Ethel, sa psychanalyste, suit à la trace Dubois l’architecte en vacance avec Gloria. Dr. Nut fait connaissance avec les « évaporés », Aïda poursuit sa filature de moins en moins discrète.
Psychanalyse de l’architecte : les personnages à l’œuvre
Relire le prologue de la saison 7 (et le résumé des saisons précédentes)
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« La différence entre un bon et un mauvais architecte réside en ce que le mauvais succombe à toutes les tentations quand le bon leur tient tête »
Ludwig Wittgenstein
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Mardi, 5h00 (heure locale) – Brasilia, Brésil
Dans les pages locales du Diário Catarinense (« Quotidien de Santa Catarina »), un article signé Bianca Bertoldi et titré : Novas reviravoltas : Dubois, o arquiteto, um caso extenso? (Nouveaux rebondissements : Dubois l’architecte, une affaire tentaculaire ?)
Brasília (Correspondente Especial) – Apesar do pânico da imprensa sensacionalista carioca, agora parece possível estimar que o arquiteto Dubois nada tem a ver com os assassinatos que lhe são atribuídos desde sua chegada ao Brasil. Pelo menos aqueles que ganharam as manchetes e as redes sociais nos últimos dias. Aliás, explicamos no nosso artigo anterior que Isabella da Rocinha, nas Piscinas Naturais do Cachadaço, foi vítima de feminicídio. Quanto a Augustinha Dos Santos, assassinada no hotel 5* em São Paulo onde Dubois e sua companheira Glória da Silva estavam hospedados, a polícia está no encalço de um colega hostil e malicioso. Finalmente em Paraty, quando a senhora idosa – cujo nome não revelamos por consideração à sua família – cometeu suicídio. Naquela época havia centenas de turistas nas ruas de Paraty, entre eles o arquiteto Dubois e Glória. Apenas a descoberta do corpo de Léonie Meunier, uma francesa de 45 anos, na praia perto de onde Dubois morava permanece inexplicável, mas pode vir a ser uma coincidência. No entanto, foi esta descoberta que lançou a investigação quando o nosso jornal descobriu que uma policial francesa, vinda especialmente de Paris, parecia interessada no caso. A princípio acreditei que Léonie Meunier era a razão de sua vinda, apenas para perceber mais tarde que a polícia francesa não estava interessada em Léonie Meunier, mas em Dubois. Estranho, não é? Porém, embora os fatos pareçam exonerá-lo de qualquer ato criminoso cometido aqui no Brasil, nosso correspondente na Itália, Lorenzo Antonetti, nos explicou que estava investigando os estranhos desaparecimentos de pelo menos duas arquitetas italianas – Gina Rossi e Anna Rizzo – que supostamente trabalhou na agência de Dubois antes de desaparecer. Coincidências de novo? Será este o mesmo Dubois, um nome bastante comum em França, que encontramos cerca de trinta só entre arquitectos franceses? Ele realmente veio ao Brasil de férias? Qual o papel de Glória da Silva, também arquiteta? Ainda não temos as respostas para essas perguntas, mas elas não demorarão muito.
