Et si le départ des CSP+ des cœurs de villes denses au profit des villes moyennes pouvait profiter à la dé-muséification des centres-villes ? N’est-ce pas l’occasion de proposer de nouveaux projets urbains dans des quartiers aujourd’hui constitués essentiellement de sièges sociaux, de mettre en œuvre la fameuse résilience tant vantée, jamais réalisée ? Prospective idéalisée.
L’onde de choc produit par les confinements forcés, et à répétition, a accentué la tendance télétravail déjà existante dans les grandes entreprises toujours à l’affût pour conserver les talents, officiellement, et gagner quelques mètres carrés, moins officiellement. Travailler où l’on souhaite était aussi une habitude des professions libérales ne nécessitant pas un contact quotidien avec une clientèle.
De fait, contrairement aux impressions véhiculées par les quotidiens annonçant un exode massif vers les agglomérations moyennes à moins de deux heures des grandes villes, force est de constater que ce nouveau mode de vie reste le privilège des classes sociales aisées… mais plus assez supérieures pour encore acheter des appartements à plus de 10 000 €/m², même en proche banlieue.
Le constat n’est pas nouveau à Paris et en Europe. Depuis de longues années déjà, le centre-ville des capitales est délaissé de ses habitants, Londres, Paris, Rome se muséifiant déjà avant de s’ubériser toujours un peu plus à la faveur de l’augmentation des loyers. Des centres désormais assaillis par l’armada de scooters et de camionnettes affrétés par Amazon et Uber Eat, sans oublier la colonisation par les sièges sociaux de start-ups au modèle social critiquable, derrière des façades toujours plus considérées pour la rentabilité de leur pierre.
Les voitures des CSP+ étaient bloquées dans les embouteillages pendulaires tandis que les vélos s‘entrechoquaient et que les métros saturaient, laissant le piéton toujours plus petit au milieu de son trottoir, quand il s’y aventurait, car la vie allait vite, trop vite.
La fuite d’une partie de ces travailleurs offre donc une occasion inédite de réinterroger les spécificités de la vie urbaine, qu’il s’agisse du logement, du travail, des loisirs, des déplacements…. Certaines modes, décriées, perdureront-elles comme la livraison de plat en kit ? Comment inclure dans la ville dense la présence d’entrepôts logistiques nécessaires, la gestion des déchets, la production d’énergie ?
Les centres-villes denses pourraient (devraient ?) tirer parti de cette échappée pour repenser les centres afin qu’ils retrouvent leurs habitants, ce qui permettrait de rééquilibrer les fonctions de la ville : se loger, manger, travailler, se transporter et s’amuser. Il s’agit donc de retrouver une mixité programmatique et sociale et de mettre en place les éléments de la résilience urbaine en cœur de ville.
Les acteurs de la ville (politiques, bailleurs, architectes, urbanistes, foncières…) se doivent de s’approprier le vide engendré par la pandémie pour proposer un nouveau projet de ville à la fois urbain, politique et social, prospectif et concret. Pour rappeler les habitants en cœur de ville, s’appuyer sur sa capacité de mutation sera toujours plus vertueux que de construire toujours plus de nouveaux quartiers de plus en plus loin.
Selon l’étude de l’Insee sur le logement en France publiée en novembre 2021, plus de trois millions de logements seraient vacants. Certains ne sont plus habitables, d’autres conservés au seul titre de l’investissement ou par crainte de locataires malveillants. Il faudrait construire environ 200 000 logements par an pour rattraper le retard et soutenir les besoins annuels. Dans ces conditions, comment se satisfaire d’un centre parisien vidé de ses habitants et de milliers de m² de surfaces construites vides d’occupants ?
