Pendant que la campagne présidentielle américaine bat son plein de bruit et de fureur comme dirait Faulkner, c’est le 19ème anniversaire de 9/11. Il tombe en France au même moment que le procès des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher, lesquels en sont la suite logique. Que reste-il aujourd’hui des rumeurs qui ont à l’époque agité un petit landerneau d’architectes et d’ingénieurs ? Voyons Building 7.
L’effondrement d’immeubles, contrôlé cette fois, est désormais chose courante. Aujourd’hui, on ne compte plus les buildings implosés sous contrôle, sinon en centaines. Nous avons tous vu de ces images spectaculaires. Par exemple, proche de nous, celles de la désintégration du Trypode à Nantes en 2005.
Ce chancre architectural fut explosé par la première compagnie du genre à se faire une renommée internationale – CDI, une boîte américaine – dont la communication ne laisse rien à désirer. « 9, 8, 7, 6, 5, 4, it’s a go ». Comme à la NASA. Bam Bam Bam, des explosions à peine visibles dans un air dégagé – il fait toujours beau quand on effondre un bâtiment – et le building s’enfonce tout droit sur lui-même, presque avec élégance. Un château de cartes. Ensuite tout le monde applaudit et rentre chez soi.
L’effondrement contrôlé est devenu une telle routine qu’une édition du SEDDRe et de l’OPPBTP, datée de mai 2016, explique les bonnes pratiques et donne le détail du cahier des charges. « La faisabilité de la démolition à l’explosif doit être étudiée par le maître d’ouvrage en concertation avec les autorités locales (préfet ou maire). Il est important d’associer ces acteurs dans la mesure où certaines villes ou préfectures interdisent l’usage d’explosifs », indique ce document didactique. Avec cette précision : « dans le cas d’une démolition à l’aide d’explosifs, il est recommandé de faire appel à un maître d’œuvre spécialisé ayant les compétences et références pour ce type d’opération, ainsi que les assurances en cohérence avec l’opération ». Juste ciel, c’est bien le moins !
D’ailleurs, dès l’introduction, un avertissement : ne pas tenter l’expérience tout seul à la maison !
Il demeure qu’avant l’attaque à New York des tours jumelles, personne de mémoire d’homme n’avait jamais vu des immeubles s’effondrer ainsi, notamment le Building 7, ce bâtiment qui s’est écroulé avec une gracieuse efficacité longtemps après les deux tours. Les ingénieurs et architectes en sont restés babas !
Les attentats du 9/11 ont évidemment, comme tout évènement de cette dimension, donné lieu à des rumeurs et offert des pistes aux complotistes de tout poil. Excepté qu’il n’y avait pas à l’époque de réseaux sociaux et les complotistes n’étaient encore que des groupuscules sectaires ayant dans leur cave peu d’écho. Saint-Thomas, qui ne croit que ce qu’il voit et patron des architectes, serait par exemple un fervent complotiste. « Il suffit de voir s’effondrer le Building 7 pour se convaincre que l’effondrement était contrôlé », dirait-il, demandant à ses adeptes de le croire de bonne foi.
Il existe encore un site*, intitulé Architects & Engineers for 9/11 Truth – AE911Truth pour faire court – qui propose toujours aux architectes et ingénieurs du monde entier de signer une pétition « afin d’établir toute la vérité entourant les événements du 11 septembre 2001 – en particulier l’effondrement des tours et du bâtiment 7 du World Trade Center ». Plus spécifiquement, les signataires demandent une « enquête sur l’utilisation possible d’explosifs qui auraient pu être la cause réelle de la destruction des tours jumelles et de Building 7 ». A ce jour, 3 324 hommes et femmes réputé(e)s sachant ont signé la pétition.
Des milliers d’Américains sont évidemment fans – le site est en anglais – mais, parmi les signataires, compter une trentaine de Français, plus gros contingent après les Allemands (64). Paradoxalement, il n’y a aucun signataire d’Arabie Saoudite, pays bien placé pour savoir qu’il s’agissait d’une autre sorte de complot.
Une recherche un peu plus précise indique bientôt qu’il n’y a finalement que six architectes parmi les trente Français, dont seulement trois sont inscrits à l’Ordre. C’est peu.
Qui sont ces architectes parmi nous qui ne croient pas que l’homme a marché sur la lune ? Des complotistes qui savent que la terre est plate ? Que la Shoah n’a jamais eu lieu ? Qu’Elvis est vivant ? Que Donald Trump est un extra-terrestre envoyé en exil sur terre ? Peut-être que ces gars-là (peu de femmes dans la liste) ont leur propre culte en pays cathare, connaissent par cœur le Da Vinci Code et adorent une Vierge Noire ?
