo tanto? Tantas perguntas ainda sem resposta. Você tem informações adicionais? Ligue para (11) 3224 9030. Discrição garantida. Recompensa por qualquer informação útil.
Il est établi désormais qu’Augustinha Dos Santos, 33 ans, célibataire, jeune femme blonde aux yeux bleus, employée à la lingerie, dont le corps a été retrouvé dimanche à 7h50 dans la buanderie de l’Arpoador, célèbre hôtel 5* situé au 508 Avenida Paulista, a été assassinée. Selon la police, l’autopsie a révélé la présence dans le sang d’un grand taux d’alcool et de GHB et la victime aurait eu un rapport sexuel avant… voire après son décès. D’après les légistes, elle aurait donc été droguée, violée, puis laissée inconsciente et serait décédée d’une overdose de GHB et d’alcool. Cependant, les circonstances du décès demeurent mystérieuses. L’accès à la lingerie, en sous-sol, est difficile pour qui ne connaît pas les lieux. Pour autant aucun des employés qui y avaient accès, ce dont les relevés de leurs badges témoignent, n’est soupçonné, tous disposant de solides alibis. L’assassin avait pourtant accès au sous-sol et pour cela devait connaître parfaitement les lieux. Mais pourquoi un simple violeur – désormais meurtrier – prendrait-il toutes ces précautions et ces repérages en amont, dans un lieu particulièrement surveillé, pour s’en prendre à Augustinha Dos Santos, célibataire, inconnue des services de police, à la vie exemplaire et dont l’entourage ne lui connaît aucun ennemi ? Pourquoi l’attaquer justement là, dans la buanderie ? Qui pouvait bien lui en vouloir à ce point ? Autant de questions encore sans réponse. Si vous disposez d’informations supplémentaires ? Appelez au (11) 3224 9030. Discrétion assurée. Récompense pour toute information utile.
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Jeudi 14h15 (heure française), dans le bureau de Dr. Nut
Le standard : Patron, un coup de fil d’un journaliste italien, il veut parler au chef du 22, le service des disparitions inquiétantes.
– Passez le moi, soupire Dr. Nut.
– Allo ?
– Si, allo (accent italien). Je m’appelle Lorenzo Antonetti et je travaille pour La Stampa, le plus grand quotidien de Turin.
– Bonjour, je suis l’inspecteur Nutello, que puis-je faire pour vous ?
– Nutello ?
– Oui mais on m’appelle Dr. Nut. Que puis-je faire pour vous ?
– Mi scusi. Voilà, j’enquête sur la mort étrange d’une Gina Rossi. Son nom vous dit quelque chose ?
– Pas comme ça. Pourquoi m’appelez-vous ?
– Voilà. Le corps de Gina Rossi – elle aurait aujourd’hui 33 ans – a été retrouvé en août 2022 sur l’autel de l’église San Tommaso, Via Monte di Pietà, à Turin. Le cadavre était enveloppé d’un sac mortuaire réfrigérant, comme ceux que vous utilisez pour acheter des surgelés…
– Je ne mange que des sandwiches…
– Si, mi scusi, je me dépêche. Cette mort est suspecte et j’ai appris que Gina avait disparu à Paris vers décembre 2018. Alors je me demandais si vous-même ou quelqu’un dans votre service saviez quelque chose à son sujet.
– Comment dites-vous qu’elle s’appelle…
– Gina Rossi, née à Turin le 10 août 1991, une architecte, des cheveux blond vénitien, des yeux bleus.
– Comment savez-vous qu’elle a disparu à Paris ?
– Parce que j’ai identifié sa dernière adresse connue : 224 rue Saint-Jacques, Paris (Ve). Et c’était en 2018 ! Et son corps réapparaît en 2022 à Turin ? Personne ne semble savoir ce qu’elle a fait entre-temps ni ce qu’elle est devenue ni même quand elle est décédée, vraisemblablement assassinée, si vous me demandez mon avis. J’ai aussi pu établir que son dernier emploi connu avant sa disparition était cheffe de projet au sein de l’agence Dupont&Dubois, sise à Paris (XIe), 6 Cité de l’ameublement.
– Hum… (Dr. Nut tente de garder le contrôle de ses émotions). Je vois. Écoutez, son nom ne me dit rien mais si je peux vous être utile, laissez-moi rapidement scanner son nom dans nos fichiers. Vous pouvez me l’épeler ?
– Si. G I N A R O S S I.
