Campus de l’EPFL, en Suisse. En contexte gris, le B1 de DPA fait péter les couleurs du cercle chromatique en une ode maximaliste à la joie de vivre. Surtout, il s’agit autant d’un parti urbain misant sur l’avenir que d’un partenariat public-privé voué aux vertus de l’éducation. Là, à Lausanne, nulle forfanterie sinon la fierté du devoir accompli, à coûts maîtrisés. Leçon inaugurale.
Il est permis d’imaginer Kazuyo Sejima, au sortir de la gare de Lausanne, remonter la rue pavée du petit chêne pour rejoindre à pieds son hôtel dans le centre. Elle s’est engagée vaillamment dans l’espace piéton avant de ressentir bientôt l’extrême raideur de la pente, à tel point qu’elle en fit une pause, le temps de se retourner et découvrir les Alpes et le lac et là-bas Evian et les navettes qui traversent le Léman. Qui sait ce qu’elle en pensât ?
Sans doute poursuivit-elle l’ascension et, arrivée à St François, reprenant son souffle, avait-elle saisi quelque chose de Lausanne.
Contexte ?
Le mardi 4 juin 2013, Dominique Perrault a inauguré son premier bâtiment réalisé sur le campus de l’EPFL. « Haut en couleur » dans un contexte « trop gris », l’édifice abritera les services centraux de la ‘haute école’, indiquent les media locaux.
Face au ‘Learning Center’ de SANAA, son ouvrage vise, selon Dominique Perrault, à «la reconquête de l’espace public». Quid ?
En premier lieu, force est de reconnaître la qualité du maître d’ouvrage. Il y a certes le choix des architectes mais aussi la gestion de ses projets immobiliers. En témoigne une recherche efficace de fonds privés – des m² à foison pour les étudiants – et de fonds publics – d’efficaces m² dans un bâtiment administratif. Dans les deux cas des partenariats public-privé, au sens premier du mot partenariat. Du coup, ici, SANAA et DPA se côtoient en toute confraternité. D’ailleurs Sejima n’avait sans doute pas imaginé les reflets ‘Day-glo’ du bâtiment de Dominique Perrault dans l’une de ses façades.
Calder ? Dubuffet ?
Ici c’est Lausanne.
En second lieu, il convient de reconnaître toute qualité aux ‘entreprises totales’ suisses*. Ici encore, le bâtiment de SANAA en témoigne. Il est toujours surprenant de constater la différence entre la qualité des finitions d’un bâtiment conçu par une agence japonaise construit au Japon et un autre conçu par cette même agence construit en Europe.
L’explication est simple. Au Japon, des agences spécialisées sont chargées de l’exécution ; en Europe, les architectes sont maîtres d’œuvre. Bref, le Learning Center est plutôt bien fini et c’est au crédit des ‘entreprises totales’ helvètes.
Quant au bâtiment de Perrault, il est du coup évidemment d’équerre.
Pour ce bâtiment, dix millions de francs suisses, soit neuf millions d’euros, furent convenus entre maître d’ouvrage, entreprise totale et architecte. C’est le prix à la livraison, après treize mois de travaux, y compris une extension non prévue au programme, un tribut à l’efficacité de l’ensemble.
Ici c’est Lausanne
Bon, et alors, «la reconquête de l’espace public» ?
Certes, ce bâtiment va accueillir les services administratifs, financiers et académiques de l’université et aussi un bureau de poste, une salle d’exposition, un café et chacune des vues de chacun des bureaux est ouverte sur le campus. Cela en fait-il pour autant un bâtiment ‘urbain’ ainsi que le prétend Dominique Perrault ?
Il faut ici accorder à cet homme de l’art une persévérance certaine quant à l’importance qu’il accorde à l’éducation et, plus précisément, à l’idée urbaine qu’il se fait d’un campus. En témoigne sans doute, dès le début de sa carrière, une école d’ingénieur et une bibliothèque, ainsi que, plus récemment, l’université féminine Ewha à Séoul en Corée du sud, dont le concours date de 2004.
Mais, vraiment, à Lausanne, quelle «reconquête» ?
Au bas du raidillon de la rue Pépinet et du grand-pont, Le Flon, Métro M1. Sur la voie unique, des stations exotiques – Vigie, Malley, Bourdonnette – puis trois stations pour l’UNIL, l’université de Lausanne. EPFL prochain arrêt, à équidistance du lac et du centre, en brousse.
Aujourd’hui il n’y a à Lausanne que des campus qui n’ont d’urbain que l’intention. Mais nul n’a besoin d’être grand clerc pour imaginer comme Dominique Perrault que l’avenir de ces campus s’inscrit en ville. «Dans deux ou trois ans, nous prévoyons que 2.000 à 3.000 étudiants vivront sur le campus [de l’EPFL]», explique Patrick Aebischer, président de l’EPFL. Les transports en commun sont, de fait, déjà prêts.
Alors un bureau de poste, «bien sûr», affirme Dominique Perrault. A Lausanne comme au Louvre comme ailleurs.
Dans le cadre de l’inauguration du B1, Dominique Perrault a proposé une exposition de ses projets suisses au travers de sa propre collection de maquettes. L’une d’elle, relative au site de l’EPFL est une vue satellite de Lausanne. Sur l’image l’architecte a disposé trois baguettes formant un triangle et délimitant l’aire de développement des campus universitaires de la cité helvète. Souligné ainsi, le devenir urbain du site apparaît comme une évidence !
A dix, vingt, trente ans… anticipation ! Le B1 s’inscrit à l’articulation des axes et aménités futurs.
Ici c’est Lausanne.
«La reconquête de l’espace public», explique donc Dominique Perrault.
Sauf qu’il ne s’agit pas seulement d’urbanisme et d’architecture. L’homme de l’art se montre fier que l’EPFL lui ait par ailleurs confié la réalisation de son futur ‘teaching bridge’, non pas tant pour l’ouvrage lui-même que pour son intention, via les nouvelles technologies, de diffuser aisément, pour quiconque dans le monde le souhaite et le mérite, l’enseignement de l’EPFL.
Patrick Aebischer, président de l’EPFL et maître d’ouvrage, de retour d’une mission à ce sujet de six mois en Afrique, et l’architecte maître d’œuvre persistent ensemble à penser qu’éducation et culture sont au cœur de leurs projets.
Ils ont donc, in fine, une vision très large, sinon vaste, de «l’espace public». Nul doute que des ‘entreprises totales’ sauront intervenir au service de cet idéal.
Ici c’est Lausanne.
Christophe Leray
*Particularité suisse, ‘l’entreprise totale’ est une entreprise générale qui s’occupe également de la planification du projet attribué par le maître d’ouvrage, en plus des autres travaux de construction.
Cet article est paru en première publication sur le Courrier de l’Architecte le 12 juin 2013