(Continua)
Brasilia (Envoyée spéciale) – Malgré la panique de la presse à sensation à Rio, il semble désormais possible d’estimer que Dubois l’architecte n’est pour rien dans les meurtres qui lui sont imputés depuis son arrivée au Brésil. Du moins ceux qui ont fait la Une des journaux et des réseaux sociaux ces derniers jours. En effet, nous avons expliqué dans notre article précédent qu’Isabella da Rocinha, à Piscinas naturais do Cachadaço, a été victime d’un féminicide. Pour ce qui concerne Augustinha Dos Santos, assassinée dans l’hôtel 5* de São Paulo où séjournaient Dubois et sa compagne Gloria da Silva, la police est sur la piste d’un collègue harceleur et malveillant. Enfin à Paraty, la vieille dame – dont nous ne révélons pas le nom par égard pour sa famille – s’est bel et bien suicidée. Il y avait d’ailleurs à ce moment-là des centaines de touristes dans les rues de Paraty, dont par hasard Dubois l’architecte et Gloria. Seule, la découverte sur une plage de Florianopolis du corps de Léonie Meunier, une Française de 45 ans, près de là où résidait Dubois reste encore inexpliquée mais pourrait se révéler une coïncidence. Pour autant, c’est cette découverte qui a lancé l’enquête quand notre journal a découvert qu’une policière française, venue spécialement de Paris, semblait s’intéresser à l’affaire. De croire au début que Léonie Meunier était la raison de sa venue pour m’apercevoir plus tard que la police française ne s’intéressait pas à Léonie Meunier mais à Dubois l’architecte. Étrange, n’est-ce pas ? Cependant, alors que les faits semblent le disculper de tout acte criminel commis ici au Brésil, notre correspondant en Italie, Lorenzo Antonetti, nous a expliqué enquêter pour sa part sur les étranges disparitions d’au moins deux architectes italiennes – Gina Rossi et Anna Rizzo – qui auraient travaillé dans l’agence de Dubois avant de disparaître. Coïncidences à nouveau ? S’agit-il du même Dubois ? C’est en effet un nom assez courant en France, nous en avons trouvé une trentaine rien que parmi les architectes. Ce Dubois est-il vraiment venu au Brésil en vacances ? Quel est le rôle de Gloria da Silva, également architecte ? Nous n’avons pas encore de réponses à ces questions mais elles ne sauraient tarder.
(À suivre)
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Mardi 9h (heure de Paris), dans le bureau d’Ethel Hazel
Ethel Hazel, s’est réveillée tôt pour aller chercher dans les journaux s’il y avait de nouvelles infos concernant Dubois. Elle s’est jetée avidement sur tous les nouveaux articles parus au Brésil – elle est devenue la reine de la traduction automatique – et l’un en particulier, signé le jour même d’une Bianca Bertoldi a attiré son attention car il mentionnait les noms de Gina Rossi et Anna Rizzo ; la psychanalyste a failli en tomber de sa chaise. Comment la journaliste avait-elle fait le lien ? Qui est donc ce correspondant italien ? Dr. Nut est-il au courant ? Sans doute, se dit-elle. Elle avait alors retrouvé toute une série d’articles de ce journaliste italien, dans La Stampa, le journal de Turin, « là-même où a été retrouvé le corps de Gina », se dit-elle. Habitée d’une excitation inquiète, plutôt que de rester à tourner en rond dans son appartement, elle est arrivée à son cabinet de bonne heure bien que son premier rendez-vous ne soit pas avant 11h. Une fois au bureau, ne sachant pas plus que faire d’elle-même, elle tente une fois de plus d’appréhender la dimension des évènements dont elle est témoin, ce qui l’invite à la rêverie. « Quelle histoire », se dit-elle ? « Et dire que j’ai couché, deux fois, avec un tueur en série, et pas n’importe lequel ! Si Hollywood n’aime pas cette histoire, c’est à n’y rien comprendre ». Penser à Hollywood lui donne enfin l’énergie dont elle avait besoin. « Avant de penser à Hollywood, il faut finir l’article », se dit-elle. Elle s’installe devant son ordinateur, armée d’un nouveau courage.
SYNDROME DE LA BELLE AU BOIS DORMANT DE L’ARCHITECTE DUBOIS
La première fois
Je suis partie du principe de « la première fois », il y en a toujours une, en essayant de déterminer l’élément déclencheur qui a fait de Dubois l’architecte un tueur en série. Atteindre cet élément déclencheur, et le comprendre, serait un grand pas en vue d’une éventuelle guérison, me disais-je.
