Parler de la couleur en architecture, c’est aussi parler de peinture, de la représentation du vivant, d’une forme d’abstraction, d’histoires sacrées ou profanes, des femmes et des hommes. Selon Ilham laraqui et Marc Bringer, il s’agit là de la définition du monde qui nous entoure, lequel n’est pas aseptisé, blanc, clinique et neutre. Peut-on habiter dans une œuvre, une toile, un film, une image colorée ? Rencontre.
Pour ce couple d’architecte, c’est un projet en soi de chercher à comprendre l’espace pictural, notamment par l’œuvre de Fernand Léger avec ses taches de couleur détachées des contours des choses et des personnages, par les ‘pénétrables’ colorés et des toiles cinétiques de Soto, avec Matisse encore, qui crée de la profondeur de champ sans perspective avec de simples aplats colorés, faisant se confondre les textiles des nappes, les corps, les paysages et les espaces intérieurs.
La question de l’utilisation de la couleur, et de l’architecture colorée, c’est-à-dire avec des parties en couleur et avec des espaces colorés, devrait-elle se poser dans tout projet ? Ilham laraqui et Marc Bringer en sont convaincus.
«La couleur, uniquement des couleurs vives, est liée à la gaieté que nous voulons insuffler dans nos projets. Elle accroche la lumière, la teinte, dynamise les volumes et l’espace, les qualifie. La couleur euphorise et son pouvoir est intense quand les teintes vives jouent avec la lumière naturelle», disent-ils.
Redéfinir l’air du temps, plutôt morose, par la couleur ? La proposition semble présomptueuse. Pourtant, de fait, les grandes firmes internationales qui influencent aujourd’hui la société, à commencer par Apple et Microsoft, ou McDonald ou Coca-Cola ou NBC, utilisent des couleurs vives dans leur logo. La couleur est-elle une forme de transgression ? De séduction ? Qu’en est-il pour l’architecture ?
Dans tous les concours, il est demandé aux architectes d’être «innovants et créatifs», remarque Marc Bringer. Alors pourquoi en effet rendre toujours ou presque des bâtiments et des espaces blancs ? «Laisser un espace blanc, c’est un non-choix, sinon c’est un musée ou un espace de bureau», dit-il.
Ces architectes ne conçoivent pas des bâtiments colorés par anticonformisme ou esprit de contradiction – au contraire, il y a une vraie volonté pédagogique dans leur approche –, et ce n’est pas non plus un acte politique ou idéologique, c’est seulement que la couleur selon eux donne le sens du projet et permet de l’identifier. «La couleur montre, creuse, attire ou repousse, elle rend mystérieux, c’est un ingrédient pour construire un récit», explique Ilham Laraqui.
La couleur permet certes de qualifier les lieux et, dans le cadre d’un programme fonctionnel, d’apporter une démarche artistique. Pour l’espace culturel et de loisirs de Chaville, dans un contexte de ZAC néo-classique, la ville maître d’ouvrage lors du concours fut d’abord surprise avant d’être conquise par leur proposition «d’œuvre sculpturale inspirée de l’omniprésence des forêts avoisinantes». Aujourd’hui le bâtiment, seul de ce type dans son environnement, est devenu un repère urbain important.
De fait, dans un paysage unitaire et uniforme fait de bâtiments blancs et de toutes les teintes de gris, un bâtiment coloré acquiert une identité propre. Pourtant la culture urbaine pousse à la sobriété et va à l’encontre de la couleur. Cette neutralité serait-elle le reflet de la frilosité des maîtres d’ouvrage ? De celle aussi des architectes ?
Pour Ilham Laraqui et Marc Bringer, leur approche est donc aussi d’exprimer une volonté de lutter contre l’uniformité de la pensée. «La couleur, c’est avoir une pensée sur la ville et la vie. Et la ville, sans s’opposer aux autres, peut être gaie ; il faut partir d’un a priori positif pour faire de l’architecture». Une philosophie de vie autant qu’une pratique donc. Liberté d’expression ? Ils concèdent que mettre de la joie dans les logements est plus difficile.
L’architecture cependant doit moins à la couleur qu’à la capacité de construire. Tous les deux évoquent «la jouissance» du chantier, où ils se rendent ensemble, y passant la journée. Ils sont «laborieux» disent-ils, pas des «industriels de l’œuvre», l’inverse d’un Jeff Koons en somme. Derrière le trait, la réalité. «Les plans sont une abstraction à qui il faut donner une réalité constructive», disent-ils.
Le couple aime se promener en forêt et demeure émerveillé par les teintes de la nature. «La nature n’est pas un espace neutre, peut-être la raison pour laquelle la société la réclame maintenant», disent-ils. Patrimoine construit, patrimoine planté, ils évoquent le ‘jardinier’ Gilles Clément qui entend laisser la nature reprendre ses droits. La nature ne reprend-elle pas toujours ses droits ? La question de la qualité des sols, de la végétation, de la qualité de l’environnement se pose en effet à chaque architecte.
Au titre de leurs influences, en sus du paysage, compter les architectes, les peintres, les cinéastes, les voyages, les expos, etc. Une vision généreuse de la création. Bref ils sont curieux. De l’antiquité à la renaissance, ils ont cherché comment l’art s’intègre au bâtiment. La question demeure posée et leur réflexion se poursuit. «L’espace pictural est un concept moderne qui nous intéresse, l’idée étant de faire vivre les gens de 7 à 77 ans dans une œuvre accessible à tous, leur proposer cette expérience-là», disent-ils. Ils ont fait un pas en ce sens avec la Maison de la Vie Associative et du Citoyen (MVAC) de Saint-Ouen.
La couleur naît d’une intuition, d’une réalité sensible perçue. C’est une capacité subjective à proposer des bâtiments originaux. «Les maîtres d’ouvrages publics ou privés nous appellent en connaissance de cause», concluent les architectes. L’agence compte aujourd’hui de nombreux projets en cours, dont un conservatoire de musique et de danse, un gymnase, des logements, deux projets urbains dont un site du concours ‘Inventons la Métropole’.
L’architecture peut être gaie en effet.
Christophe Leray