En 2014, lors de la parution de son ouvrage Espaces inattendus*, l’architecte Luc Weizmann (LWA) livrait les tenants de sa pratique originale dans un long entretien réalisé par Delphine Desvaux. Cet article n’ayant pas pris une ride, nous le republions ici avec l’autorisation des auteurs.*
Vos projets sont atypiques, voire surprenants. Sont-ils difficiles à appréhender?
Luc Weizmann : Ces projets répondent à des besoins nouveaux, à des enjeux environnementaux émergents depuis deux décennies à peine. Ils n’ont pas de références et demeurent, à ce titre, souvent en décalage avec un certain imaginaire collectif. Ils sont par ailleurs difficiles à identifier du fait de leurs échelles et de leur technicité ; ils ont des noms compliqués et ne peuvent se résumer à des slogans, se valoriser tels des produits de consommation, comme trop souvent aujourd’hui l’architecture. Ils appartiennent à des univers méconnus mais se révèlent chargés d’un sens profond dans l’espace du territoire et de la Cité.
Par-delà leur complexité, la forte présence architecturale qui peut leur être conférée provoque souvent un effet de surprise très intéressant : elle interroge une certaine citoyenneté, la gestion du bien commun. Là où la technique voudrait faire taire les questions, l’architecture les ouvre, les déploie…
Quel est votre parcours d’architecte ?
Il est long de devenir architecte, c’est un chemin difficile à résumer…
J’ai toujours aimé à la fois les disciplines scientifiques et artistiques. Aussi, bien que n’y connaissant rien, les études d’architecture nous ont semblé pertinentes après le baccalauréat, à mon père et à moi-même. Ce métier suppose d’avoir les pieds sur terre, d’anticiper pour gérer une réalité économique, technique, mais aussi un esprit artiste, un peu bohème… Il est à la conjonction de multiples réalités, dans cette capacité de rencontre inédite qui m’a toujours intéressé.
J’ai d’abord notamment été l’élève d’Henri Tastemain, un grand architecte trop peu connu qui fut le disciple d’Auguste Perret et a construit une œuvre magnifique au Maroc. Il m’a transmis la rigueur et l’amour de l’architecture.
Au-delà de l’enseignement reçu, l’apprentissage a surtout été pour moi un parcours d’autodidacte, dans un processus lent, depuis l’Ecole des Beaux-arts et les commencements de la pratique chez divers confrères, vers la découverte de l’épaisseur du métier, des prémisses du croquis aux affres du chantier.
La grande sensation s’éprouve pendant la construction d’un projet que l’on a dessiné, lorsque l’intuition se concrétise pour la première fois dans l’espace. Pour moi, ce fut à trente ans, lors de la réalisation de la caserne de gendarmerie de Dourdan qui a permis la création de l’agence : premier projet, première confrontation, premiers émois professionnels devant cette matérialisation de choses ressenties…
Ensuite, dans l’élan des Albums de la Jeune Architecture, les concours se sont succédés avec leur cortège de réussites et d’échecs ; avec la chance et le plaisir de construire des bâtiments de toutes sortes ; avec la transmission des lieux à leurs occupants ; avec la patine du temps ; avec en filigrane, la difficulté de durer dans un exercice libre et créatif du métier.
Comment en êtes-vous venu à développer ces «architectures de l’environnement» ?
Les grands projets arrivent la plupart du temps de façon inattendue, par la petite porte : pendant le développement de l’agence, au milieu de projets plus classiques, j’ai été appelé, sans aucune connaissance de ce type de programmes, à mener les études architecturales préalables de l’usine de traitement des eaux de Colombes, puis à réaliser la station d’épuration de Rouen.
Comme souvent dans ce métier, ces premières opportunités ont fait de nous des spécialistes, dans le contexte d’une augmentation importante des pollutions et d’une prise en compte nouvelle des enjeux environnementaux.
Au vu des exigences d’intégration dans des milieux souvent sensibles, ces projets qui correspondaient auparavant à des infrastructures industrielles sont devenus de véritables architectures : des typologies nouvelles ont été progressivement inventées, dans des situations géographiques souvent très belles, contraintes par la topographie, l’écoulement gravitaire des effluents ou les particularités du territoire.