Rien qu’en écrivant ces mots « première fois », Ethel Hazel ne peux s’empêcher de penser à sa première fois avec Dubois et à l’effarante ambiguïté de son cerveau incapable de choisir, sous l’étreinte implacable de l’architecte, entre la jouissance et la mort. La mémoire de ce moment l’envahit alors avec une telle force qu’elle s’en veut pour un instant de n’être pas chez elle pour se plonger le visage dans son oreiller. Un soupir sort de sa bouche. Elle en tremble presque. « Reste concentrée », se dit-elle enfin.
Pour déterminer pourquoi Dubois passe à l’acte, il y a certes le fait que ses futures victimes le quittent, en quelque sorte, mais avant qu’elles ne disparaissent, il en fait généralement l’éloge, et un éloge sincère. Pour les plus jeunes, il est fier de les former et se dit fier d’elles, même s’il avoue facilement qu’il n’a souvent plus de nouvelles d’aucune d’entre elles, des disparitions qu’il rationalise à chaque fois tout aussi facilement. Serait-il jaloux de leur intelligence et de leur créativité, voire de leur beauté, qu’il ne se cache pas d’admirer même si cela ne se voit sans doute pas pendant les heures de bureau ? Est-ce la jalousie, qui l’inciterait à provoquer la rupture pour en finir avec elles, ou est-ce de la rancune, et il les tuerait parce qu’elles s’en vont ?
Ethel est distraite. La jalousie est un sentiment qu’elle a déjà éprouvé même si elle s’en défend. Surtout avant d’avoir fait l’expérience et survécu à une nuit avec Dubois. Elle sait de plus que la jalousie est, pour citer le Larousse, un « sentiment fondé sur le désir de posséder la personne aimée et sur la crainte de la perdre au profit d’un rival ». « Cela signifie-t-il que j’aime Dubois l’architecte ? », se demande-t-elle ? Non, elle éprouve du désir quand elle pense à lui mais elle ne l’aime pas, elle éprouve d’ailleurs parfois à son égard une forme de haine, et elle ne craint nulle rivale puisque, pour cela, elle peut compter sur Dubois pour les éliminer au fur et à mesure. Non la jalousie, l’envie plutôt, a trait à son mode de vie : il est créatif, maître de lui-même, à l’aise financièrement, pouvant se permettre tout un tas d’aventures – c’est le cas de le dire – et de voyager dans des pays exotiques comme bon lui semble. Tandis que sa vie à elle… Elle vit désormais cloîtrée entre son appartement, son bureau et ses patients sans pouvoir se départir de sa mélancolie. Pour autant, elle a le sentiment que sa solitude est le miroir de celle de l’architecte, car est forcément solitaire celui dont le désir à peine assouvi est déjà renouvelé pour un nouveau projet. Elle est certaine que les architectes sont souvent victimes de cette envie – surtout qu’ils ont tendance à l’arrogance – et ce doit être pour ça qu’on a tendance à les dénigrer. Bref…
Pour répondre à cette question – jalousie ou rancune – j’ai donc tenté de déterminer à quel moment Dubois est passé à l’acte pour la première fois. Je ne connaissais pas encore l’existence de Claire, une camarade durant ses études d’architecture portée disparue depuis, une disparition confirmée par Dr. Nut et que l’architecte n’avait évoqué avec moi qu’en termes sybillins, comme habituellement. Je sais aujourd’hui que cela signifie donc que Dubois a commencé à tuer tôt, il y a presque 40 ans maintenant si l’on se fie à l’âge auquel il est rentré en école d’architecture. Savait-il ce qu’il faisait ? Avec ce que nous savons aujourd’hui, il est permis de penser qu’il a peut-être choisi d’étudier l’architecture justement pour pouvoir mener à bien ses projets criminels. Pour autant, Claire l’étudiante était-elle la première ? Avait-il, comme beaucoup de tueurs en série, commencé par les petites filles blondes à la maternelle, dont il faisait l’éloge auprès de ses maîtresses, ou en tuant des chats ou des grenouilles ? Je me souviens avoir tenté d’en avoir le cœur net lors d’une séance mémorable.
