Le 13 septembre 2022, le ministère de la Culture a dévoilé les noms des sept agences d’architecture en lice pour le Grand prix national de l’architecture 2022 (GPNA), lequel récompense une agence « pour l’ensemble de sa production et sa contribution à la pensée de l’architecture ». Pour le jury, une compétition de confort ?
Voici la liste retenue par le jury pour le GPNA 2022 :
– Atelier du Rouget Simon Teyssou & associés ;
– Bruther architectes ;
– Studio Odile Decq ;
– Atelier Philippe Madec (APM) Architecture et associé ;
– AAPP. Atelier d’Architecture Philippe Prost ;
– Perraudin Architecture ;
– Corinne Vezzoni et Associés SARL d’Architecture.
A noter que la dernière sélection, en 2018, ne comptait que six honorés : Pierre-Louis Faloci ; Dominique Lyon ; Philippe Madec ; Philippe Prost ; Bernard Quirot ; Corinne Vezzoni. Le premier emportant la médaille, Madec, Prost et Vezzoni (alors la seule femme architecte) revenant en deuxième (ou troisième semaine). Dominique Lyon et Bernard Quirot ont dû démériter en quatre ans de Covid et de guerre en Ukraine…
Le jury, explique cette année le ministère, « s’est appuyé sur un appel à propositions adressé au monde professionnel de l’architecture : architectes, maîtres d’ouvrage, responsables de lieux de diffusion, journalistes spécialisés, représentants d’organismes professionnels, institutionnels ».
De fait, la rédaction de Chroniques a répondu à cet appel à la mobilisation et dûment proposé trois agences en temps voulu. J’imagine que nous avons été quelques centaines au moins à bénévolement contribuer à la constitution de cette liste de candidats potentiels – des candidates surtout tel qu’il était stipulé* dans l’appel – sur laquelle le jury s’est « appuyée ».
Mais « appuyé » comment ? Y a-t-il par exemple une liste des propositions des professionnels, avec le détail des vœux reçus par telle ou telle agence, qui aurait contribué au choix du jury ? « Ha non, pas du tout », explique en substance le ministère qui invite à relire précisément l’intitulé de l’appel « à propositions ». Comprendre : il ne s’agit pas d’un vote mais de simples propositions, lesquelles ne sont donc pas comptabilisées et n’engagent personne. Dit autrement, le peuple propose, le jury souverain dispose.
En effet, explique le ministère de la Culture à Chroniques, le but de cet appel à propositions est de « permettre au jury de pouvoir éventuellement découvrir des petites agences inconnues ». Parce que sinon, des agences, le jury lui-même en aurait bien trouvé tout seul une centaine.
Cela signifie cependant que ce n’est pas parce qu’une agence aurait par exemple été « proposée » par l’ensemble des pros ayant répondu à l’appel – une unanimité rare – qu’elle serait automatiquement sélectionnée parmi les sept invitées à être départagées par le jury. C’est ballot !
A l’inverse, une agence inconnue et proposée une seule fois parmi les centaines de propositions de centaines de confrères et consœurs aurait toutes ses chances de concourir, au moins autant que l’autre pourtant plébiscitée.
Autant dire que, à propos des propositions des pros, in fine, le jury s’appuie tellement qu’il s’assoit dessus et choisit qui il veut pour concourir. Qui d’ailleurs pour remettre en cause la souveraineté du jury ?
Donc le ministère fait semblant de demander leur avis aux pros – et pour eux tous, c’est bien la peine de s’embêter à répondre – pour s’en remettre finalement à un jury composé d’une poignée de directeurs ou directrices de ceci cela ou président de ceci ou présidente de cela.