L’architecture trouve-t-elle vraiment sa place dans ces projets à vocation industrielle ?
Ces usines de traitement des déchets, et particulièrement des eaux, assurent au fond la remise en ordre des quatre éléments naturels – eau, terre, air, feu -. S’y brassent, à l’aval des villes, dans une complexité croissante, les eaux polluées, usées, industrielles, pluviales, potables, mais aussi les boues diverses, les airs saturés de gaz multiples ; s’y gèrent des consommations et des productions d’énergie considérables. Rejetées à l’écart de la cité, comme les maladreries du Moyen-Age, elles traitent le passif d’une société surconsommatrice qui les ignore.
De par leurs fonctions citoyennes, de par leur pérennité, elles constituent des équipements publics à part entière, au même titre que les stades, les centres culturels, les musées… Encore faut-il qu’elles soient reconnues comme telles…
Dans les usines de traitement des eaux, dont la fonction est de rendre au milieu naturel une eau purifiée, l’apport culturel et sociétal de l’architecture trouve son sens en exprimant la noblesse de la transformation du déchet en produit, du passif en actif, du sale en propre.
Cela suppose toutefois qu’il soit porté par la collectivité et le maître d’ouvrage, ce qui est malheureusement trop rare.
Pour la station du Carré de Réunion, tout contre le parc du château de Versailles, le contraste est saisissant entre l’usine qui porte ce nom ingrat d’«épuration» et le Grand Canal : la «fosse septique», que l’on veut faire disparaître du décor, est bien là, historiquement, géographiquement, symboliquement aussi, en contrepoint des Grandes Eaux du plaisir.
L’architecture peut qualifier cette apparente contradiction.
Quel est le rôle de l’architecte sur ces projets témoins ?
Curieusement, ces projets très techniques, tributaires des choix industriels ou écologiques permettent une grande créativité architecturale qui s’exprime selon les procédés et la nature des milieux environnants.
Pour être admis, ils supposent plus qu’une insertion paysagère véritable : le récit d’une identité nouvelle. Les programmes s’ajustent progressivement, le projet s’invente sans référence, en dialogue étroit avec l’ingénierie ; les problématiques environnementales au cœur de ce type d’équipements sont partie prenante de la conception : recherche de compacité, relation juste aux milieux naturels, respect des écosystèmes, économies et productions alternatives d’énergie, usage de principes bioclimatiques et naturels de ventilation, gestion raisonnée des eaux.
L’expression formelle qui en résulte constitue une expérimentation inédite, au cœur d’interfaces multiples. Plus que pour des programmes conventionnels, ces projets environnementaux donnent à l’architecte une position centrale, à la charnière de réalités multiples.
En raison de leur complexité, ils nécessitent des compétences extrêmement variées. Pour les études et le chantier, j’ai dénombré une quarantaine de métiers complémentaires : hydrauliciens, électromécaniciens, électriciens, électroniciens, géotechniciens, génie-civilistes, ingénieurs du bâtiment, de second-œuvre, mais aussi environnementalistes, écologues, ergonomes…. En réalité, la difficulté y est telle qu’un seul esprit ne peut tout comprendre.
L’architecte tient sa place pleine et entière très en amont et tout au long du projet. La particularité du site, les contraintes d’urbanisme, d’implantation, d’orientation, l’intuition d’une simplification de questions éparses amènent à choisir parmi les différentes solutions techniques pour composer ce qui devient l’architecture : le fruit inattendu (résultat improbable ?) de choix raisonnés.
Lorsque tous les intervenants arrivent à se regrouper en confiance pour fédérer le travail, quand la résolution des questions techniques et fonctionnelles est en symbiose avec la recherche d’une expression spatiale signifiante, c’est passionnant. Parfois s’établit une complicité intellectuelle qui donne l’impression de composer un cerveau ultra-puissant avec une multitude de cerveaux singuliers.
Pour l’architecte, tout l’enjeu est de savoir prendre une certaine autorité morale dans la synthèse du travail collégial. Et d’en faire la preuve par l’espace.
Vous avez beaucoup construit sur le site de la plaine d’Achères. Comment l’aventure a-t-elle commencé ?
