Ce n’est pas tous les jours que l’on reçoit un mail de Singapour. Il s’agit apparemment d’une agence franco-singapourienne, auteure d’un abri d’urgence intitulé, en anglais : living shelter. «Le prototype échelle 1/1 est exposé durant la biennale de Venise au Palazzo Mora dans l’exposition Time-Space-Existence gérée par la Global Art Affairs Foundation», indique le courrier. Nom de l’agence : WY-TO. Why not ?
Il est de ces amitiés qui font prendre à une carrière d’architecte un tour (du monde) tout à fait inattendu. Ainsi lorsque Pauline Gaudry et Yann Follain se rencontrent en 2003 lors d’un workshop à Hong Kong sur ‘les phénomènes de métropolisation en Asie-pacifique’, quelle n’est pas leur surprise de se reconnaître puisqu’ils sont tous les deux en 5ème année à l’école d’architecture de Paris-Belleville. «C’est la base de notre histoire», résume Pauline en recevant dans la petite agence partagée qu’elle occupe dans un quartier populaire du XXe arrondissement de Paris.
Tous les deux diplômés en 2005, Yann décide de partir en Indonésie tandis que Pauline va voir «comment on travaille ailleurs». Et la voilà, métisse d’origine indienne, partie à Goa, en Inde, sous prétexte d’étudier le métissage indo-portugais. Le hasard ne faisant pas bien les choses, elle y crée une agence de tourisme et acquiert une maison dans l’ancien comptoir de la mer d’Arabie. Ce sera son premier chantier. Elle sera finalement architecte et c’est donc en Inde qu’elle fait ses premières armes.
De retour en France, elle découvre le logement chez Béguin-Macchini et encore une autre vision de l’architecture chez Dubus-Richez puis collabore pendant deux ans avec l’agence Daquin-Ferrière en tant que chef de projet pour la construction de vastes opérations. Mais elle a conservé son goût pour l’architecture tropicale qui, selon elle, offre une approche différente de l’espace et de la matérialité et une prise en compte spécifique du contexte. Bref, elle multiplie les allers-retours entre Paris et Goa. En parallèle Yann, qui souhaite également «apprendre son métier dans un contexte français», est lui aussi revenu des tropiques et bosse chez Colboc-Franzen.
Leur amitié pourtant ne se dément pas. Comme souvent, c’est un premier projet personnel qui leur permet de passer le pas. Il s’agit de la restructuration d’une maison individuelle des années 70 pour une famille dans les Yvelines. Rien d’extravagant mais, selon Pauline, un projet «épique». «Ce projet nous a permis de faire connaissance professionnellement», souligne-t-elle. C’est elle qui s’est alors inscrite à l’ordre. Quelques projets et concours suivent.
Mais Yann veut retourner en Asie. Ce qui tombe bien puisque Studio Milou cherche un collaborateur français pour partir à Singapour. Le voilà chef d’équipe pour le Musée d’art moderne de Singapour. Ce n’était qu’une question de temps et, les phases d’études de ce musée terminées, il crée en 2011 sa propre agence à Singapour. Ils s’aperçoivent que le travail à distance fonctionne à merveille, surtout avec le décalage horaire qui permet à l’un de récupérer le matin les dossiers là où l’autre vient de les laisser et vice-versa. Les 3 x 8 en somme. Dès 2012, l’amitié intacte, Pauline ouvre l’agence parisienne : WY-TO architects à Paris. Depuis, les projets sont de plus en plus conséquents, ici et là-bas. La langue de leurs réseaux sociaux est l’anglais.
Ici, entre autres, des logements collectifs en ïle-de-France, un habitat groupé participatif pour quinze familles, la surélévation d’un immeuble à Paris ; là-bas, entre autres, les bureaux de l’Institut français de l’ambassade de France ainsi que d’une start-up dans les nouvelles technologies, trois immeubles de 26 logements à Jakarta, la scénographie des expositions permanentes de la National Gallery de Singapour puis celles de l’exposition permanente du Musée de Bihar, en Inde. Ce qui frappe est encore la diversité de leurs interventions, qu’il s’agisse de réhabilitation, de scénographie, de constructions neuves, collectives et individuelles, de marchés privés et publics, ici et là-bas.
