Que faire des 43 millions de tonnes de remblais issues des travaux du Grand Paris ? Les transformer en matériau de construction pardi ! Hélas, comme en témoigne le groupe scolaire Miriam Makeba livré par TOA au printemps 2019, pourtant une réussite flatteuse, ce n’est pas gagné. Explications.
Le 11 septembre 2019, visite de presse à Nanterre (Hauts-de-Seine) du groupe scolaire Miriam-Makeba construit en inox et terre crue par TOA Architectes. Dans ce quartier proche de La Défense qui a connu en une quinzaine d’années une profonde transformation, surtout verticale, l’adresse est encore inconnue des plans de métro et des GPS. Dans ce contexte urbain en constant chantier, découvrir ce bâtiment horizontal, en terre crue qui plus est, est donc une première heureuse surprise. Le mur d’enceinte, ocre, pour qui en fait le tour, évoque sous le soleil des images et des sensations habituellement inconnues en banlieue parisienne.
Par la voix d’Olivier Méheut, architecte associé de TOA, une agence d’origine strasbourgeoise, «à l’heure d’enjeux climatiques de plus en plus pressants», la visite est évidemment dédiée à l’usage de la terre dans la construction. Alors autant en célébrer tout de suite les qualités. «Il s’agit d’un matériau naturel aux qualités exceptionnelles tant sur le plan hygrométrique et thermique que d’un point de vue phonique, écologique ou même esthétique», explique l’homme de l’art. Un matériau par ailleurs géosourcé, c’est dire…
A noter également l’intérêt non négligeable, surtout dans une école, des qualités acoustiques et sonores de murs en terre, leur surface non lisse fractionnant les sons.
Ici, compter quinze classes, la production de chaleur (chauffage des bâtiments et eau chaude sanitaire) est assurée par une chaufferie bois alimentée par granulés, le toit-terrasse végétalisé est équipé de panneaux photovoltaïques, un système de mur trombe a été installé dans les salles de classe pour permettre à mi saison une ventilation naturelle des espaces… Bref un bâtiment évidemment BEPOS et paré de toutes les vertus.
Même son nom est source d’inspiration, le groupe scolaire Miriam Makeba en effet rend hommage à une artiste sud-africaine (1932-2008) qui s’est illustrée par son combat courageux contre l’apartheid, ce qui lui valut l’exil.
Sauf que, quels que soient les matériaux utilisés, encore faut-il que l’architecte sache ce qu’il fait. En l’occurrence le groupe scolaire se révèle lumineux, accueillant et chaleureux. «Ancré au sol par son fondement en terre crue, suspendu au ciel par l’immatérialité de sa vêture inox», pour citer les architectes, l’équipement répond apparemment à tout ce qui est demandé à un établissement de ce type en termes de confort, de lumière, de circulation, d’accueil, de sécurité, de fonctionnement, etc. Ses lignes contemporaines ne sont pas en reste au regard de la modernité des immeubles de logements et de bureaux qui l’entourent. Les tags éventuels ? Il suffit d’une brosse à gratter pour les faire disparaître.
Si le mariage de la terre et de l’inox se révèle ici judicieux, relever pour le bilan carbone que l’inox demande beaucoup d’énergie pour sa transformation industrielle. Acceptons cependant que sa durée de vie est illimitée et que, mis en œuvre comme le zinc, il nécessite très peu de matière.
D’un point de vue architectural, noter enfin que TOA Architectes, à la demande de Patrick Jarry, maire de Nanterre et maître d’ouvrage, a su réunir dans un même lieu école et centre de loisirs. «Le but est de donner de la souplesse à l’établissement en fonction de la démographie. Quand elle baissera, il suffira de réaffecter ces salles, d’agrandir le centre de loisirs par exemple ou d’ouvrir l’établissement à d’autres activités, plutôt que de se retrouver avec une école et des classes vides», explique le maire. Ce concept d’école polyvalente a donc demandé de la part des architectes une certaine banalisation des espaces, laquelle cependant ne nuit pas à leur originalité et praticité.