Par diverses circonstances, je travaille depuis vingt ans sur ce lieu étonnant mais fort méconnu qui appartient à l’histoire de Paris. Fondée au XIXe siècle pour accueillir les effluents de la capitale dans une logique géographique et hydraulique d’une intelligence remarquable, la plaine d’Achères trace en creux, par strates, l’histoire de l’Ile-de-France, l’évolution considérable de la nature et de la quantité de ses pollutions : elle accueille d’abord, autour de fermes, les champs d’épandage des boues des égouts parisiens où se cultivaient les fameux poireaux vendus aux Halles de Paris ; puis, dans les années Quarante, les infrastructures industrielles lourdes réalisées par tranches successives ; et enfin, ces unités confinées et automatisées que nous construisons aujourd’hui dans ce qui s’appelle désormais l’usine Seine-Aval.
Au fil du temps, des entreprises spécialisées et nous-mêmes avons mis en œuvre avec une douzaine d’ouvrages et de bâtiments pour le SIAAP (syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne), maître d’ouvrage.
Ces projets, tous différents du fait de leurs contraintes spécifiques, nous ont fourni l’opportunité unique de développer, avec beaucoup d’enthousiasme, une écriture architecturale homogène : ils composent progressivement une véritable Cité-Jardin publique de l’assainissement, au service de l’eau mais aussi des personnes qui y travaillent dans des conditions parfois difficiles.
Au Mont-Saint-Michel, vous avez fait d’une infrastructure hydraulique un ouvrage de portée universelle. Quelle est l’histoire de ce projet ?
Le barrage du Mont-Saint-Michel est un projet atypique dans toutes ses dimensions. S’il fut dénommé «barrage de la Caserne», il n’est ni un barrage, ni une caserne : complètement poreux à l’eau, il comporte huit vannes permettant de réguler et de stocker les eaux à marée haute pour les restituer à marée basse en créant des chasses qui renvoient les sédiments ; mais c’est aussi le contraire d’un lieu d’enfermement, un lieu complètement ouvert au public, dans un rapport dilaté au paysage.
L’ambition du projet est construite sur un paradoxe : l’homme, par une infrastructure à la fois immense et dérisoire, prétend réguler la Nature et l’ensablement inéluctable d’une baie.
Au départ, nous pensions qu’il fallait exacerber un outil hautement technologique qui montre avec bravoure le savoir-faire français. Puis, progressivement, est venue l’idée de réaliser une machine sans âge, qui s’adresse à l’imaginaire collectif, qui n’affirme pas une fierté autocentrée mais qui, au contraire s’établit dans une certaine rusticité, faisant référence, par son dessin, à l’univers maritime.
Peu à peu, j’ai réalisé que cette machine devait s’incruster dans le paysage pour mieux le révéler, au sens propre comme au figuré. Parce que c’est le génie du lieu qui gouverne la mécanique, cet ouvrage ne pouvait se résumer à lui-même et à son efficacité : il n’est pas autiste. Il n’a de sens qu’en symbiose avec le site, un site porteur de culture, d’une densité extrême, historique, géographique, imaginaire, spirituelle… A l’écoute de l’environnement, en contrepoint de son action mécanique, il devient espace public de contemplation.
Ce décalage qui dépasse l’architecture m’intéresse vraiment. Je vois une allégorie de la vie humaine dans cette dualité entre ce que l’homme veut ou peut régenter de la nature, et ce qui relève de l’immaîtrisable, qui ouvre à l’infini, à l’au-delà des limites.
Ainsi, les vannes sont tournées vers la terre, devant le Couesnon canalisé dans les polders, tandis que le balcon maritime surplombe les eaux devant le Mont-Saint-Michel et l’horizon des sables mouvants. Là, sur le Pupitre des Lettres que compose le bastingage de bronze, sont gravés les alphabets hébreu, grec, arabe et latin, en référence à l’histoire européenne, au brassage des eaux et des peuples, aux manuscrits du Scriptorial de l’abbaye…
De cette ambition séculaire de désensabler le Mont – hydrauliquement mais aussi sans doute symboliquement – surgit une poésie, une philosophie de l’homme… Sur le «barrage de la Caserne», la technique n’est pas exaltée mais s’exprime comme servante de l’environnement. Sans doute, doit-on commencer le XXIe siècle avec cette évidence que la science ne sauvera pas le monde, qu’il est temps d’en reconsidérer la place…
La notion d’engagement durable vous est chère. Quel sens lui donnez-vous ?