Voyons la liste du jury souverain :
– Michèle Attar, directrice générale, Toit et joie ;
– Catherine Chevillot, présidente de la Cité de l’architecture & du patrimoine ;
– Olivier Clodong, administrateur de la FNCAUE, Président du CAUE de l’Essonne, Maire de Yerres et Conseiller départemental ;
– Aurélie Cousi, directrice chargée de l’architecture, adjointe au directeur général des patrimoines et de l’architecture (DGPA), ministère de la Culture ;
– Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et ministère de la Transition énergétique ;
– Pierre-Louis Faloci, architecte, Grand Prix national de l’architecture 2018 ;
– Pablo Katz, architecte, président de l’Académie d’Architecture ;
– Christine Leconte, présidente du Conseil national de l’ordre des architectes ;
– Caroline Poulin, architecte et urbaniste, agence AUC, Grand Prix de l’urbanisme 2021 ;
– Jean-Baptiste Minnaert, directeur de l’institut Chastel ;
– Isabelle Regnier, journaliste au Monde.
Onze membres éminents sans aucun doute. Cherchez l’intrus !
A noter une majorité (7) de femmes et un jury qui, après avoir choisi son panel, va devoir trancher selon les critères suivants :
– l’engagement de l’agence pour répondre aux enjeux sociétaux ;
– l’originalité et la cohérence de sa démarche ;
– la qualité de sa production bâtie ;
– sa capacité à formaliser sa pensée et à la transmettre ;
– son engagement en faveur de l’architecture.
Il ne s’agit en effet de rien moins que de la « plus haute distinction nationale dans le domaine de l’architecture [qui] constitue une reconnaissance majeure pour une démarche qui a su faire école et marquer son époque ». Pour en juger donc, pas question de demander aux hommes et femmes de l’art ce qu’ils en pensent mais « s’appuyer », pesamment, sur les représentants institutionnels méritants des « nouveaux métiers de l’architecture ».
Voilà qui ne manque pas de sel de cuisine. Entre un appel à propositions qui consiste à chauffer le ciel et un jury composé de gens pour la plupart bien au chaud, quelle drôle d’organisation pour débattre des mérites des meilleurs d’entre tous les architectes qui savent construire. N’est-ce pas là une méthode un peu paresseuse dans le genre ?
Plus mouvementé en effet aurait été par exemple pour le ministère, pour ce nouveau grand prix, d’inviter tous les Grand prix encore vivants – ils sont encore plusieurs et seraient venus en train – à proposer chacun ses trois favoris. Puis les enfermer tous dans une pièce. Au fil des tours, des débats de haut vol permettront de décanter la liste initiale, le ou la représentant(e) du ministère pouvant trancher en cas d’égalité au dernier tour. Il aurait alors fallu les voir les Grand Prix sous les ors du ministère justifier et expliciter eux-mêmes leur choix. Le raisonnement de la majorité, l’opinion de la minorité… Le tout retransmis en direct et enregistré. Je suis sûr qu’il s’agirait alors d’un grand moment d’architecture à diffuser dans toutes les écoles (plutôt que le futur discours plan-plan de la ministre pour célébrer une nouvelle Grand prix, parité oblige).
Être élu(e) Grand prix par ses pairs (paires ?), quelle meilleure reconnaissance ? Mais c’est encore sans doute trop compliqué à organiser pour le ministère. En plus, les architectes prendraient toute la lumière.
Pourquoi sinon ne pas s’en remettre aux professionnels, que leurs propositions servent au moins à quelque chose ? Les sept nominés seraient sélectionnés au plus grand nombre de vœux – un peu comme le ballon d’or pour le foot – et, à l’issue d’un oral exigeant, un jury de sept Pritzkers, dont les trois Pritzkers français, choisirait parmi eux le nouveau Grand prix. Là encore, ne se poserait aucune question de légitimité. Au contraire, la cérémonie aurait tant d’allure – Architect story – que TF1 pourrait même la retransmettre !
Mais non.
Un Grand prix élu(e) donc par des fonctionnaires ou des notables…
Pour le coup, le ministère de la Culture sait qu’il aura au moins un article dans Le Monde.
Christophe Leray
*Lire notre article : Scoop ! Et le prochain Grand Prix national(e) de l’architecture sera …