– Gina Rossi, bien, donnez-moi quelques minutes…
Dans le silence de l’attente, Lorenzo Antonetti entend le policier crier : « Hey les gars, une Gina Rossi, une italienne, ça vous dit quelque chose ? ». Puis Dr. Nut reprend la conversation.
– Allo, vous êtes toujours-là ?
– Si.
– Bon, vous avez entendu, ce nom ne dit rien à mes gars et il n’apparaît pas sur ma liste des personnes recherchées. Je ne vois ni signalement pour disparition inquiétante ni plainte, ni demande de recherches par quiconque. Elle n’a apparemment commis aucun délit… Bref, son nom est parfaitement inconnu de nos services. Désolé de ne pouvoir vous en dire plus. Vous savez, à Paris, des femmes disparaissent tous les jours.
– Je m’en doute, à Turin aussi, soupire Lorenzon Antonetti. grazie mille en tout cas de votre obligeance.
– De rien, tenez-moi au courant si vous trouvez la clef du mystère.
– Si, je n’y manquerai pas.
Clic
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Jeudi, 22h35, dans la cuisine d’Ethel
Ethel Hazel vient de regarder une nouvelle fois Psychose d’Alfred Hitchcock et a fait une découverte à laquelle elle ne s’attendait pas. Du coup elle s’installe dans sa cuisine et, presque fébrile, allume son ordinateur et reprend la rédaction de son article.
SYNDROME DE LA BELLE AU BOIS DORMANT DE L’ARCHITECTE DUBOIS
Le modus operandi des meurtres
Je n’avais jamais fait attention à ce détail mais le hobby de Norman Bates dans le film Psychose d’Alfred Hitchcock est la taxidermie soit « l’art de préparer les animaux morts pour les conserver avec l’apparence de la vie ». Or, lors de nos séances Dubois a mentionné Norman Bates à plusieurs reprises. L’architecte sait sans doute depuis longtemps qu’elle est la passion de Norman Bates, qui n’est pas de tuer. Dubois n’est-il pas justement lui-même une sorte de taxidermiste « conservant le corps de ses victimes en leur gardant l’apparence de la vie ? » En faisant des recherches, j’ai trouvé d’ailleurs que le mot lui-même provient du grec ancien táxis (ordre, arrangement) et dérma (la peau !!!). La peau dont nous avons vu que l’architecte fait grand cas. Le fait est que tout taxidermiste qu’il était, les pulsions de Norman Bates étaient sauvages, ce n’est pas le cas pour Dubois qui, de façon générale, évite les effusions de sang. Nous reviendrons sur la façon dont l’architecte et taxidermiste Dubois conserve les corps mais il convient désormais dans le cadre de cet article de décrire le plus précisément possible son modus operandi.
En préambule, il me faut insister sur l’un des biais fondamentaux de cet article : j’ai survécu ! Cela est suffisamment inhabituel dans le cadre des agissements de Dubois que ma seule expérience ne peut valoir démonstration mais il demeure que c’est ainsi que j’ai découvert comment il tue ses victimes.
De fait, je me souviens d’une séance interrompue sur l’évocation par Dubois de sa nuit passée avec moi. « Une première », avait-il dit. Une première pourquoi ? Parce que j’ai survécu ? En ce cas, pourquoi ai-je survécu ? Parce que j’étais consentante ? Parce que j’ai aimé ça ? Avais-je voulu me suicider en invitant Dubois chez moi ? « L’amour est un genre de suicide », explique Jacques Lacan ! Ethel frémit de sa propre introspection. Attention, prudence, reprenons.
Pourquoi ai-je survécu ? Dubois ne m’en a jamais expliqué les raisons mais j’aime à penser que l’analyse, voire la thérapeute, lui est devenue indispensable. Les Belles au bois dormant qu’il conserve sont muettes pour l’éternité et si je suis certaine que Dubois appréciait leur conversation, avec qui peut-il désormais discuter, exprimer ses pulsions les plus profondes, même si c’est de manière alambiquée en parlant de son métier, sinon avec moi ? Une intuition confirmée puisque la seconde nuit passée en sa compagnie s’est déroulée peu ou prou comme la première et que je ne me suis plus sentie en danger…
Mon Dieu, comment expliquer l’intense ambiguïté mêlée de plaisir et d’horreur que j’ai ressentie cette seconde fois, quand je n’avais plus peur ? Ok, essayons de présenter cela de la façon la plus neutre et professionnelle qui soit.
