
Le 28 février dernier, le ‘WAN Colour in Architecture Award 2016’* a été décerné à l’’Ivanhoe Grammar Senior Years & Science’ de Melbourne, en Australie. Conçu par l’agence McBride Charles Ryan, un kaléidoscope révèle à l’intérieur du bâtiment ce qui apparaît comme une infinie variété de modèles et de couleurs. Je n’étais même pas informé de l’existence d’un tel prix. La couleur en architecture ? Bonne question.
Le jury de ce prix international** avait retenu six finalistes, dont le français Dominique Coulon pour le Groupe scolaire André Malraux à Montpellier, ce projet étant par ailleurs le moins coloré des six candidats. Les cinq autres bâtiments affichent en effet leurs intentions de façons très colorées.

A noter la présence de trois projets australiens – une spécificité locale ? – ainsi que celle d’un étonnant projet espagnol, d’un bâtiment aux Emirats Arabes Unis (EAU) et l’école de Coulon. Beaucoup de lieux d’enseignement dans cette liste comme si la couleur vive devait être réservée aux enfants ou aux étudiants. Avant que le principe de réalité ne rende tous les chats gris ?

Toujours est-il qu’il suffit de se promener en ville en France pour trouver une forme d’uniformité de tons, liée sans doute au contexte, mais uniformité néanmoins. La couleur sera dans les vitrines, sur quelques voitures que l’on remarque justement immédiatement, sur les enseignes, rarement sur les bâtiments. (Je ne parle pas de quelques villages typiques). Oser la couleur en ville, si elle n’est pas ‘naturelle’ comme les ardoises à Angers ou les tuiles à Aix-en-Provence, semble bien difficile à mettre en œuvre ou à imaginer à moins que ce parti pris ne soit inopportun.

Je me souviens par exemple comment, en 2009, le choix par Cédric Petitdidier et Vincent Prioux (PetitdidierPrioux) d’une couleur rouge saturée pour 30 logements à Villefranche-sur-Saône avait suscité l’immense courroux de la population et des gazettes locales. Cette couleur, «dérivée des enduits traditionnels du centre-ville» était pourtant un des éléments de l’identité du site autant qu’un signal urbain. En tout cas, la couleur était constitutive d’un projet qui presque dix ans plus tard ne suscite plus aucune animosité, au contraire. Les mêmes PetitdidierPrioux ont aussi fait le choix des couleurs vives au Tribunal de Lille, mais à l’intérieur cette fois.
Ces réflexions m’ont incité à regarder en arrière. Depuis 15 ans que je publie un hebdo consacré à l’architecture, s’il est question de couleurs, combien de bâtiments colorés me reviennent spontanément en mémoire ?
Etonnamment, le premier qui m’est venu à l’esprit est le plus absurde car j’ai immédiatement pensé à la Cité de la mode à Paris. Non seulement le vert est depuis longtemps déjà passé de mode mais ici la couleur est froide et se révèle plus brutale que vive. C’est d’autant plus absurde de penser en premier à ce bâtiment-là que je cherchais le souvenir de bâtiments polychromes. Tous les bâtiments des finalistes du concours WAN ainsi que presque tous les bâtiments colorés qui me reviennent en mémoire sont d’ailleurs parés de couleurs chaudes, chaleureuses

Après la Cité de la mode donc, c’est au bâtiment de Dominique Perrault à Lausanne que j’ai pensé en premier. En 2013, sur le campus de l’EPFL, dans un contexte «trop gris» justement, l’architecte livrait un bâtiment «haut en couleurs». Face au bâtiment translucide de SANAA, son ouvrage vise selon lui à «la reconquête de l’espace public». Ici, la couleur est un signe d’exubérance et de transgression finalement bienvenu dans cet environnement austère.

