A l’occasion de l’annonce du Grand Prix National de l’architecture 2018, décerné à Pierre-Louis Faloci le 19 octobre dernier, Franck Riester, nouveau ministre de la Culture, s’est adressé pour la première fois aux architectes. Un discours ferme, avec de l’ELAN, authentique comme un vieux Coulommiers (Seine-et-Marne).
Dans le salon de réception de la rue de Valois, le ministre a pu se présenter aux hommes et femmes de l’art. Après avoir rappelé que 2019 sera le 20ème anniversaire de la politique de labellisation de l’architecture contemporaine, «initiée par Catherine Trautmann et confortée par la loi LCAP de 2016», le ministre indique que c’est l’occasion «pour le ministère d’engager une grande campagne de labellisation en faveur de l’architecture d’équipements culturels de nos territoires et en faveur des créations et réalisations de nos Grands Prix nationaux d’architecture, justement».
Sans doute ne connaît-il pas encore le label ‘architecture contemporaine remarquable’ créé par Audray Azoulay, sa pas si lointaine prédécesseur au ministère. Quand il s’agit d’architecture, il faut bien cacher le néant de l’influence de ce ministère quand toutes les décisions concernant le logement, l’habitat, la construction, même l’écologie, se jouent ailleurs, à Bercy, à Matignon, voire à l’Elysée comme en témoigne la récente initiative présidentielle dévolue au patrimoine et portée par Stéphane Bern. Aussi nul ne lui en voudra de vouloir le sien, de label, comme il se doit pour tout ministre de la Culture qui se respecte. Un label est un cache-misère élégant, c’est tout de suite le signe pour un jeune ministre d’une réelle maturité politique.
«Ce ministère est votre ministère», assène Franck Riester à la foule des architectes réunis pour l’annonce de leur Grand Prix. Sans doute que le ministre tient à ce que ce ministère reste le sien – ce qui renvoie aux calendes grecques toute idée farfelue d’interministérialité -, il semble pourtant ne se faire guère d’illusions quant à son pouvoir en ce domaine puisque, selon lui, ce ministère est celui «de tous ceux qui font vivre l’architecture», c’est-à-dire «tous les artistes qui la conçoivent et la construisent ; qui l’enseignent ; qui la protègent», bref tous ceux qui pèsent peu face aux plans quinquennaux des gouvernements successifs discutés sans l’avis du ministre de la Culture.
D’ailleurs, peut-être est-ce parce qu’il arrivait en retard, retenu à la FIAC (Foire internationale de l’art contemporain), qu’il mentionne, à propos des architectes leur qualité d’artiste. Il le dira deux fois. Des artistes les architectes ? D’ici que le ministre se retrouve à gérer une crise des intermittents de l’architecture… Il ne serait pas pris au dépourvu puisqu’il concède que «de l’intérieur, la réalité qui est la vôtre est bien plus contrastée. Je la connais : je sais la fragilité économique, qui menace tant d’architectes, dans toute leur diversité de statuts et d’expériences. Je sais aussi qu’un meilleur équilibre de la commande est nécessaire».
Considérant que si l’on compte ensemble le privé et la VEFA, il ne reste guère qu’entre 20 et 25% du logement à être construit dans le cadre d’une loi MOP moribonde, ces éléments de langage sont censés sans doute caresser les hommes et femmes de l’art dans le sens du poil.
Alors, donc, un nouvel équilibre de la commande ! Comment ? «Une des clés sera de replacer l’architecte au cœur des attentes de notre société». Ou encore ? En «alliant architecture et patrimoine, en alliant l’ensemble des parties prenantes, nationales et territoriales». Y a plus qu’à. Au moins, avec cette collection de vœux pieux, enfin un ministre qui ne parle pas de politique, même politicienne.
D’ailleurs, Laurent Dumas, qui faisait partie du jury du Grand Prix, doit être absolument d’accord avec lui. En 30 ans, le président fondateur d’Emerige a vu passer pas moins de 14 ministres de la Culture (François Léotard, Jack Lang, Jacques Toubon, Philippe Douste-Blazy, Catherine Trautmann, Catherine Tasca, Jean-Jacques Aillagon, Renaud Donnedieu de Vabres, Christine Albanel, Frédéric Mitterrand, Aurélie Filippetti, Fleur Pellerin, Audrey Azoulay, Françoise Nyssen). C’est dire s’il doit être impressionné par Franck Riester, surtout quand il s’agit d’équilibrer la commande !
