A l’occasion de la 1ère biennale d’architecture et du paysage (BAP) organisée à Versailles du 4 mai au 13 juillet 2019, la journée d’ouverture était destinée à faire un point sur les dix ans de la consultation du Grand Paris (AIGP), avec huit des dix équipes. Si l’échec est palpable pour les architectes, l’est-il vraiment face au legs de cette aventure ?
Débuter un festival avec une journée sur les dix ans de la consultation du Grand Paris, c’est ouvrir la boîte de Pandore. En effet, des huit équipes présentes*, six ont critiqué le résultat de cette consultation. Florilège :
– Antoine Grumbach : «Il n’y a pas eu de volonté politique derrière. Le préfet n’a pas su structurer l’après-consultation».
– Jean Nouvel : «Les gares forment le moyen Paris, pas le grand. On organise un nouveau mitage urbain, tout est concentré là-dedans, sans aucune réflexion».
– Djamel Klouche : «20 ans, c’est long, trop long. Il n’y a eu aucune réflexion sur les mobilités en dehors du métro. Le Grand Paris Express est survalorisé».
– Roland Castro : «Le plateau de Saclay est une catastrophe, tous les bâtiments se détestent entre eux».
– Paula Viganó : «Les huit ans à l’atelier du Grand Paris ont été douloureux. Alors que les visions étaient déjà là, nous n’avons pas été entendus».
– Christian de Portzamparc : «Sur le moment on se sentait en lutte. On ne pouvait plus planifier à la Delouvrière. Le Grand Paris est géré par des administrations, chacune dans leur couloir de natation».
Il n’y a que Winy Maas pour être encore et toujours enthousiaste…
Cependant si ces critiques peuvent paraître justes, elles méritent d’être nuancées. Les architectes ont-ils vraiment été les dindons de la farce du Grand Paris ? Pas si sûr…
La consultation, l’exposition, puis les sept années de l’Atelier International du Grand Paris (AIGP), entre 2010 et 1017, étaient des façons inédites de réfléchir à la ville, et sur une notion nouvelle du XXIe siècle : la Métropole.
Les architectes du Grand Paris ont contribué par leurs travaux, les expositions, les conférences, bref par la communication, à faire émerger cette idée même de la métropole, et d’un Paris au-delà de son périph’. Par exemple, l’exposition Le Grand Pari(s), réunissant les propositions des dix équipes entre avril et novembre 2009, à la Cité de l’architecture, a été un succès populaire, avec un record de fréquentation pour l’institution : 214 000 visiteurs.
Aujourd’hui, à observer les retombées de la consultation et de l’AIGP, on peut trouver plus de 43 vidéos des projets, soit près de 6h de film, 15 ouvrages issus des travaux de l’atelier, les rapports annuels, des articles de presse, des livres, des actes de colloque, etc. encore accessibles sur le site – bien que certaines pages ne fonctionnent pas –, autant d’éléments qui sont la trace de cette aventure, autant de sources pour l’histoire urbaine à venir. Sans oublier l’activité extérieure de l’AIGP, les conférences, les workshops, les expositions, mais aussi les événements internationaux et les visites d’équipes étrangères.
Cette mémoire reste vivante aussi avec des colloques sur les deux ans du Grand Paris, puis sur les quatre ans, et les huit ans, aujourd’hui ce sont les dix ans. En 2024, couplés au Jeux Olympiques, les 15 ans du Grand Paris seront de nouveau l’occasion de faire un bilan, de continuer cette histoire. Et les architectes seront à l’honneur, et présents à n’en pas douter, convoqués pour parler des destinées de leurs projets et des réalisations en cours.
Regretter amèrement les erreurs ne convainc pas ou plus au regard de l’histoire qui se construit. Les architectes de la consultation ont reconnu eux-mêmes, dans l’introduction du 1er cahier de l’AIGP, que l’AIGP est «un lieu de réflexion, de confrontation, de communication qui doit susciter et contribuer à orienter cette vision dans un travail avec les habitants et les élus locaux, l’État, la Région, la future entité métropolitaine». Orienter une vision n’est pas faire un plan et l’AIGP a prouvé sa capacité à produire des outils de compréhension, d’analyse du territoire qui aujourd’hui encore gardent leur pertinence.
