Une histoire commune depuis plusieurs millénaires ; une civilisation partagée, qui s’exprime par des particularismes variés qui en font la richesse. Des valeurs partagées, celle de la démocratie, des droits de l’homme, de la protection sociale, du respect des identités et de la non-agression, et qu’illustre un patrimoine commun, bâti et culturel, fruit de siècles de quelques conflits et de tant de réconciliations…
Des valeurs qui sont encore du domaine de «missions humanitaires» à l’échelle mondiale, valeurs ambitieuses, généreuses, la lumière et la fierté de l’Europe, qui doivent être tenues vivantes et vaillantes contre tous les découragements : mais celles-ci sont d’une génération passée, et le doute, celui de générations montantes.
Face à leur quotidien, les questions de citoyenneté ou d’Europe, stigmatisée par les extrêmes comme responsable de nombre de leurs maux, sont également très lointaines. Ils se sentent floués, pas écoutés, perdants. Ils réclament la démocratie directe, sont pour certains d’entre eux prêts à passer à la violence, mais ne voient midi qu’à leur porte. C’est pourquoi cette révolte, inquiétante si elle est justifiée, ne fait pas mouvement.
On évoque le cas du maire d’une commune dans le département des Yvelines qui a invité les jeunes de la ville à travailler sur les nouveaux chantiers afin d’éviter qu’ils ne détériorent les installations et ne volent pas des outils. Cela a marché et les jeunes se sont de plus en plus engagés dans la ville jusqu’à aider le maire dans d’autres manifestations.
Cela s’appelle de l’engagement citoyen qui crée de l’emploi. Les centres-bourgs désertés pourraient renaître dans cette mouvance. Le succès de l’action de l’association Rempart, qui perdure depuis plus de 50 ans, nous en porte la preuve.
Villes et non-villes
L’échelle des grandes métropoles ne paraît pas répondre à l’évidence à l’épanouissement humain, social et culturel. Et en encourageant la désertification des «non villes», on ne peut pas tendre à un équilibre des territoires. Lorsqu’on dit que plus de 50% de la population mondiale est urbaine, que dans 30 ans, 75% des populations seront concentrées le long des littoraux, et que c’est cela qui doit être pris en compte désormais, que fait-on des autres ? C’est pourquoi nous plaidons pour une recherche d’alternatives, de retrouver de véritables équilibres territoriaux, et réveiller des potentialités enfouies. Pour nous professionnels, il ne peut être question de «non villes», c’est à nous de les concevoir et de les proposer (proposer leur évolution et la mettre en œuvre) afin qu’elles remplissent les qualités nécessaires. Les proposer avec d’autres évidemment, comme nous avons su petit à petit construire avec d’autres au fil de leur spécialisation.
Le XXIe siècle est celui de la phase Civilisation Urbaine de l’Histoire de l’Humanité * ; il n’est ni étonnant ni inintéressant que devant intégrer tous les paradigmes et les ambitions d’environnement, d’équilibres sociaux, d’épanouissement de l’individu, de la composition des familles, d’allongement de la durée de vie, de place de la valeur travail dans les composantes de la société et du temps de chacun… les lieux d’installation des sociétés humaines sur les territoires ne puissent plus coïncider avec celles produites par les phases de Civilisation qui ont précédé notre époque. Collectivement, les architectes doivent exprimer les garanties qu’ils proposent désormais à tous les autres. On n’imagine même pas qu’il y ait une autre solution sous peine de disparition de l’architecte.
De nouvelles armatures urbaines
Afin que ces grandes villes, nos métropoles, soient capables d’accueillir autant de populations nouvelles, et, au lieu de croire en la chimère d’une densification en 20 ans dont nous ne sommes plus capables aujourd’hui pour tout un tas de raisons incluant le développement durable et la tolérance des populations, nous devons proposer des modes de développement alternatifs pour l’organisation des territoires urbains des grandes villes et des métropoles, au lieu de laisser refaire des banlieues. Des villes multi-centrales, fondées, pour être crédibles à court terme et pour être accueillantes sans délai, sur des interrelations à organiser à partir des armatures urbaines préexistantes des villes alentour et toute l’imagination d’une nation qui croît en son avenir.
L’aménagement des territoires est un enjeu environnemental et social mais aussi culturel où les architectes ont un rôle important à tenir. L’État oriente, contrôle par les lois, règlements et l’ensemble des politiques publiques. Les collectivités locales ont un grand besoin d’ingénierie, de compétences pour les projets. Dans les métropoles, l’investissement privé prend une place croissante dans l’immobilier et la commande publique se restreint, changeant les règles qui ont régies la profession d’architecte. Comment garantir la qualité des constructions, et de l’urbanisme, l’intérêt public du cadre de vie alors que les acteurs, aménageurs, investisseurs, promoteurs, sont privés ?