Par ailleurs, l’exode des cols blancs ne doit pas créer une nouvelle crise tertiaire avec des surfaces sans locataires. Une entreprise sans travailleurs présents reste une société. Le télétravail a démontré que la performance n’était pas liée à la présence des salariés. Dans ce cas, ne serait-ce pas le moment de s’interroger sur la pertinence des grands sièges sociaux ? Au bout de la logique, si l’adressage n’est plus qu’un argument marketing, une boîte postale ne suffirait-elle pas pour offrir de possibles transformations de mètres carrés tertiaires en logements et donner enfin vie au concept de mixité ?
En revoyant enfin les freins normatifs, la réhabilitation, de l’ancien ou du contemporain, offrirait des surfaces propres à l’innovation en termes typologiques, sur le logement et les différentes façons de vivre et de travailler en un même lieu. De la contrainte de la trame bureaux naîtrait des logements différents, en surface et en volume.
Rien ne se fera sans l’appui d’une politique destinée à encourager les foncières tertiaires dans l’évolution d’un métier peut-être en manque d’agilité. En levant également les leviers juridiques, en redonnant aux bailleurs leurs prérogatives de maîtres d’ouvrage et de gestionnaires de patrimoine afin de contrôler les prix de l’habitation, les immeubles tertiaires, anciens, du cœur des métropoles ne pourraient-ils pas laisser place à des opérations de transformation pour réattirer des citadins en cœur de ville, des employés, des professions libérales, des fonctionnaires, bref ceux qui travaillent encore en ville ?
Le retour de la classe sociale moyenne pourrait également signer le début d’une mixité programmatique au sein du grand centre-ville, en réutilisant les rez-de-chaussée pour des commerces quotidiens et des locaux d’activités pour une médecine de ville plus accessible, des gardes d’enfants, de l’artisanat… La réappropriation des pieds d’immeubles deviendrait le corollaire d’une autre appropriation. Le retour du rapport du piéton à son territoire et à la marche doit être encouragé par une logique perdue depuis longtemps : travailler près de son lieu d’habitation, un contre-pied à la tendance des navetteurs.
Les fameuses mobilités se trouveraient bouleversées sur de nombreux points. La berline du cadre sup’ n’encombrant plus les routes, les voies des centres-villes pourraient de nouveau être réempruntées par toutes les professions pour qui la voiture et l’utilitaire sont des outils de travail. Dans l’équation, les nuisances olfactives, sonores baisseraient en même temps que la qualité de l’air s’améliorerait. De plus, un réel plan vélo et piéton à grande échelle pourrait alors être déployé sans que chacun risque sa peau à tous les coins de rue.
Par ailleurs, moins de voitures à loger, c’est aussi d’autres surfaces à faire muter pour y inclure soit des services de proximité ou des équipements qui ne nécessitent que peu d’accès à la lumière ou au soleil, comme des laveries ou des cinémas ou encore de s’interroger plus profondément sur la mutation des parkings citadins au profit d’une logistique urbaine nécessaire et encore délaissée en termes de stockages, de gestion des déchets ou de la productivité d’énergies à petite échelle.
La résilience de la ville dense comme synonyme d’une vie un peu ralentie qui retrouverait un peu de son rapport au temps. Dans la ville post-covid, rien ne se jette, tout se réutilise en tirant les leçons des dérives engendrées par des dizaines d’années d’accélération de la vie active, sans amélioration.
Aussi, les trajets quotidiens de personnes en provenance des zones périurbaines se trouveraient également améliorés avec une baisse de la fréquentation des transports sur de longues distances. La vie en banlieue ne serait alors plus vécue comme laborieuse car la porosité avec la ville dense se verrait simplifiée. La banlieue, notamment en termes de loisirs de plein air se verrait ainsi requalifiée par des urbains qui ne sortaient plus de leur rue, créant ainsi dynamisme et emploi au-delà des centres.
La résilience par la mixité urbaine à toutes les échelles proposerait alors une dynamique en faveur des villes dans laquelle chacun habiterait par envie et non plus par nécessité, laissant les navetteurs choisir également une vie autre que celles des tours.
Alice Delaleu