Question : À quel moment êtes-vous devenu ce que vous êtes, ce que vous êtes vraiment je veux dire ?
Citation (j’avais noté : Dubois rêveur) : Comment dire… Tout d’un coup, après la première fois, j’ai compris que je venais de faire quelque chose qui me séparait des autres et que c’était quelque chose qui ne pouvait jamais être défait. J’ai réalisé qu’à partir de ce moment-là, je ne pourrai plus jamais être comme les gens normaux. J’ai dû rester là dans cet état pendant vingt minutes. Je n’oublierai jamais ce sentiment. C’était comme si j’avais traversé une frontière pour pénétrer un royaume dont je ne pourrai jamais revenir. Mais je ne fais que paraphraser David Alan Gore.
Question : David Alain Gaure ? Un architecte ? (au moment de cette séance, je n’avais évidemment encore aucune idée de qui il s’agissait)
Citation : Non, David Alan Gore, pas un architecte, un ‘serial killer’. Je dis ‘serial killer’ car il est américain. Il a fini exécuté en Floride, je crois. Bref, il y a eu en effet un élément déclencheur.
J’avais déjà compris – même si j’étais encore loin de penser que je coucherai un jour, ou plutôt une nuit, ou plutôt deux nuits, avec lui – qu’avec sa psychanalyste, il parlait de son métier pour évoquer ses assassinats. Je pensais ce jour-là n’avoir jamais été aussi proche de la vérité, du moins celle de l’architecte dont je sais qu’elle peut avoir un rapport lointain avec la vérité quand ça l’arrange.
Question : Cet évènement traumatisant, c’était dans votre enfance ?
Citation : À l’adolescence plutôt. N’est-ce pas d’ailleurs la période des premiers émois ? Et puis, pourquoi traumatisant ? Je n’utiliserai pas ce mot. Votre premier modèle, la première maquette, exactement celle que vous vouliez, dans les moindres détails, est un intense moment de fierté, certes, mais rien de traumatisant.
Question : Qu’en avez-vous fait, de ce modèle ? (je me souviens encore des palpitations de mon cœur ce jour-là).
Citation : Quand ce fut fini, j’ai tout minutieusement remis en ordre, sans laisser aucune trace de mon passage.
Question : Pourquoi aucune trace ?
Citation : Parce que ce n’était qu’un début et que je ne suis pas un homme nostalgique. Je me plonge dans un projet passionnément, j’y consacre tout le temps et l’attention nécessaires, voire plus, et j’y mets du cœur, mais quand le projet est achevé, je le mets derrière moi et regarde vers le prochain. D’ailleurs, à l’agence, à part dans les archives évidemment, je ne garde pas d’autres preuves de l’existence de ces projets passés sinon le fait qu’ils sont physiquement construits quelque part, avec une adresse, et dans la mémoire de celui qui les a bâtis ou préservés.
Question : C’est suffisant la mémoire ? (quelle séance c’était, je m’en aperçois mieux maintenant en pensant aux corps des victimes de Dubois que l’on ne retrouve jamais).
Citation : C’est suffisant pour une vie d’homme. Au bout d’un moment, on en a trop des souvenirs, on ne sait plus qu’en faire alors on les range quelque part dans le cerveau, les mauvais vont perdre au fil du temps leur pouvoir de nuisance, les bons vont s’embellir à chaque fois d’y penser encore. Donc, je préfère ne rien garder sinon des souvenirs émouvants. Et ceux-là, tous ces projets réussis, sont bien au chaud et conservés précieusement. Même si je parle souvent de mes passions en termes de contraintes et d’indignations diverses, la réalité n’est pas aussi sombre et effrayante qu’il y paraît. Je m’amuse aussi beaucoup et le plaisir est, à l’occasion, trop rare hélas, particulièrement intense.
