Après l’indigestion de salades vertes et d’algues nori du premier opus, Anne Hidalgo a lancé le 23 mai 2017 dans la Sainte-Chapelle de l’architecture parisienne, le Pavillon de l’Arsenal, «Réinventer Paris 2», sur le thème des sous-sols. Les salves de critiques qui avaient inondé la première mouture ne semblent pas avoir refroidi Jean-Louis Missika et sa bande, encore moins les hypothétiques participants venus ce jour-là.
A la Ville de Paris, de Le Nôtre à Caterpillar, il n’y aura eu que trois ans. Depuis 2014 et la présentation des 23 sites exceptionnels, la moisson enrichie propose cette fois à l’imaginaire d’équipes pluridisciplinaires pas moins de 34 sites encore plus «exceptionnels», plus «mystérieux», plus «uniques». Comme dans toute opération de communication, les superlatifs ne manquaient pas pour qualifier tantôt quatre tunnels inutilisés (ceux de la petite ceinture), des stations de métro qui n’ont de fantôme que le nom (champs de mars), des parkings cylindres (RIVP et Paris Habitat) et autres anciennes boîtes de nuit rendues célèbres par des films de midinettes (La Main Jaune).
Paris est dans le top cinq des villes les plus denses du monde, devant New York et Londres. Il aura fallu aux fonctionnaires du cabinet de l’adjoint bien se creuser les méninges pour dégoter ces 34 nouveaux sites. C’est peut-être ce qui leur aura donné l’idée du thème d’ailleurs. Comme d’habitude à Paris, c’est joli, ça fait appel à l’imaginaire collectif, ça parle environnement et verdissement.
Le discours est bien rodé, d’autant qu’en trois ans la «méthode Réinventer Paris», comme le martèlent les élus, a fait des petits avec «Réinventer la Seine» et «Inventer la Métropole». Notez que l’Ile-de-France doit être un territoire bien désertique intellectuellement pour être encore autant à réinventer… Cette méthode serait-elle en passe de devenir un énième label ? Possible, Anne Hidalgo, la maire de Paris rappelait d’ailleurs à cette occasion «qu’un appel à projets porté par le C40, réseau mondial des grandes métropoles qui luttent contre le dérèglement climatique, doit bientôt être lancé».
Trêve de romantisme à l’eau de rose. Personne n’était vraiment dupe de ce qui se tramait ce matin-là. Preuve s’il en fallait, les hommes et femmes de l’art présents étaient bien jeunes, peu connus et, à vue de cravates, l’assemblée était plus largement fournie en promoteurs qu’en architectes. Bon signe ? Si la flamme olympique est encore fort convoitée, celle des investisseurs est généreusement entretenue pour concevoir la ville de demain.
Jean-Louis Missika annonce Paris sans voiture individuelle d’ici dix ans. Du coup, plus de voiture tolérée en souterrain non plus. Si Renault propose un site de 5 500 m² dans le XIe arrondissement, l’entreprise oublie peut-être un peu vite qu’elle en vend encore pas mal des voitures individuelles aux Parisiens qui auront encore besoin de se garer pendant quelques décennies. Sauf évidemment si Jean-Louis Missika, comme par magie…
Le nouvel opus aura au moins le privilège de s’attarder sur des espaces délaissés comme ceux situés sous le métro aérien de la ligne 6 ou d’enfin s’attaquer à quelques emprises foncières monumentales pour lesquelles bat depuis déjà quelques temps le cœur des majors de la promotion. Une façon de faire monter encore les enchères sur un foncier ultra-tendu, rendu de plus en plus inaccessible à la bourse des habitants et à celle des bailleurs sociaux de la ville.
Réinventer Paris 2 s’installera aux côtés des nombreuses ZAC parisiennes en cours comme l’édulcorée Clichy-Batignolles, l’inhumaine Paris Rives-Gauche, et sans compter Bercy-Charenton, Paris-Nord-Est ou Saint-Vincent-de-Paul qui démarrent à peine. Y a-t-il déjà eu autant de grues dans le ciel de Lutèce ? Le rythme d’aménagement de la ville est élevé et d’aucuns pourraient se demander comment se fait-il que tous les architectes n’y trouvent pas leur compte. Paradoxe d’un nouveau produit d’appel international quand bien même les stars étrangères, souvent meilleures chez elles qu’ici, découvrent chaque jour un peu plus à quel point il est difficile de bien construire à l’intérieur du Périphérique. Ce n’est pas Herzog et de Meuron qui diront le contraire.
Que les Parisiens se rassurent, la ‘skyline’ de la capitale n’est pas prête de grimper. «Alors que plusieurs métropoles se livrent une course à la hauteur sans fin, nous affirmons une autre ambition : celle de la profondeur. Il ne s’agit pas de creuser mais d’ouvrir. Nous voulons amener de la verticalité et de la profondeur à la métropole !», affirme l’adjoint à l’urbanisme. Qu’il se méfie quand même, des Champs-Elysées à l‘enfer, ce n’était chez les Grecs qu’une question de sémantique. Réinventer Paris 2, la ville n’a pas fait beaucoup d’efforts pour baptiser son nouveau bébé. Pourquoi se fouler d’ailleurs ?
Comme une épidémie sans vaccin, sous couvert encore d’innovation, la spéculation qui agite la surface touche désormais le sous-sol. Certes, qu’ils soient atypiques ou méconnus, les espaces souterrains inexploités ne manquent pas dans la capitale. Rien de nouveau en réalité à vouloir mettre en lumière la sous-face parisienne. Pompidou n’avait-il pas déjà lancé une idée d’autoroute souterraine ?
Il n’empêche. La recette fonctionne superbement au point que dans le volume 2017, il y aura des chapitres signés RATP, SNCF, Efidis ou encore Renault. Même la RIVP et Paris Habitat, les bailleurs sociaux de la ville, en profitent pour se délester en grande pompe et moindre frais de parkings-cylindres devenus encombrants. Les caisses ont grand besoin de se remplir.
«La direction de l’Urbanisme s’est appuyée sur le PLU voté en 2016 et s’est inspirée en début de mandature de la ville de Montréal», explique Jean-Louis Missika. Soyons sérieux ! A Montréal, la ville souterraine n’a d’intérêt que d’éviter de sortir à l’extérieur pendant les grands froids de l’hiver et les kilomètres de corridor ne concernent que le quartier d’affaires, depuis 1950.
Si d’aucuns peuvent toujours se rassurer en pensant qu’au moins ce type de sujet pourrait nous protéger des 50 nuances de vert de la première édition, que reste-t-il cependant à inventer pour les architectes venus entendre les discours ? De plus, que le PLU ait été modifié en juillet dernier pour permettre l’installation de nouveaux programmes en premier sous-sol n’augure pas forcément le meilleur. Que dire des suggestions au menu : boîte de nuit, galerie d’art, bowling. Les élus seraient-ils en mal d’idées ? Surtout dans des stations de métro qui, bien que fantômes, voient passer toutes les quatre minutes des wagons endiablés. Quoi d’autres ? Champignonnières, parc d’attractions pour cadres sup’ adulescent, plantation de cannabis, Skatepark pour poussettes et trottinettes…
La ville semble avoir néanmoins entendu l’appel des architectes et des équipes qui avaient rendu la langue pendante des dossiers à des niveaux de finition d’une extrême exigence. Cette fois, le concours se déroulera en seulement deux phases. La manifestation d’intérêt doit être rendue en novembre 2017 pour une remise des offres des équipes retenues en mai 2018. Bonne chance à tous.
Léa Muller