Voici ce qu’ils écrivent :
– F.L. (inscrit à l’ordre) : « Le WTC 7 n’a pas pu tomber à cause d’un petit incendie » ;
– J-M. D. (architecte auto proclamé, nulle trace à l’Ordre) : « En regardant l’effondrement de la tour (Building 7), je ne pouvais pas croire plusieurs choses : d’abord la vitesse régulière de l’effondrement, puis que l’incendie en soit la cause, puis la totale disparition de la structure métallique centrale des tours … C’est incroyable que la plupart des gens croient à la version officielle !!!! Une véritable enquête est absolument nécessaire » ;
– E.G. (non inscrit à l’Ordre non plus, et pourtant il avait le temps) qui a signé parce qu’il a « participé au concours international pour le mémorial de New York du 11 septembre 2001 » ;
– S.M. (inscrit à l’Ordre) : « il n’est pas nécessaire d’être architecte ou ingénieur pour se permettre d’ouvrir les yeux – toutes les preuves sont là à notre disposition. Tout citoyen a le devoir de remettre en question les informations qui lui sont fournies et d’examiner les faits. Je soutiens de tout cœur et sans relâche l’association Architects and Engineers for 9/11 Truth » ;
– K.T. (inscrit à l’Ordre) : « Trop de faits évidents pour laisser le moindre doute sur les causes de l’effondrement » ;
– enfin S.V. (inscrit nulle part, qui donne le fond de sa pensée) : « Le bâtiment 7 est un véritable exemple de démolition contrôlée. Si vous regardez de près, vous pouvez dire exactement la même chose à propos des deux tours principales (les deux avions n’étaient qu’une distraction) ».
Diable !
Très bien, admettons que les deux avions étaient une distraction. Donc, en résumé, le ‘Deep State’ (l’Etat profond) charge les bâtiments le 11 septembre avec un tas d’explosifs et, comme dans une scène de Tex Avery, le méchant loup pousse un bouton et boom ! Les tours s’effondrent, l’objectif de créer la peur et de justifier une nouvelle guerre qui permettra au travers de nouvelles législations liberticides le contrôle massif de la population et des médias est atteint. Et comment !
Comme si, soit dit en passant, n’importe pays puissant avait réellement besoin d’une quelconque justification pour déclarer la guerre ; si ce pays puissant veut la guerre, il l’aura sans passer par la case Hollywood…
Sur ces six ‘architectes’, d’Abbeville à Porto Veccio, l’un est introuvable, ce qui n’est pas bon signe, le numéro d’un autre n’est plus attribué, ce qui n’est pas bon signe non plus. Message sur le répondeur des quatre autres : « Allo, c’est Chroniques, où en êtes-vous les gars avec Building 7 ? »
Un seul a rappelé. Appelons-le Guillaume.
Guillaume est diplômé de l’ENSA Bordeaux, s’est installé dans une ville de la côte, près de chez lui. Il construit des petits équipements, des logements, des maisons, tout va bien à l’agence et la conversation est cordiale.
« Avec la pandémie, 9/11 n’est plus vraiment un sujet », dit-il. Certes. « Mais je m’intéresse toujours et je ne comprends toujours pas comment quelques flammes peuvent faire s’effondrer les 47 000 tonnes d’acier de la structure du Building 7. Je ne suis pas ingénieur mais le bon sens semble indiquer qu’il s’agit d’une démolition contrôlée. D’ailleurs dans une vidéo, on entend le chef des pompiers qui dit « pull it » (allez on y va) après que l’immeuble ait été entièrement évacué ».
De fait, cela aurait du sens de contrôler la démolition d’un immeuble rendu fragile et qui risquait éventuellement de vaciller et causer d’autres énormes dégâts. « Sur des vidéos, on voit les flashes des explosifs et le bâtiment s’effondre exactement sur son empreinte, comme les deux tours d’ailleurs », poursuit Guillaume.
Mais, car il y a un mais. « Les calculs d’une implosion contrôlée ne se font pas en deux heures ». CQFD.
Il est vrai que nous savons par exemple que les études qui ont précédé l’implosion du Trypode de Nantes ont duré… onze mois, le temps du désamiantage ! Le moins qu’on puisse dire est que Building 7 n’a pas été désamianté avant sa disposition et que son propriétaire s’est retrouvé à la fin avec un immeuble tout neuf payé en partie par l’assurance. « J’attends encore des explications logiques », dit Guillaume.
Il en discute autour de lui notre expert de ses convictions ? Il y a un team archi quelque part ? Des échanges entre afficionados ? Il en parle à ses clients ? « Non. De toute façon, il n’est jamais bon pour un architecte d’aller contre la doxa officielle au risque de heurter », remarque Guillaume, à raison.
Une dernière pour la route ? Il se marre. « C’est comme [pour l’incendie de] Notre-Dame, le coup du mégot, j’ai du mal… », dit-il.
De fait, tant pour Building 7 que Notre-Dame, Saint-Thomas aurait pu dire : « du travail de pro ! »
En tout cas, pas une boîte spécialisée n’est venue se vanter d’un travail bien fait le 9/11.
Et voilà pour l’anniversaire du 9/11.
Christophe Leray
PS : Après enquêtes, il a été expliqué que l’effondrement de building 7 a été causé par les incendies nés des projections de débris des WTC 1&2. Plus tard, à plusieurs reprises, la dernière fois en 2016, les sociétés savantes d’architectes et d’ingénieurs ont repoussé à une écrasante majorité toute idée de complot. Aujourd’hui demeure une organisation – Architects & Engineers for 9/11 Truth – fondée en 2006 par Richard Gage, un architecte californien, qui persiste à demander la vérité. En savoir plus
PS bis : A propos du Trypode de Nantes. Autrefois appelé « Tour de Beaulieu », c’était l’un des plus hauts bâtiments de l’agglomération nantaise. Il a abrité pendant vingt ans des services administratifs (INSEE, Affaires Etrangères et Finances). Il a disparu du paysage le 27 février 2005 en treize secondes. Demeure un arrêt Tripode sur la ligne 4 du Tramway.
PS ter : au sujet de la déconstruction (re)découvrir la formidable chronique-photos Downtown Corrida : précarité architecturale, par Alban Lécuyer.