Dans la foulée, à cause peut-être des lignes colorées verticales du bâtiment de Perrault, c’est le lycée Honoré de Balzac de Castelnau-le-Lez signé NBJ (Elodie Nourrigat, Jacques Brion et Romain Jamot architectes) qui est remonté à la surface. Ici, dans le cadre d’une restructuration-extension, le travail sur la couleur apposée sur les pare-soleil verticaux offre un cadre d’enseignement lumineux tout en permettant de relier les différents bâtiments en urbanisant toutes les échelles des espaces extérieurs. Le paysage urbain et le paysage intérieur en sont transformés.

Puis je me suis remémoré dans un même élan les perspectives du futur Institut d’Education Motrice (IEM) conçu par l’agence Behrend Centdegrés Architecture à Belfort et l’image du centre d’animation Curial à Paris (XIXe) signé des architectes Cyrille Hanappe et Olivier Leclercq (AIR). D’une certaine façon, à plus de dix ans d’écart, les couleurs sont utilisées dans les deux cas avec la même volonté d’apaisement. «C’est comme un bouquet de fleurs qui aurait poussé au milieu du quartier», s’exclamait alors Sadia Diawara, le directeur du Centre. «Au milieu des tours grises, les gens ont compris que ce bâtiment est fait pour eux», disait-il. Les handicapés à Belfort, les «enfants des quartiers» à Paris, la couleur demeure l’outil d’une forme d’infantilisation rassurante compensée par une très grande générosité.

Puis je me suis souvenu de la crèche de Frédéric Borel, un ouvrage tout jaune, différent de la production habituelle de l’agence. «Des boîtes jaunes jetées sur une pelouse», disait-il. Une sculpture ? «Nous sommes très heureux dans cette crèche, nous n’avons pas l’impression d’être enfermé», assurait Melle Delaveau, directrice adjointe de l’établissement. L’île aux enfants au milieu d’un parc au cœur de Paris. Qui se souvient des immenses difficultés rencontrées avec les habitants du quartier par Frédéric Borel pour construire l’ouvrage ?

De fil en aiguille, le jaune sans doute, j’ai pensé à la maison jaune et rouge de Bruno Fuchs. Quand j’ai rencontré Bruno Fuchs, en 2006 ou 2007, il construisait des maisons en bois, bien avant qu’elles fussent à la mode. Une passion ? Son agence s’appelle Hamadryade, du nom de ces nymphes attachées à un arbre et qui meurent si l’arbre est abattu. Personne ne se préoccupait alors de construire en bois et Bruno Fuchs avait sans doute plus de liberté à cette époque que maintenant pour s’exprimer. Il faisait donc de superbes maisons en bois, souvent très colorées. «Pour cette maison, l’idée de la couleur s’est imposée dès l’origine du projet (…), du jaune et des menuiseries rouges. Ce sont les clients qui m’ont demandé que ces couleurs ‘pètent un peu‘», explique-t-il.

Et j’ai alors pris conscience qu’en 15 ans, des bâtiments ‘colorés’, je n’en ai pas publié tant que ça, moins d’une dizaine. J’en oublie sans doute, notamment pour ce qui concerne les intérieurs, mais le fait demeure que c’est un nombre dérisoire par rapport au nombre d’articles sur cette même période. Est-ce à l’image du nombre en effet limité de projets de ce type ou est-ce une partialité de ma part ?
En tout cas, pourquoi la couleur vive n’est-elle pas plus exploitée dans l’architecture, comme elle peut l’être dans l’art contemporain ou la publicité voire l’industrie par exemple ? Pudeur des hommes de l’art ? Trouille des maîtres d’ouvrage ? Le pouvoir du qu’en dira-t-on ? Conservatisme ?
Christophe Leray
PS. Vous connaissez des projets ‘colorés’ ? Faite-nous en part avec un petit commentaire (10 lignes) et nous les publierons sous forme de florilège ou pot-pourri. (contact@chroniques-architecture.com)
*Décerné par World Architecture News (WAN)
** Jury Composé des architectes Morag Morrison, associé de HawkinsBrown, et de Zlatko Slijepcevic, fondateur d’EPR Architects ainsi que de Karen Haller, Applied Colour Psychology Consultant, et de Per Nimer, Design Manager at Akzonobel.