Il me faut donc ici reconnaître qu’en cinq ans je ne suis jamais parvenue à identifier ni la première fois de Dubois – je soupçonne que c’était avant même qu’il soit architecte – ni l’élément déclencheur de cette première fois. Force me faut-il également de constater que son sens du secret – « je ne laisse aucune trace » – se révèle d’une redoutable efficacité. Durant sa garde à vue, l’expérimenté Dr. Nut, n’a rien pu obtenir de lui à ce sujet non plus.
Ethel se souvient avoir appris en cours que nombre de secrets avoués déçoivent généralement ceux qui en attendent beaucoup. En effet, les secrets font souvent d’un rien toute une histoire. Mais ici, en l’occurrence, se dit-elle tandis qu’une nouvel accès de fièvre sensuelle lui rougit le visage : une histoire pour Hollywood ?
(À suivre)
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Mardi 9h (heure de Paris), dans le bureau de Dr. Nut
Il avait beau être prévenu mais l’arrivée des Japonais lui a fait un choc. Avec Heidi, il les a accueillis au pied du TGI, deux hommes et deux femmes. Les collègues nippons semblaient bien étonnés. La traversée de la délégation via les escalators attirant les regards, tout en indiquant le chemin, Dr. Nut avait préféré se taire, laissant à Heidi le soin de faire le guide. C’est lui, le Nantais séducteur, qui lors d’un séminaire sur la sécurité au Japon a fait la connaissance d’Atsuko Kanamaru, directrice adjointe à Tokyo de leur propre service des disparitions inquiétantes et cheffe de cette délégation de policiers spécialisés. Ayant fait des études de droit international en France, Atsuko est une francophone accomplie, heureusement. Dr. Nut sait maintenant qu’elle dirige le département dédié aux « Johatsu » (littéralement : les « évaporés »).
C’est ainsi qu’il a appris qu’au Japon, chaque année, de 80 000 à 90 000 personnes disparaissent du jour au lendemain, volontairement. Selon Atsuko, ce nombre est sans doute bien supérieur : le sujet est tabou, les familles préférant ne pas évoquer la disparition de leur proche, encore moins en informer les autorités. Dr. Nut est bien placé pour savoir qu’ici aussi des femmes disparaissent sans qu’aucun avis de recherche ne soit lancé, cela ne signifie pas pour autant qu’elles disparaissent volontairement. Mais il y aurait bien une spécificité japonaise, comprend-il, liée à la honte de perdre la face : plutôt se volatiliser que demander un divorce par exemple.
Pour autant, le problème d’Atsuko – son problème quotidien tout comme celui de Dr. Nut – est de parvenir à déterminer suffisamment tôt si la disparition est volontaire ou si elle est inquiétante. « Un jeune homme ou une jeune femme qui disparaît pour des histoires pas nettes liées à la drogue, la mafia ou que sais-je, la famille sera tout aussi réticente à prévenir la police, donc la tradition des « Johatsu » ne nous avance pas tellement », expliqua-t-elle. La raison pour laquelle, de passage à Paris avec son équipe, elle avait accepté l’invitation d’Heidi de passer au bureau pour échanger pendant quelques heures sur nos méthodes respectives. Peut-être avions-nous une idée, une martingale ?
Au Japon, des familles font appel à des détectives privés pour tenter de retrouver leurs johatsus mais ces services coûtent cher, a-t-il appris. « Ici aussi il faut avoir les moyens pour se payer un détective privé, qui le plus souvent ne fera pas mieux, sinon moins bien, que n’importe qui de mon équipe », se souvient avoir pensé le policier français.