Peu à peu l’urbanisme de projet, la concertation remplace le modèle et la règle. Les concepteurs, les architectes, ont une place déterminante dans le processus. La rénovation des bâtiments existants et le renouvellement de la ville sur elle-même, nécessité environnementale urgente, prennent une place de plus en plus importante dans la commande des architectes.
Si la politique d’aménagement du territoire ne prend pas en compte une nécessaire éthique sociale du vivre ensemble, nous fabriquerons une société clivée accentuant les ségrégations économiques. L’architecture est une discipline culturelle qui concrétise le partage d’un bien commun. L’architecture est d’abord un art du quotidien. Le besoin, l’appel d’architecture exigent une maturité collective qui ne peut s’épanouir qu’avec une volonté politique déterminée par des règles utiles au bien-être de tous.
Il ne s’agit pas de protéger une profession, il s’agit de projeter l’avenir d’un pays, d’un patrimoine et de ses enfants. Parallèlement, les réseaux sociaux retiennent l’attention de nos dirigeants, qui ont tendance à réagir à la dernière action collective émergeant de telle ou telle plateforme ou messagerie numériques.
Nous sommes nombreux à y trouver un moyen d’expression qui nous donne l’illusion d’agir ou l’impression d’exister, alors que nous alimentons simplement des mouvements collectifs éphémères peu à même de produire des effets construits, concrets et réfléchis. Aussi, le pouvoir s’use-t-il vite… très vite avec l’affaiblissement rapide du soutien populaire. Et s’en suit inéluctablement une baisse de popularité qui fragilise la légitimité de ce pouvoir. Par la suite, les nouvelles élections se focalisent alors principalement sur l’éviction des dirigeants sortants.
Les villes françaises dans le territoire européen
La libre-circulation des personnes et la libre installation des activités sur l’ensemble du territoire européen ont créées des conditions stratégiques nouvelles pour le développement économique des villes françaises. Souvent avec des arguments potentiels très positifs. Notamment, tout l’espace de Paris vers la Flandre se retrouve dorénavant en totale continuité avec l’organisation des grandes villes hollandaises (Randstat), Anvers et Bruxelles, pour représenter déjà près du tiers des flux économiques européens, à des distances-temps de l’ordre d’une heure ou deux et dans la même monnaie, d’autant plus que Londres va devenir hors-jeu. Il y a de la même manière des enjeux stratégiques fertiles, dans le Grand Est et la Vallée du Rhin, et dans le sud-ouest.
C’est certainement à cette échelle territoriale que se situent dorénavant des gains de performance importants à viser par la nation française et donc à cette échelle qu’il faudra, par exemple, inventer et organiser ouvertement les conditions institutionnelles favorables à une interaction solidaire et coordonnée entre les villes existantes (Paris, Beauvais, Amiens, Arras, Compiègne, Saint Quentin, Valenciennes, Calais, Boulogne, la grande agglomération transfrontalière de Lille), associées au développement de grands espaces agricoles et naturels insérés entre elles, comme les villes de la Randstat et la Flandre ont su le faire au cours des 50 dernières années. Un modèle d’organisation qui depuis 50 ans développe à notre porte un système politique, environnemental et économique équilibré et performant entre urbanisation -population-identité-vie sociale-vie culturelle, nature, activités économiques, recherche, et potentialités agricoles.
Si on veut retrouver rapidement une cohésion sociale dans les villes françaises, il faut enfin donner une définition territoriale, politique et citoyenne à ce qu’est devenue la Ville au XXIe siècle, avec une échelle territoriale ambitieuse qui permette d’approcher la diversité requise pour équilibrer leur développement durable. L’enjeu est politiquement essentiel puisqu’il s’agit de retrouver une ambition d’ensemble perceptible par ses citoyens, au lieu de proroger ces sectorisations destructrices et ces oppositions ‘ancestrales’ dont la société française doit se guérir.
Signataires : l’Académie d’architecture ; l’Union nationale des syndicats français d’architectes (UNSFA) ; le Syndicat de l’Architecture ; la Société Française des Architectes (SFA) ; la Mutuelle des Architectes Français (MAF) ; la Maison de l’Architecture ; l’association Architectes et Maîtres d’ouvrage (AMO) ; l’association Architectes Français à l’Export (AFEX) ; le Pôle de formation Environnement, Ville & Architecture d’Ile-de-France (Pôle EVA).
* Suivant les maîtres qui nous ont précédé dans les sciences sociales et politiques, on emploie évidemment le terme de Civilisation Urbaine au sens profond d’interdépendance généralisée des individus solitaires (t’as pas de boulot, va à Pole Emploi !) en différence de la Civilisation Rurale où l’interdépendance était majoritairement gérée autour de la table familiale (t’as pas à manger, viens à table, tu nous aideras cet après-midi !).
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