La lenteur des projets, leur complexité demandent une ténacité et une souplesse formidables : un engagement véritablement durable est indispensable pour garder une cohérence qui a toujours mille raisons d’être bousculée… Cette cohérence s’initie intuitivement dans l’écoute de la respiration du site et dans le questionnement du besoin de l’homme. Elle se poursuit dans le plaisir exigeant de la conception et l’âpreté magnifique de la réalisation. Elle se mesure dans le temps, par la réussite d’une appropriation.
Au même titre que l’espace, le temps est matière du projet, de l’urgence du concours à celle de la construction… Son accélération actuelle bouscule ce qu’étaient les fondements de l’architecture de grands démiurges qui prétendaient dessiner le monde pour toujours. Aujourd’hui, on construit vite, pour le court terme, des objets éphémères, dans des conditions difficiles, avec des entreprises fragilisées. La notion d’investissement patrimonial a presque disparu au profit d’une vision instantanée de l’architecture.
A l’opposé, nos projets, tout atypiques qu’ils soient, induisent une pérennité par leur masse, par leur épaisseur, dans cette solidité et cette plasticité qu’ils dégagent, aux antipodes d’une séduction fugitive. Ils durent, dans une forme de résistance positive à la dématérialisation des choses…
Vous avez en parallèle toujours développé un travail sur la ville et le territoire…
Effectivement, il m’a toujours semblé indispensable d’élargir notre réflexion à l’échelle du territoire urbain et du paysage, de cultiver une pratique diverse, indispensable à la compréhension des enjeux de la société contemporaine. Les échelles de temps et d’espace participent de façon interactive à la réalité ; il est passionnant de les explorer dans cette rencontre de l’immense et de l’infime, des composantes visibles et invisibles qui fédèrent l’espace.
Si le développement de la ville et du monde rural est un processus vivant souvent imprévisible, un mouvement unitaire de pensée doit en appréhender et en réguler les tendances, en intégrer la cohérence organique. L’attention à une vision durable de l’aménagement positionne l’architecte-urbaniste dans sa mission créative, à la charnière des possibles et des arbitrages.
Ainsi le projet spatial sur le territoire le place très en amont de la seule formalisation, dans la dimension sociale et politique de sa fonction, auprès des collectivités et des maîtres d’ouvrage.
Comment concilier la gestion du quotidien immédiat avec une vision politique sur le long terme ?
Inscrire l’urgence du moment dans une vision de long terme est l’une des questions les plus difficiles en matière d’aménagement et de réhabilitation du territoire, qui engagent des temps longs excédant les mandats électoraux. C’est l’enjeu d’une démarche vraiment écoresponsable que de concilier le pragmatisme quotidien avec la définition d’un horizon lisible…
Les mutations que connaît le monde seraient-elles l’occasion de découvrir de nouveaux paradigmes ?
J’apprécie énormément la philosophie de la «sobriété heureuse» que développe Pierre Rabhi. La découverte de la limite des ressources, et notamment de la finitude de l’espace, les enjeux environnementaux de ce siècle obligent à renouveler nos comportements dans une nouvelle conscience planétaire.
Si, au XXe siècle, les espaces naturels et agricoles ont été pensés comme le réceptacle des extensions de la ville, on redécouvre aujourd’hui à quel point ils sont précieux. Ce rapport de l’urbain avec son environnement rural est à réenvisager de manière fondamentale, dans une logique spatiale et économique qui devient vitale.
Les territoires régionaux dont la France est si riche sont ainsi à réévaluer à partir d’un ancrage dans leur géographie et dans leur histoire, chacun avec ses particularités propres. Longtemps on a cartographié les plans d’urbanisme dans une abstraction déconnectée des réalités… Dans un monde qui se déréalise, où les flux s’accélèrent et les échanges se dématérialisent, la question du sort de la ville et des territoires, de leur rééquilibrage, est devenue primordiale…
Il s’agit désormais de passer d’une croissance quantitative à une approche qualitative, de la logique d’équipement et d’aménagement à celle de réhabilitation et de ménagement, fondée non plus sur une consommation frénétique mais sur une réinvention créative de la mutualisation.