Une réussite donc ? Oui, justement à la hauteur des difficultés de l’entreprise.
En effet, malgré les indéniables atouts du matériau terre, ce bâtiment démontre a contrario que son usage dans la construction n’ouvre guère de perspectives d’avenir, du moins pas à court terme, cela même sans qu’il soit porteur, ce qui est le cas pour le groupe scolaire Miriam Mekeba à la structure poteaux-poutre en béton. Et cet usage, aussi intéressant soit-il en l’occurrence, ne s’avère qu’une réponse anecdotique à la question initiale, à savoir que faire des 20 millions de tonnes de terres extraites chaque année en Île-de-France auxquelles il faut ajouter les 43 millions de tonnes de terres issues de la construction du métro du Grand Paris Express. Pour info, le groupe scolaire Miriam Makeba, c’est seulement 300 tonnes de terre, l’équivalent d’une brouette de sable dans le Sahara.
La terre, ce n’est donc pas ce qui manque, il y a d’ailleurs plein de carrières autour de Paris, et les entrepôts de stockage en débordent. Sur chaque chantier, un parking par exemple, il est extrait plus de terre qu’il n’en est apporté. Comment se fait-il alors que cette profusion de matière première, écolo pur jus, accessible en circuit court et, à Nanterre au moins, visiblement utile, ne soit pas plus utilisée ?
Ce n’est pourtant pas faute pour les architectes d’essayer, les initiatives se multiplient. Depuis la réflexion initiée en 2015 – «Du déblai à la brique de terre crue» – menée par Joly&Loiret architectes, deWulf et amàco, qui tentent aujourd’hui de mettre en place une filière, les mots ‘pisé’, ‘adobe’, ‘brique de terre crue’ et autre ‘terre coulée’ entrent petit à petit dans le vocabulaire des architectes et des maîtres d’ouvrage. En témoignent notamment l’Auditorium du pôle culturel de Cornebarrieu (Haute-Garonne) de l’architecte Philippe Madec, ou encore le pôle entrepreneurial de Saint-Clair-de-la-Tour (Isère) des agences Reach & Scharff et Hors les Murs.
Le projet ‘Cycle-terre’ à Sevran (Seine-Saint-Denis), la première ‘usine à briques’, est un programme voué à devenir «un démonstrateur industriel pour la ville durable» puisque la terre extraite du chantier de construction de la gare doit en devenir sa matière première.
La terre de déblai est abondante, certes, mais quelle terre ? Qui a envie d’une terre polluée aux métaux lourds extraite d’une friche industrielle pour la crèche de ses enfants ? Or, environ 70% de la terre extraite en Ile-de-France est impropre à la consommation, pour ainsi dire, et doit être dépolluée. Comment ? En quelles quantités ? A quel coût ?
Quant aux 30% restants, comme le relève Olivier Méheut, leur stockage doit être effectué avec soin : trop ou pas assez d’eau et votre matière première part en boue ou en poussière. Ce n’est que le début des difficultés.
La technique constructive est rustique et le temps de mise en œuvre plus long – pour le groupe Miriam Makeba, il a fallu tasser la terre à la main entre des coffrages – alors imaginer construire en terre à un niveau autre qu’artisanal requiert un système d’approvisionnement fiable et une infrastructure de livraison qui n’existent pas à ce jour et ne sont pas prévues pour demain. En attendant, tous ces déplacements de terre nécessitent des norias de camions, en eux-mêmes polluants, surtout lorsqu’il faut acheminer à Pétaouchnock des millions de tonnes de terre polluée hors de la vue des Franciliens. Qui a envie de terrils ‘new look’ aux portes de la capitale ?