Dubois a mis longtemps, plusieurs saisons, avant de se rapprocher de moi, c’est tout juste si le transfert ne fonctionnait pas dans le bon sens. Mais j’avais eu le temps de commencer à le déchiffrer et, sans en avoir encore la preuve formelle, je le savais tueur en série de femmes blondes aux yeux bleus. J’étais donc le parfait sujet d’expérimentation. C’était en tout cas pour tous les deux en parfaite connaissance de cause que nous étions convenus de nous retrouver dans mon appartement. C’était le mardi 30 août 2022.
Durant le dîner – au champagne mais je ne sais pas si la précision est utile – il n’a pas esquivé mes questions et m’a semblé donner des réponses sans équivoque. Je ne prenais évidemment pas de notes et…
Après plusieurs bouteilles de champagne, rassurée, je n’avais pas résisté, me soumettant à son charme de bonne grâce. « Désir professionnel », je me souviens m’être dit, amusée, même si j’aurais été bien en peine d’en expliquer la signification à mes professeurs. Je me souviens encore des préliminaires, de la tendresse de Dubois, de son émotion sincère à découvrir mon corps, comme s’il n’avait jamais vu personne comme moi auparavant, moi qui avais toujours pensé disposer d’un physique quelconque. Je me souviens même de ma joie, moi si solitaire le plus souvent, d’être dans les bras d’un homme aimant. Résumons.
Après des préliminaires plutôt convenus, Dubois est entré en moi sans violence mais avec détermination. Le corps ouvert, consentante, j’ai ressenti un plaisir bientôt intense et bientôt déroutant, l’architecte se faisant insistant, puissant, bang, bang, bang, de plus en plus impérieux, il avait soudain l’air immense. Son regard, le dernier dont je me souviens, loin d’être halluciné comme celui de Norman Bates interprété par Anthony Hopkins, était chaleureux, doux, bienveillant, encourageant… augmentant encore le paradoxe de la situation. Gémissante, je me trouvais brusquement à bout de souffle. Je sentais sur mon visage une odeur rassurante, la mienne, celle de mon oreiller. Et l’architecte, bang, bang, bang, la jouissance, la mienne, mais j’étouffe. Tant d’ailleurs que son cerveau commence à manquer d’oxygène, je tente de me débattre mais l’oreiller à l’odeur rassurante se fait plus pressant encore tandis que l’architecte, me maintenant avec des mains fermes, m’emmenait Bang, bang, bang vers un paroxysme tout proche… Mon corps se rebelle, je gémis, je veux crier sans y parvenir, j’étouffe, mes poumons brûlent, je me débats tandis que mon cerveau en manque d’oxygène devient fou, ne sachant plus comment résoudre l’ambiguïté du plaisir impossible à contenir et l’instinct de survie… Je me suis sentie défaillir, mon corps n’offrant plus aucune résistance.
Je me suis réveillée en sueur dans mon lit, seule, haletante, inspirant de grandes bouffées d’air comme si ma vie en dépendait. Plusieurs heures avaient passé. M’avait-il droguée ? Toujours est-il que je ne me souviens pas du reste. Drogue-t-il ses victimes ? Pour ma part, je me suis réveillée vivante avec une certitude : je savais comment il les tue ! À noter enfin que, la seconde fois, je me suis réveillée plus vite et plus facilement que lors de la première, comme un patient qui prendrait l’habitude de se réveiller d’une anesthésie. Il ne m’avait pas battue et je n’étais pas blessée !
Dois-je dire qu’il me manque ? Certainement pas ici ! Devrais-je tenter, au moins tenter, de prévenir cette Gloria de ce qui l’attend ? Et que se passe-t-il si elle survit à son tour ? Bon, ce n’est pas le moment de parler de ça dans cet article. Pour la suite, en fonction du résultat, je verrai bien avec Hollywood !
(À suivre)
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Vendredi, 11h32, dans le bureau de Dr. Nut
Dr. Nut s’est souvenu d’une remarque d’Etehl Hazel, la psy de Dubois, qu’il a réussi plus ou moins à corroborer : « ses victimes semblent vieillir avec lui », avait-elle noté. Alors il a fait ses calculs : elles sont donc environ 18 millions entre 40 à 54 ans, la tranche d’âge de Dubois, en 2024. Mettons que 20 % soit des blondes, cela équivaut à 3,6 millions de cibles potentielles pour Dubois !!!! Combien d’architectes parmi elles ? Il a découvert qu’il y a en France environ 44 architectes inscrits à l’Ordre pour 100 000 habitants. Mettons que 15 sont des femmes et 4 parmi elles sont des blondes, cela fait quand même plus de 2 500 cibles qui, sans s’en rendre compte courent un vrai danger, au moins 1 500 dans sa tranche d’âge.
