Les architectes américains n’ont pas besoin de ‘titre’ pour travailler ; ils se contentent d’une licence obtenue à l’issue d’un examen qui, selon l’un d’eux, doit assurer que les immeubles sont « sans danger » et qu’ils « atteignent un certain nombre de standards esthétiques ». Un pragmatisme qui n’est cependant pas à l’abri d’une polémique picrocholine. Edifiant.
L’histoire est narrée dans un article du Chicago Tribune daté du 3 mai 2005. La veille, John Pavlovich, 67 ans, dessinateur employé d’une agence d’architecture, s’était vu infliger par le ‘Department of Financial and Professionnal Regulation’, une branche de la justice de l’Etat de l’Illinois, une amende record, pour un individu, de 250.000 dollars.
L’affaire a débuté en 2001 quand les fonctionnaires de cette institution se sont émus de recevoir encore des plans d’un architecte, Emil L. Larson, qui à cette date avait, selon sa fiche, 104 ans bien sonnés. Un architecte qui avait visiblement du cœur à l’ouvrage puisque, alors même qu’il était âgé de plus de 90 ans, puis bientôt centenaire, continuait de signer de nouvelles maisons, des immeubles et des centres commerciaux.
Les hommes de loi, n’écoutant que leur instinct, menèrent l’enquête avec une remarquable célérité et découvrirent bientôt que Emil Larson était mort en 1993, huit ans auparavant, après avoir joui paisiblement de sa retraite pendant… 25 ans. Vous avez bien lu : 25 ans. John Pavlovich, unique employé de l’agence, fut bientôt l’unique suspect des pandores. Il avait de fait déjà quelques années plus tôt reçu leur visite, à deux reprises. La première fois, il avait expliqué que l’architecte était « en vacances », la seconde qu’il était au Mexique. Explications visiblement suffisantes pour les fins limiers. Il a fallu qu’Emil Larson atteigne l’âge respectable de 104 ans pour que l’un d’eux commence à se poser sérieusement des questions.
« C’est une histoire triste, John Pavlovich n’avait pas d’autres moyens de gagner sa vie« , a expliqué un architecte appelé à témoigner au procès. En effet, plutôt que de perdre son emploi, John Pavlovich – qui fut embauché jeune homme par Emil Larson dans les années 60 – avait tout simplement poursuivi l’activité de l’agence en utilisant le sceau de l’architecte. Brillamment d’ailleurs puisqu’il a construit 28 édifices – dont quelques maisons et immeubles d’habitation dans les beaux quartiers de Chicago, l’agence étant par ailleurs située à Lake Forest, dans la banlieue huppée de la ville – sans que quiconque ne s’aperçoive de la supercherie.
Tous juste les maîtres d’ouvrage avaient-ils noté l’aspect gentiment suranné de quelques ouvrages. Loin d’être un effet de style, la raison en est que l’employé modèle avait parfaitement su recycler les plans du maître, qui effectivement, au début du XXIe siècle, commençaient à dater. « Emil Larson avait conçu beaucoup d’immeubles dans sa carrière et John Pavlovich se préoccupait surtout de refaire des façades et les extérieurs ; les plans des nouveaux immeubles étaient donc corrects car ils avaient été effectués par un véritable architecte », a expliqué Susan Hofer, porte-parole du ‘Department of Professional Regulation’. Toujours est-il que le ‘Chicago Building Department’ a approuvé tous les projets de John Pavlovich, sans exception.
Aucun propriétaire ne s’est jamais plaint. Ce qui a conduit l’avocat de l’imposteur à nier les charges retenues contre lui. « Il n’y a absolument aucun dommage pour le public« , dit-il, expliquant par ailleurs que nul n’a besoin en Illinois d’être architecte en titre pour concevoir une maison individuelle, aussi grande soit-elle, ce qui constituait le pain quotidien de l’agence. Le tribunal n’a pas contesté cette assertion mais a expliqué que l’amende record est due à l’usurpation d’identité, pas l’usurpation de titre. L’avocat a fait appel.
Il manque la morale à cette histoire édifiante sous forme d’énigme : qu’est-ce qui fait l’architecte, le titre ou l’œuvre ?
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 18 mai 2005