
Malgré nombre de contretemps indépendants de sa volonté et une politique urbaine chaotique, pour le moins, à Paris l’architecte Frédéric Borel est parvenu à édifier une crèche de facture très contemporaine qui se révèle, à l’usage, parfaitement (ou presque) adaptée à ses habitants. Découverte.
Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Frédéric Borel en a fait l’expérience lors de la réalisation de la crèche des Récollets, dans le 10ème arrondissement à Paris. Sauf qu’il n’en est pas mort (s’il est permis de s’exprimer ainsi) et que son ouvrage s’avère être une remarquable réussite dans un paysage pourtant affligeant, de plus en plus, de conformité, voire de conformisme.
«Ce fut un projet difficile», explique Frédéric Borel, un homme posé, timide. Avec un autre caractère, un autre homme aurait pu sans mentir utiliser des mots plus lourds de sens. Dans les années 90, la ville avait pour ambition d’utiliser la partie sud du jardin du Couvent des Récollets pour édifier des logements, paysager un grand parc et remplacer, en bordure de rue, la crèche existante vétuste. C’était sans compter sur les associations de quartier, stars du show bizz en tête, qui attaquent le projet et obtiennent gain de cause. Sauf que l’architecte avait déjà élaboré un projet, en commande directe, lequel passe donc à la trappe.
Trois ans plus tard, la ville revoit le plan masse. La crèche retrouve son enclave au milieu du jardin tandis qu’une halte-garderie (les enfants vont à la crèche de façon régulière, à la halte-garderie de façon épisodique) doit s’inscrire sur la rue. La façade grise, minérale, de ce nouvel ouvrage étant imposée à l’architecte. Nouveau projet donc pour une crèche désormais détachée de tout contexte, si ce n’est la ‘nature’ du parc attenant, sinon une contrainte majeure : le terrain est situé au-dessus de carrières pouvant atteindre 20 mètres de profondeur. L’architecte opte donc pour un bâtiment léger, sur pieux, constitué de quatre points d’appui, d’un plancher béton et d’une charpente bois habillée d’un matériau composite, le Trespa. «Une structure simple», explique l’architecte en souriant.

Un concept de crèche également plus simple que sa découverte, à première vue, ne le laisse penser. De fait, vue du parc, le sentiment domine, pour un instant, que la ville a fait l’acquisition d’une gigantesque sculpture de Dubuffet. Jusqu’à ce que l’on en discerne les angles aigus. «Des boîtes jaunes jetées sur une pelouse», propose Frédéric Borel. Mais pas jetées au hasard. L’architecte, père d’un garçon de 10 ans, a pu s’appuyer sur une expérience personnelle pour imaginer la répartition des espaces, des cheminements et revoir à l’échelle des enfants certaines proportions. Le tout construit autour de la notion de village avec sa place publique (le vaste atrium à l’entrée), la mairie (le bureau de la directrice), les équipements publics (cuisine, salles pour l’encadrement) et privés (les pièces de vie des enfants petits, moyens et grands). L’île aux enfants au milieu d’un parc au cœur de Paris.
Bien. Sauf que la bienveillante modernité – bienveillante car il n’y a là rien d’iconoclaste et si les lignes surprennent, il s’agit plus d’une illusion d’optique que d’une volonté de surprendre ; ce qui surprend d’ailleurs est l’impeccable symétrie de l’ensemble – de ce «modeste bâtiment» (Borel) n’eut pas l’heur de plaire. Alors que le chantier suivait normalement son cours, soudainement, l’entreprise générale – dont l’architecte déduit plus tard qu’elle s’était trompée sur le prix du Trespa» – refusa de continuer les travaux au prétexte «que ça ne tiendrait jamais». Du moins c’est ce qu’a affirmé la ville en attaquant l’architecte. La fameuse rage du chien que l’on veut tuer. Comme la bête résistait, le projet – bâché un an et demi – est devenu «une crèche chère». Au point d’avoir bientôt les «honneurs (sic)» de la télévision et de l’émission ‘Combien ça coûte’. De quoi en effet dégoûter les esprits obtus de l’architecture contemporaine, surtout quand on connaît dans quelles conditions les enfants sont habituellement reçus dans les (très) rares crèches de la capitale. «Ca a été douloureux», déplore Frédéric Borel. Avec un autre caractère, un autre homme aurait pu sans mentir utiliser des mots plus lourds de sens.
Pour mémoire, l’ensemble de la réalisation, soit le premier projet, le second projet et la halte-garderie auront coûté, tout compris, 3,3 millions d’euros. Pour une crèche neuve en plein Paris, les spécialistes apprécieront.

«Nous sommes très heureux dans cette crèche, nous n’avons pas l’impression d’être enfermé», assure Melle Delaveau, directrice adjointe de l’établissement. Un bonheur relayé par une mère de famille. Il est vrai que la place de village, un grand atrium vitré, est accueillante. Lors d’une visite de presse, le groupe de journalistes s’y tenait à l’aise malgré une dizaine d’enfants, un toboggan, des jouets, des tricycles et un sapin de noël. Un accès rendu aisé par une salle à poussettes dont l’accès est à l’extérieur. Le rez-de-chaussée est réservé aux ‘grands’ qui savent marcher et ont donc un accès direct au jardin, les boîtes de l’étage étant réservées aux petits et moyens. Chaque boîte mesure 8 m x 12 m, largement de quoi créer une zone soins et une zone sommeil pour chaque unité ; des dimensions par ailleurs idéales pour la construction bois. Ces unités sont reliées par une galerie en bois dont la couverture est vitrée et offre ainsi lumière et vue sur le ciel. Une terrasse permet en été aux enfants de sortir et regarder arriver les parents.
A noter également que tous les espaces de rangement – meubles et casiers donnant sur la passerelle– furent conçus dès l’origine, permettant ainsi une utilisation maximale de l’espace alloué à chaque unité. A noter également le soin particulier apporté à l’acoustique, dont les enfants et le personnel ne peuvent que se féliciter. Enfin, et ce n’est pas la moindre des trouvailles puisque, en l’occurrence elle ne coûte rien ou presque, un coin au rez-de-chaussée a été aménagé pour les jeux d’eau entre atrium et jardin. De quoi ravir les enfants en été.

Quelques questions ou soucis demeurent. Le jaune du Trespa est particulièrement salissant. S’il se nettoie aisément, il n’en reste pas moins que certaines façades sont difficiles d’accès et donc, surtout quand elles sont proches d’un arbre, déjà marbrées de traces noires. La couverture vitrée de la passerelle, si elle se révèle un puits de lumière merveilleux, devient un formidable convecteur de chaleur en été et l’architecte étudie aujourd’hui avec une entreprise le moyen de la protéger en été. A l’inverse, le plancher chauffant des salles du rez-de-chaussée se révèle tout juste suffisant.
Au final, l’architecte ne regrette pas la grise façade sur rue qui lui fut imposée et les péripéties du chantier. «Si c’était le prix à payer pour cette crèche, ça vaut le coup», dit-il. Même le chemin qui mène de cette façade à la crèche s’est transformé en parcours d’initiation, les enfants apprenant au fil du temps à le traverser seuls. Comme quoi, à partir d’une politique urbaine chaotique, l’architecte a disposé au final d’une situation exceptionnelle pour une réalisation qui ne l’est pas moins.
Christophe Leray

Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 12 janvier 2005