« Et encore je ne m’occupe pas que des architectes », pense-t-il. Et encore ne s’occupent-il pas des féminicides qui se comptent par centaines. Au moins, en cherchant des personnes disparues, Dr. Nut a toujours l’espoir de les retrouver vivantes. C’est aussi, il le sait, ce qui anime son équipe. Les meurtres clairs et nets, ce n’est pas non plus leur affaire. Non, ce qui caractérise son métier, et sans doute ce qui le caractérise lui-même, c’est l’inquiétude, le fait de ne pas savoir. C’est le mystère qui engendre l’horreur. Après un meurtre, même si elle a beaucoup souffert, la victime ne souffre plus. Mais quand elle s’est volatilisée comme une chanson triste, qu’il n’y a pas de corps, le pire demeure imaginable jusqu’à ce qu’on la retrouve, morte ou vive. Et alors les policiers de la 22 peuvent aller se coucher. Mais il y en a tant… D’ailleurs Dr. Nut sait que la plupart des affaires liées à Dubois pourraient être prescrites ou faire l’objet d’un non-lieu depuis le temps. Il a la conviction que les victimes de Dubois sont mortes mais s’il passe le dossier à la Crim., des ‘cold cases’ comme ceux-là, le dossier sera refermé aussitôt ouvert.
C’est pourquoi le bureau de Dr. Nut est punaisé de multiples portraits, de toutes celles et ceux que son équipe cherche encore, pas seulement les victimes de Dubois, mais Dubois est leur Graal, le premier et le seul meurtrier en série qu’ils croiseront jamais. Celui-là est aussi formidable et meurtrier qu’il est retors. Surtout, Dr. Nut sait que Dubois l’architecte conserve quelques-unes de ses victimes. Mais comment ? Et où est son mausolée ? Ha, si ses bâtiments pouvaient parler…
(À suivre)
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Vendredi, 7h09 (heure de São Paulo), 12h09 (heure de Paris)
Aïda est installée sur le balcon de son auberge. Il fait déjà trop chaud et trop moite pour dormir plus longtemps, son ventilateur pas suffisant pour se rafraîchir. La prochaine fois je prends une chambre avec climatiseur, c’est insoutenable, se dit-elle. Elle a commandé au lobby un jus d’ananas qu’elle sirote en même temps qu’elle écrit son rapport qu’elle enverra par mail à Dr. Nut.
Bonjour Chef, j’espère que vous allez bien à Paris, surtout avec Dubois au loin. Ici il fait une chaleur épouvantable, le pays est sous les fumées des incendies et j’en viens à regretter la pluie parisienne. Plus sérieusement, voici où nous en sommes ici.
Piscinas naturais do Cachadaço
Nous sommes allés à Piscinas naturais do Cachadaço, une piscine naturelle dans un paysage idyllique, dès que Thiago fut informé de la découverte d’un corps de blonde aux yeux bleus. En arrivant sur place cependant, la police locale avait déjà évacué les lieux et le corps de la femme morte le matin même (Isabella da Rocinha) avait été emmené pour l’autopsie. Apparemment, ce n’était pour la police locale qu’une simple formalité. Le commissaire en charge de l’affaire nous a fait un rapide topo, nous montrant les photos de la scène du crime, les causes de la mort étant pour eux déjà établies : un féminicide.
« Un féminicide banal ». C’est ce que nous a dit le commissaire. (Banal ? Mais comment un féminicide peut-il devenir banal ? pense Aïda. Comment en sommes-nous arrivés au fait qu’on considère qu’il est « banal » de massacrer sa femme ? J’espère ne jamais formuler une telle ignominie, même après 30 ans de carrière dans la police).
La veille, Isabella et son conjoint Marcello étaient à Trindade, village à proximité des Piscinas naturais do Cachadaço. Ils avaient loué du matériel de camping à leur auberge dans le but de passer la nuit sur la plage paradisiaque du Cachadaço, sauf que pour Isabella celle-ci s’est transformée en cauchemar. Ce sont des randonneurs qui ont retrouvé son corps sans vie jeudi à l’aube et ont alerté la police.