Une certaine modestie individuelle mais une grande ambition collective sont à déployer jusque dans les moindres choses…
Comment concilier cette appréhension du réel et l’imaginaire qui vous habite ?
Donner du sens n’est pas faire entrer dans un monde imaginaire, bien au contraire : c’est rendre physiquement appréhendable une dimension invisible du monde. Le sens, la spiritualité, appartiennent au domaine du réel, non de l’imaginaire. Ce n’est pas parce qu’une chose n’est pas matérielle qu’elle n’est pas réelle : notre époque confond avec idolâtrie l’invisible et le virtuel.
Quand on évoque une usine qui traite des eaux sales, des déchets ou de l’énergie, ou une machine qui régule un fleuve, on parle de la gestion du réel visible de l’univers. L’enjeu de l’architecture est le rapport entre cette réalité perceptible – la loi de la pesanteur, les contraintes physiques, spatiales…- et une dimension subtile.
Ce qui me passionne dans ce métier comme dans la vie, c’est cette rencontre. L’architecture donne cette chance de pouvoir l’incarner dans la matière. De manifester ainsi une forme de bienveillance dans le concret des choses de la vie……
Pourquoi la préoccupation artistique revient-elle de façon récurrente dans votre travail ?
Il y a de l’émotion à travailler sur des ouvrages en résonance avec le paysage et les éléments naturels, sur les hauteurs, dans les creux, sur l’horizon. Il y a un pur plaisir esthétique aussi.
Une référence au Land-Art nourrit des projets parfois très grands qui prennent une relative abstraction. Dans ces échelles, l’architecture n’est pas de l’ordre de l’objet mais plutôt d’une inscription dans la géographie du territoire.
L’ouvrage peut devenir sculpture, s’affirmer comme un signe dans le paysage. Il possède souvent par lui-même une force plastique, bien au-delà de sa sophistication technique ou de sa valeur quantitative. Les espaces intérieurs trouvent également parfois une expressivité inattendue, une théâtralité muséale…
Pour renouer des liens distendus entre art et architecture, j’essaie depuis longtemps de faire intervenir des artistes, des scénographes, selon les lieux et la fonction, avec cette idée d’une ouverture vers un public citoyen, d’une pédagogie par la perception sensible de l’espace.
Indépendamment de votre activité d’architecte, vous écrivez…
J’ai toujours écrit, comme j’ai toujours dessiné, à l’encre de chine et au brou de noix. Ecriture et dessin se mêlent… L’écriture se nourrit d’un substrat vivant composé des actions et réflexions qu’entretient l’architecte. Les mots précèdent l’esquisse, racontant la sensation et l’intuition. Et l’architecture se prolonge par la parole qui formule, qui explicite.
En eux-mêmes, les projets composent une sorte d’alphabet qui raconte dans l’espace une histoire, une attitude aussi, peut-être une identité… Ils trouvent leur origine et leur expansion dans l’écrit mais ils sont très contraints, en dépendance haletante des réalités extérieures. Alors que l’écriture, dans le vertige de la page blanche, ouvre un espace de liberté très appréciable, redoutable aussi…
Comment percevez-vous l’avenir de votre travail ?
Dans le renouvellement constant d’une pratique attentive. Par la recherche de projets à étudier, à construire, à écrire, à transmettre…
Dans la méditation aussi… Un frère Dominicain disait que l’on doit apprendre à passer de la distraction à la contemplation. C’est un temps que nos sociétés urbanisées ont perdu, et que nous avons sans doute à réinventer : sortir de la frénésie et de la fausse urgence pour accéder à la lente découverte d’autres dimensions…
Les concours – près de deux cents depuis la création de l’agence -, les études, les chantiers, apportent un enrichissement permanent.
L’expérience de très importants comme de plus modestes ouvrages, la volonté aussi de ne pas s’enfermer dans la connaissance acquise, incitent bien sûr à développer, dans d’autres champs, de nouvelles commandes tout aussi atypiques, en France et à l’international, là où une demande d’architecture est manifeste.
Propos recueillis par Delphine Désveaux
Janvier 2014
*Espaces inattendus, Luc Weizmann Architecte CREAPHIS Editions. Diffusion Seuil 40€