D’ailleurs une mission «valeurs de l’architecture, qui s’inscrit dans le contexte de l’élaboration et de l’examen de la loi ELAN», est en cours. Cette mission, qui réunit «dix professionnels» autour de Marie-Christine Labourdette, présidente de la Cité de l’architecture, doit permettre «de créer les conditions d’une meilleure valorisation de votre métier». Le ministre attend les résultats de cette mission «prochainement». Voilà qui ne mange pas de pain, la loi ELAN étant d’ores et déjà votée depuis juin 2018. Et la Cité, comme la cavalerie, qui arrive après la bagarre…
Considérant que la culture s’industrialise et s’uniformise avec, parmi d’autres, Fimalac, Vivendi, la holding LNEI du banquier Matthieu Pigasse ou l’américain Live Nation ou encore la Sodexo en grands ordonnateurs, pourquoi l’architecture avec la loi ELAN ne s’industrialiserait-elle pas à son tour ? C’est le sens de l’histoire, non ?
En tout cas, que les architectes ne s’inquiètent pas. «Nous avons besoin des architectes pour répondre aux enjeux de notre temps, dans la protection de notre environnement», assure le ministre. C’est vrai qu’il leur revient de sauver le monde. «Nous avons besoin de vous. Pour rénover thermiquement, pour adapter le bâti aux nouveaux usages des habitants. Nous avons besoin de vous pour être à la pointe de ce combat, pour notre planète. Nous le devons aux générations futures. C’est votre rôle de porter une architecture durable, qui favorise la transition écologique. Elle est notre priorité à tous. Nous sommes tous convaincus de sa nécessité», dit-il. C’est beau comme l’antique et c’était bien la peine que Nicolas Hulot se fasse du mauvais sang. Mieux que Zorro, les architectes ! Lesquels c’est vrai n’ont aucune autre responsabilité.
D’ailleurs, poursuit Franck Riester, «c’est aussi le rôle des élus et de l’ensemble des donneurs d’ordre de veiller à l’utilisation de techniques novatrices, de nouveaux matériaux de construction comme les écomatériaux». Exemple de cette vocation à l’innovation : «dans ma circonscription, je me suis battu pour soutenir et même inciter à la construction en béton de chanvre. Ce combat, je continuerai à le porter, tout comme celui de l’innovation».
Le combat du béton de chanvre ? Bon sang mais c’est bien sûr ! Quelle vision ! Un ministre courageux ET téméraire. L’architecture en béton de chanvre, c’est un sport de combat.
Quant à la capacité du nouveau locataire de la rue de Valois de se projeter dans le futur, notons dans son éloge à Pierre-Louis Faloci la mise en exergue de quatre ouvrages du nouveau Grand Prix (dans l’ordre) : le centre européen d’archéologie du Mont Beuvray à Glux-en-Glenne, le musée de la bataille de Valmy, à Sainte-Ménehould, le musée de la guerre de 14-18, à Lens et, «bien sûr», le centre européen du résistant déporté, sur le site du camp du Struthof, à Natzwiller. Ce qui ne nous rajeunit pas et renvoie loin au siècle dernier. Vous avez dit patrimoine ?
Le reste de l’œuvre de l’architecte est évacué en une ligne, c’est-à-dire «aussi la très grande diversité d’une architecture du quotidien, qui s’exerce dans la construction de logements». Au moins les affinités, si ce ne sont ses priorités, du ministre visionnaire sont désormais connues.
Nous pourrions poursuivre l’exégèse de ce discours mais à quoi bon puisqu’il est creux. Et puis l’architecture n’est peut-être pas la spécialité d’un ministre à peine nommé et dont le département architecture n’est qu’une sous-rubrique du patrimoine, lui-même une sous-rubrique d’un vaste domaine. Rapporteur de la loi Hadopi, sans doute que Franck Riester se montrera plus pointu en discourant d’audiovisuel, un sujet autrement plus sensible politiquement. Qui veut une nouvelle crise avec les intermittents du spectacle ? Qui doit présenter le journal de 20h ? Sans oublier la mise en place d’une commission déontologique des journalistes, comme en Russie, en Arabie Saoudite et en Syrie.
Justement, avec des ministres qui se succèdent à un rythme effréné sans rien laisser, sinon un label ici ou là, le ministère de la Culture est devenu un ministère de gestion des budgets, des conflits, des egos. Où sont l’élan, la vision, le souffle ? Si l’architecture ne fait jamais que témoigner de son temps, pour ce qui la concerne, d’évidence Franck Riester ne pouvait pas annoncer grand-chose, à part le nom du Grand Prix.
Christophe Leray