Maintenant qu’ils sont déjà partis, Dr. Nut sourit en se remémorant leur arrivée au 22, son service des disparitions inquiétantes, tous ses gars quasiment au garde-à-vous. Il aurait bien aimé qu‘Aïda soit là parce qu’il n’y avait que des mecs chez lui. Dr. Nut sait d’expérience que si la rencontre avait eu lieu plus tard dans la journée, l’ambiance aurait été totalement différente mais les Japonais sont arrivés de Londres hier soir tard – une jeune japonaise de bonne famille, selon toute apparence « évaporée », a été retrouvée serveuse dans un bar à la mode et a indiqué ne vouloir ni rentrer chez elle ni divulguer sa présence à sa famille. Atsuko avait donc fini son taf. « Une sacrée ‘bonne famille’ qui fait faire le tour du monde à quatre gugusses », avait pensé l’inspecteur parisien. Ils reprenaient aujourd’hui l’avion pour le Japon et devaient être à Roissy à 14h.
Pour autant, tout le monde était ravi de la visite. Accompagnant Dr. Nut dans son bureau, Atsuko a vite identifié la série de photos des victimes de Dubois. « Toutes ‘évaporées’ avec le même homme », demanda-t-elle en désignant la photo de l’architecte, au centre. « Je le crains », a répondu Dr. Nut. « Êtes-vous obsédé parfois par ces gens que vous cherchez, que vous ne trouvez pas et qui deviennent comme des fantômes, vindicatifs parfois, et emplissent votre vie ? », lui demanda-t-elle alors. « Parfois », dit-il. « Moi aussi, dit-elle, nous faisons un métier où nous sommes entourés de fantômes ».
Bref, le temps a passé vite, avec force courbettes et exclamations dans une sorte de sabir seulement compris par tous les policiers du monde entier. Nous n’avions évidemment pas de réponse à sa question, soupire pour lui-même le policier. Soit la disparition est d’évidence inquiétante, et il n’y a pas à se poser de question, soit d’évidence elle n’est pas inquiétante, du moins aux yeux d’un policier expérimenté plutôt qu’aux yeux de parents affolés. Et sans doute n’y a-t-il pas lieu de s’inquiéter, au sens criminel du terme, pour la majeure partie des « évaporés » japonais. La difficulté est dans l’entre-deux, c’est dans les zones d’ambiguïté que les décisions sont difficiles à prendre, quand elles sont justement les plus urgentes. Alors chaque cas est différent, il n’y a pas de martingale. Nous avons nous aussi nos propres « évaporées », une traite des êtres humains d’une dimension qu’ils ne semblent pas connaître au Japon. Et la honte, ce n’est certainement pas ce qui étouffe nos criminels…
Dr. Nut regarde sa montre : 13h. Il reste plein de viennoiseries auxquelles les Japonais ont à peine touché. Il s’assoit, s’empare d’un chausson aux pommes et s’efforce de ne plus penser à rien pour un instant.
(À suivre)
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Mardi 16h (heure de Brasilia), 20h (heure de Paris), dans la voiture de Dr. Nut
– Bonjour Aïda, je n’attendais pas votre appel après le point complet d’hier soir. Que se passe-t-il ?
– Salut patron, pas d’inquiétude, tout va bien, je ne serai pas longue mais j’ai pensé que l’info pourrait vous intéresser…
Dr. Nut, en planque place des Ternes, en attendant l’arrivée espérée d’une évaporée, comme il les appelle depuis ce matin, sent l’excitation dans la voix d’AÏda.
– Je vous écoute
– Dubois et Gloria sont rentrés à l’hôtel, je vous appelle, de la terrasse, parce que vous ne devinerez jamais ce qu’ont fait Dubois et Gloria ce matin.
– Comment le saurais-je ? Et sa voix témoigne qu’il commence à être excédé par l’attente.
– Un tatouage ! Gloria s’est fait tatouer ce matin, avec Dubois mais elle seule s’est fait tatouer…
Dr. Nut a besoin soudain de reprendre son souffle et, au téléphone, Aïda respecte son silence – elle est contente d’ailleurs qu’ils utilisent seulement le téléphone, pas besoin de se voir… Que dirait-il de son bronzage… Pour sa part, le policier se souvient de Gina, comment ils ont découvert – comment Aïda a découvert – que Gina avait été tatouée peu de temps avant sa mort. Il s’agissait alors d’un plan de… Il cherche dans sa mémoire…
Aïda semble lire dans ses pensées.