Ainsi ne faut-il pas se fier à la taille du bureau parisien – Pauline, une free lance et deux stagiaires – car d’ici le reste de l’agence est invisible. En réalité, WY-TO compte plus d’une dizaine de collaborateurs, «une force de frappe que je n’aurais pas seule», s’amuse Pauline dans sa petite agence. Les images aux murs de leurs projets en témoignent. Cette force de frappe se manifeste aussi de façon plus subtile.
Ils ont construit en Corse une très belle maison pour un maître d’ouvrage privé résidant à Singapour. L’occasion pour Yann et Pauline de poursuivre leur réflexion sur l’architecture climatique. Mais WY-TO est aussi parvenu à participer à Réinventer Paris grâce à un investisseur singapourien, propriétaire de quelques hôtels en Asie, et aussi curieux qu’eux des circonstances de ce concours. Leur proposition pour l’ancien conservatoire du XIIIe arrondissement résumait à elle seule leur pratique et leur expérience : une réhab, une surélévation, une attention toute particulière au climat, du vert mais utile et sans ostentation. Ils n’étaient pas dupes de l’enjeu véritable de la compétition mais leur motivation était ailleurs. «Réinventer Paris était pour nous un projet de recherche : comment revaloriser des solutions basiques et efficaces mais dans des contextes actuels ?», dit-elle.
Un investissement et une démarche qui s’inscrivent par ailleurs dans un corpus plus large puisque l’agence a été retenue pour le vaste projet de recherche prospective ‘Singapore 2050’.
Enfin, comme l’indiquait le mail, l’abri d’urgence conçu par WY-TO pour les populations d’Asie du Sud-Est victimes de catastrophes naturelles est en effet présent à Venise… avec la délégation de Singapour. Le ministre de la communication et de l’information de la ville-état a même fait le déplacement. Nouvelles du front ?
«Nous développons des passerelles», explique Pauline Gaudry. «Il y a des agences françaises qui ouvrent des succursales en Asie, nous avons pris le projet dans l’autre sens», se marre-t-elle. «Pour un client Indonésien, toutes les phases d’études pour un chantier là-bas ont été faites ici», souligne-t-elle.
Certes, il y a bien deux agences administratives mais il s’agit bien d’une seule agence car il y a deux associés dans la sarl française, une communauté de pensée et une logique architecturale. Ils ne sont pas dans la prouesse du matériau mais les influences asiatiques et européennes leur permettent de toujours réinterpréter les éléments traditionnels – la pierre en Corse, ou les claustras en Inde par exemple – pour leur donner une contemporanéité subtile et utile et trouver ainsi de nouveaux équilibres entre ventilation naturelle et intimité. Ils ont la même volonté de s’inscrire autant dans le paysage architectural français et singapourien et plus si affinités.
D’ailleurs, c’est cette démarche hypercontextuelle et distanciée qui, dans un pays multiculturel comme l’Inde, leur a permis de gagner l’appel d’offres des 20 000m² de muséographie pour le musée de Bihar. «L’inde est à quatre heures d’avion de Singapour et nous avons déjà un réseau en Inde», remarque Pauline en souriant. Elle possède toujours sa maison de Goa même si elle y va moins depuis la naissance de son fils il y a deux ans et demi à l’heure de l’entretien. «Je ne savais pas si le fait d’être maman et d’avoir une agence était compatible. En réalité, depuis sa naissance, les projets sont de plus en plus intéressants et de plus en plus importants», note-elle. A Goa, sa société d’écotourisme existe toujours.
Des différences entre ici et là-bas, Pauline retient ceci : «à Singapour, tout va à 10 000 à l’heure, à Paris ça va à 1000 à l’heure, en Inde tout prend beaucoup trop de temps !» Elle note encore en passant que les normes ne sont pas moins drastiques quel que soient l’endroit où WY-TO construit. «Elles sont juste différentes : à Singapour par exemple, ils sont extrêmement précautionneux quant à la gestion du vent, ils ont tendance à sur-dimensionner les ouvrages!».
Au fond, demeurel’esprit curieux des villes asiatiques qui les avait fait se déplacer à Hong Kong tous les deux en même temps. «Un jour c’est peut-être moi qui repartirais et Yann qui reviendra», conclut-elle. Pour sans doute encore de nouvelles réinterprétations des contextes, quels qu’ils soient.
WY-TO Paris Singapore. Why not !
Christophe Leray