Le patron de l’auberge a expliqué que Marcello, qui avait commencé à boire, et Isabella se sont longuement disputés avant de partir, Isabella aurait apparemment préféré rester à l’hôtel. Bref, les photos montrent un corps ayant subi d’atroces violences : des ecchymoses et contusions jonchant tout le corps, de la tête au bas-ventre. Son visage était ensanglanté et la courbure de son nez montrait une fracture. Des marques plus prononcées, violettes, étaient présentes sur ses avant-bras indiquant qu’elle a certainement tenté de se défendre. Autour de son cou, de profondes traces rouges et bleues sont sans équivoque et témoignent d’une strangulation.
À l’arrivée des randonneurs le mari avait disparu, laissant sur place tous leurs effets personnels, ce qui a permis à la police d’identifier le corps et de refaire très rapidement l’historique des dernières heures de vie d’Isabella.
Son conjoint Marcello da Rocinha, qui dirige une entreprise de construction, est recherché dans les Etats de São Paulo et Rio de Janeiro.
Ci-après le récapitulatif ; en pj les photos qu’on a réussi à récupérer.
Nom : Isabella da Rocinha
Age : 49 ans
Profession : Institutrice
Jour du décès : Jeudi ….
Lieu du décès : Piscinas naturais do Cachadaço, Paraty, État de São Paulo
Description du corps : Ecchymoses, contusions, strangulation, fracture. Petite taille, corps charnu, cheveux courts blond châtain, yeux bleus.
Cause du décès : Étranglement et/ou coups.
(Aïda se surprend elle-même d’employer un tel ton neutre pour rédiger son compte rendu. Avait-elle imaginé en arrivant au Brésil découvrir autant de corps et faire des fiches récapitulatives de femmes mortes ? Les décrire avec cette objectivité lui permet, du moins elle l’espère, de mettre une distance suffisante entre elle et ces corps martyrisés. Ce qu’elle ne dit ni à Dr. Nut ni à Thiago, ni à personne d’ailleurs, est que toutes ces femmes hantent désormais ses nuits. Même si elle ne les a jamais rencontrées, elle les revoit en vie, souriantes, avant que Dubois ne se jette sur elles comme un vampire sur ses proies. Toutes les nuits, Aïda se réveille en sursaut, respirant à pleins poumons : est-elle bien vivante ? Oui ! Mais Gloria ? et ces femmes ? )
Nous n’avons parlé à personne de Dubois, là Thiago m’a fait passer pour une chercheuse – statisticienne – mais cette fois-ci j’ai senti le commissaire circonspect : pourquoi une enquêtrice française s’intéresserait-elle à cette affaire qui n’est pour eux qu’un féminicide de plus au fin fond de l’État de São Paulo ? « Comment êtes-vous arrivés si vite », a-t-il demandé, suspicieux, à Thiago qui a dû trouver un mensonge si peu adéquat qu’il n’a guère convaincu le fonctionnaire. Aussi, pas de passage à la morgue pour cette fois, nous essayons de nous faire discrets.
(Encore faudrait-il qu’il cesse de pleuvoir des cadavres. Comment est-ce possible ? Cela ne peut pas être de simples coïncidences mais nous n’avions jamais imaginé Dubois si, comment dire…, vorace ? Est-il devenu un monstre ? Et Gloria là-dedans ?)
Qu’en pensez-vous ? Féminicide ? Ou bien est-ce l’œuvre de Dubois ?
Après tout elle est peut-être morte comme Anastassia, étranglée par Dubois avec du fil à pêche… Et son mari disparu, peut-être est-ce aussi l’œuvre de Dubois puisque nous savons qu’il peut tuer des hommes à l’occasion.
Paraty
« Paraty, port préservé, à mi-chemin entre Rio et São Paulo, est la porte d’entrée de la ‘côte verte’ brésilienne. Architecture coloniale, nature foisonnante et bonne chère font partie de ses atouts charme », indique la brochure. Petit paradis donc…
Bref, nous sommes arrivés à Paraty hier en fin de journée. Cette fois-ci, j’ai trouvé facilement un projet d’architecture de Gloria : un restaurant de cuisine gastronomique en plein cœur de la vieille ville. On a déniché une auberge dans la même rue et j’ai pris une chambre avec balcon et vue sur la terrasse du restau. On ne devrait pas avoir de mal cette fois à les retrouver et les surveiller.
(Pour autant, j’espère qu’ils ont bien suivi le programme indiqué par Gloria au gars de Pinciguaba et qu’ils sont bien venus à Paraty, sinon on est foutus. Ok, pas besoin de dire ça au chef).