– C’était le plan du Pavillon de Barcelone de Lucien Mies van der Rohe
– (Surpris) vous lisez dans mes pensées… C’est quoi cette fois ? Le savez-vous ?
– Oui !!!! (Aïda est surprise de sa joie, après tout, ce n’est pas une bonne nouvelle pour Gloria). Thiago et ses gros bras n’ont eu aucun mal à récupérer l’info auprès du tatoueur, qui semblait d’ailleurs particulièrement fier de son travail. « Une femme superbe, et son mari français, un homme charmant », a-t-il dit à Thiago.
– Son mari ???
– Yep ! Elle ne voulait sans doute pas qu’il pose des questions. En tout cas, nous dit-il, c’était la première fois qu’il faisait un tel tatouage et il était vachement content.
– Et donc…
– Et donc le tatoueur n’avait aucune idée de ce que c’était et il n’avait pas gardé le modèle avec lequel Dubois et Gloria étaient venus. Mais il a su nous en faire une reproduction de mémoire. Il m’a fallu une heure une fois rentrée moi aussi à l’hôtel pour l’envoyer à ma sœur, Sophia, l’architecte…
– Oui, je me souviens…
– … et qu’elle me réponde. Elle a trouvé ! Il s’agit du plan du Palais du Congrès national, construit par Oscar Niemeyer, une star architecte ici…
– Oui, je sais
– Oh…
– Excusez-moi, je sais qui est Niemeyer je veux dire, depuis le temps que je cours après Dubois l’architecte.
– Bref, avec le plan du Palais du Congrès national désormais tatoué sur l’avant-bras, je me dis que plus que jamais, c’est Gloria l’objectif de Dubois. Ce qui m’a surpris est que, sachant désormais que nous le filons, on ne se cache même plus – c’est embarrassant d’une certaine façon – il nous a pourtant laissé voir que Gloria se tatouait.
– Et ?
– Cela veut dire qu’il ne sait pas que nous avons trouvé le tatouage de Gina. Il croit que, pour nous, cette séance en amoureux chez le tatoueur s’inscrit dans la longue liste de visites architecturales, et à Brasília, comme je vous l’ai dit hier, il y a de quoi faire, et les restaurants, et le shopping, etc. et que nous n’y prêterions pas attention.
– Bien joué. Mais je dois vous laisser, je vois débouler l’une de mes évaporées du jour.
– Une évaporée ?
– Je vous expliquerai à votre retour mais je dois y aller.
– Ça tombe bien, je vois Thiago qui me fait signe, Dubois et Gloria sortent de l’hôtel et je dois y aller aussi. De toute façon, avec nous collés à ses basques, il ne risque plus de tuer personne.
– C’est ça, à très vite Aïda.
– Ok patron, à très vite.
(À suivre)
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Mardi, 22h30 (heure de Paris), dans la cuisine de Dr. Nut
– Allo
– (accent chantant) Bonjour inspecteur Nutello. C’est Lorenzo Antonetti, le journaliste de La Stampa.
– Oui, je me rappelle. Que voulez-vous ? Je vous ai déjà dit que je ne savais rien à propos de Gina Rossi.
– Ah, vous vous souvenez de son nom…
– Il est tard, que voulez-vous ?
– Je pense que j’ai des infos pour vous, à propos de Dubois ?
– Dubois ?
– Oui, Dubois l’architecte.
– Je vous écoute.
– Julie Durantin, ça vous dit quelque chose ?
(À suivre)
Dr. Nut (avec les notes d’Ethel Hazel)
Aïda Ash (avec les notes de Dr. Nut)
* En librairie L’architecte en garde à vue
* En librairie, Le fantôme de Gina
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