Les 10 équipes puis 15, dans la 2ème phase de l’AIGP, ont fait œuvre collective, ce qui n’est pas évident pour une profession qui est avant tout une aventure personnelle. Même si cela ne fut pas simple, et que les personnalités présentes ont parfois le défaut de leur égo, demeure la trace d’une réflexion collective menée avec des équipes pluridisciplinaires.
Et, sans se le cacher, cette consultation a aussi été l’occasion d’une notoriété supplémentaire pour les architectes convoqués : Castro vient d’inaugurer sa tour à Aubervilliers pour «habiter le ciel», Nouvel verra les Tours Duos s’élever dans le XIIIe, Christian de Portzamparc réalise le campus universitaire de la Sorbonne Nouvelle tandis qu’Elizabeth conçoit la Gare du Bourget, Djamel Klouche a produit une résidence étudiante à Saclay, Paula Vigano a réalisé des études territoriales pour Montpellier, Rennes, Lille, etc.
Le Grand Paris a connu divers projets qui aujourd’hui ne sont ni la ville ni la métropole mais qui composent son histoire. Ce sont des architectes qui ont esquissé le Grand Paris bien avant 2009. Entre 1911 et 1913, Louis Bonnier participe avec Marcel Poëte à la rédaction du rapport de la commission d’extension de Paris, abordant la fusion de la capitale avec la Seine. En 1919, ce fut le concours pour le Plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension, dont le lauréat est Léon Jaussely. En 1934, le plan d’aménagement de la région parisienne de Henry Prost. Et au XXIe siècle, la consultation dont nous parlons aujourd’hui.
Ces ensembles perdurent dans ce que Bruno Fortier a appelé «une bibliothèque idéale de projets», qui peuvent se voir concrétisés bien après, telle la gare centrale de Jaussely qui, dans les années 70, est devenue la gare des Halles.
Bien plus que la réalisation d’un plan, l’histoire se construit avec l’empreinte médiatique. Ce que Beatriz Colomina, dans son ouvrage La publicité du privé*, analyse très bien : les expositions et les revues «sont supposées être des médias beaucoup plus éphémères que l’architecture alors qu’ils sont, de multiples façons, beaucoup plus permanents : ils assurent à l’architecture une place dans l’histoire, un espace historique élaboré, non seulement par les historiens et les critiques, mais aussi par les architectes eux-mêmes qui déployèrent ces médias».
Alors, oui, la consultation et le travail de l’AIGP n’ont pas trouvé de répondant chez le politique. Oui, les relations des équipes avec Nicolas Sarkozy et Christian Blanc étaient inexistantes et/ou médiocres. Oui, cette consultation a servi au ‘story telling’ du quinquennat (d’ailleurs, cette réflexion territoriale n’a été poursuivie ni par François Hollande ni par Emmanuel Macron). Oui, le Grand Paris, c’est un super plan de métro avec ses 68 gares, Saclay et ses boîtes à chaussures.
Mais, bien au-delà de toutes ces déceptions, il faut voir qu’aujourd’hui l’idée même du Grand Paris existe, qu’elle est devenue concrète pour bien des habitants du bassin francilien et aussi pour les élus, qui furent pourtant sans doute les plus durs à convaincre. Le plus important n’était pas le plan mais de poursuivre l’édification de cette «bibliothèque idéale de projet». De ce point de vue, c’est réussi.
Alors peut-être qu’au lieu de regretter le Grand Paris espéré, les architectes devraient décaler leur regard et voir leur production comme une manière d’assurer leur place dans l’histoire. Bientôt, nous regarderons cette consultation à l’aune des gares construites et des quartiers qui en sortiront de terre. Aujourd’hui, 1 500 projets sont en cours de développement et de réalisation dans la Métropole : c’est ce dynamisme – auquel toute la profession participe – qui nous oblige à voir autre chose qu’un échec…
Julie Roland
** Il manquait Finn Giepel-LIN et Richard Rogers
** Beatriz Colomina, La publicité du privé, HYX éditions, Orléans, 1998