A +
Aïda
(À suivre)
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Samedi, 5h00 (heure locale) – Turin, Italie
Dans les pages locales de La Stampa, principal journal de Turin, à la rubrique Faits divers, un article signé Lorenzo Antonetti et titré : Sullo sfondo lo spettro di Gina Rossi (Le spectre de Gina Rossi en filigrane)
L’inchiesta sulla morte di Gina Rossi è in un vicolo cieco. Per la cronaca, il corpo, apparentemente mirabilmente conservato, di Gina Rossi, una bella donna bionda con gli occhi azzurri, nata a Torino il 10 agosto 1991 e di professione architetto, è stato ritrovato sull’altare della chiesa di San Tommaso, in via Monte di Pietà, a Torino nell’agosto 2022. Dopo aver ritrovato il suo ultimo indirizzo conosciuto a Parigi, le nostre indagini ci hanno portato dal dottor Nutello, capo della sezione ricerche Parigi sulle sparizioni inquietanti, il quale ci ha spiegato che Gina Rossi era totalmente sconosciuta ai suoi servizi, senza notizia di una scomparsa preoccupante né richiesta di ricerche da parte di alcuno.Raggiunta telefonicamente, Madeleine Dupont, ancora oggi direttrice del suo studio di architettura a Parigi e ultimo datore di lavoro di Gina Rossi, ha spiegato che “la giovane italiana era un architetto molto, molto bravo” ma che l’agenzia avendo conosciuto nel 2018 difficoltà finanziarie “abbiamo dovuto , con rammarico, separatene”. Secondo il regista, Gina Rossi aveva avvertito di un imminente viaggio in Sud America, in Perù, come lei ricorda. “No, non abbiamo più avuto sue notizie dopo che se n’è andato”, dice, triste nel sentire la notizia della sua morte. Dopo una rapida ricerca tra i suoi appunti, ricorda di aver visto Gina per l’ultima volta il 18 dicembre 2018. Sarebbe stata l’ultima a vederla viva? Insomma, sappiamo che Gina è scomparsa a Parigi ma le poche piste che abbiamo non sembrano portare da nessuna parte. Uno spettro di Gina Rossi? Tuttavia esiste poiché è sepolta nel terreno di famiglia del Cimitero Monumentale. Se avete informazioni su questa strana vicenda chiamate il giornale allo 0116568304. Discrezione assicurata. Premio per qualsiasi informazione utile.
L’enquête sur la mort de Gina Rossi dans une impasse. Pour mémoire, le corps, apparemment admirablement préservé de Gina Rossi, jolie femme blonde aux yeux bleus, née à Turin le 10 août 1991 et architecte de son état, a été retrouvé sur l’autel de l’église San Tommaso, Via Monte di Pietà, à Turin en août 2022. Après avoir déniché à Paris sa dernière adresse connue, notre enquête nous a menés jusqu’au Dr. Nutello, patron de la section de recherches des disparitions inquiétantes de Paris, qui nous a expliqué que Gina Rossi était totalement inconnue de ses services, que n’apparaissait ni signalement pour disparition inquiétante ni demande de recherches par quiconque. Jointe par téléphone, Madeleine Dupont, aujourd’hui encore dirigeante de son agence d’architecture à Paris et dernier employeur de Gina Rossi, a expliqué que la « jeune italienne était une très très bonne architecte » mais que l’agence ayant connu en 2018 des difficultés financières « nous avons dû, à regret, nous en séparer » au mois de décembre. Selon la directrice, Gina Rossi avait prévenu d’un prochain voyage en Amérique du Sud, au Pérou croit-elle se souvenir. « Non, nous n’avons plus jamais eu de nouvelles de sa part après son départ », dit-elle, triste d’apprendre la nouvelle de sa mort. Serait-elle la dernière à l’avoir vue vivante ? En somme, nous savons que Gina a disparu à Paris mais les quelques pistes dont nous disposions ne semblent mener nulle part. Un spectre Gina Rossi ? Elle a bien existé pourtant puisqu’elle est enterrée dans le carré familial du Cimetière Monumental. Si vous disposez d’informations au sujet de cette étrange affaire, appelez le journal au 0116568304. Discrétion assurée. Récompense pour toute information utile.
(À suivre)
Dr. Nut (avec les notes d’Ethel Hazel)
Aïda Ash (avec les notes de Dr. Nut)
* En librairie L’architecte en garde à vue
* En librairie, Le fantôme de Gina
Retrouver tous les épisodes de la saison 7 (Le syndrome de la Belle au bois dormant)
Retrouvez tous les épisodes de la saison 6 (Le Fantôme de Gina)
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