Ces problèmes réglés, encore faut-il trouver un maître d’ouvrage entreprenant. A ce titre, Patrick Jarry, le maire de Nanterre, est un bon client. S’il se targue d’innovation architecturale – comment faire autrement dans ce nouveau quartier ? – il est vrai que Nanterre fut parmi les dix premières villes de France à se doter d’un plan climat, avant même qu’il ne devienne obligatoire. Alors la terre, pourquoi pas ? «Nous avons construit trois écoles en moins de dix ans et nous allons en construire trois autres dans les dix années qui viennent, nous avons les équipes et une capacité plus grande pour tester les concepts», explique-t-il. Il admet cependant «que ce fut un peu plus compliqué que prévu». Nombreuses sont les communes à ne pas disposer de telles équipes rompues à l’innovation architecturale. Alors la terre…
Enfin, même si TOA a réussi peu ou prou à tenir son budget*, la construction en terre, malgré la profusion apparente du matériau, peut se révéler un peu plus onéreuse que d’aucuns pourraient le penser. «[Pour le groupe scolaire Paul-Langevin] à Fontenay-sous-Bois, le pisé revient à 700 euros/m², contre 250 euros/m² pour un béton de qualité dans la même application de parement», indique l’architecte Jean-Michel Buron (agence Epicuria).**
Comment expliquer de tels écarts ? Sans doute que la disparition, que dis-je, l’extinction, du savoir-faire n’y est pas pour rien. La preuve, chaque projet en terre, comme le groupe scolaire Miriam Makeba, requiert force ATEX et un grand pouvoir de persuasion. Non qu’une ATEX compte pour beaucoup dans le coût au m² mais il faut six mois pour l’obtenir, à la charge de l’entreprise dans la loi MOP. Alors face à ceux qui savent «faire beaucoup moins cher avec le béton», il faut convaincre.
Ainsi, les rares réalisations à ce jour se limitent à des projets publics, et il en faudra beaucoup, beaucoup, avant que le matériau terre ne puisse rentrer dans l’équation financière des promoteurs. «Le marché n’est pas organisé», résume sobrement Olivier Méheut. Et tant qu’il n’y aura pas de demande suffisamment conséquente, il n’y aura pas de filières dédiées et adaptées, et sans ces filières, l’équation financière des promoteurs demeure impossible. En France on n’a pas de pétrole, juste de la terre, plein, dont on ne sait que faire !
C’est l’occasion de relever une nouvelle fois l’impéritie de l’Etat français qui lance un projet gigantesque, le plus grand d’Europe, le métro du Grand Paris, sans se préoccuper en amont de savoir ce que vont devenir 43 millions de tonnes de déblais. Il continue d’ailleurs à ne pas s’en poser trop, des questions. L’occasion de ‘territorialiser’ une industrie ? En Afrique, depuis vingt ans, l’architecte Francis Kéré construit avec succès des équipements avec de la terre façonnée par les villageois du coin, et depuis presque dix ans qu’est lancé le projet du Grand Paris, en France les pouvoirs en place y réfléchissent encore… Ne manque plus qu’une commission de ronds-de-cuir !
Une filière industrielle à la française peut-être ? Tenez, la fameuse expérimentation Cycle-Terre, à Sevran, cette future première ‘usine à briques’ vouée à devenir «un démonstrateur industriel pour la ville durable», est financée à 80% par… l’Europe. Sinon on n’en était même pas là ! L’expérience demeure donc unique et, en attenant les investisseurs frileux, doit encore démontrer sa capacité à atteindre l’objectif fixé.
En conséquence, quelles que soient les vertus avérées de la terre et le talent des architectes, à brève et moyenne échéances, ne verront donc le jour, ici ou là, que quelques projets de maîtres d’œuvre et maîtres d’ouvrage déterminés et inspirés. Des opérations angéliques sans doute mais trop isolées les unes des autres pour qu’un impact quelconque puisse être mesuré. Il faut pourtant aux architectes continuer leurs recherches, ne serait-ce que pour la valeur d’exemple. Qui sait, quand la mode du bois sera passée…
Une astuce pour finir. Pour éviter les effets de poussière des murs en terre, il suffit de les passer à la colle à papier peint. Une finition nickel !
Christophe Leray
* Les chiffres :
Surface de plancher : 4 050 m² ; Surface utile : 2 900 m²
Surface de murs en Pisé : 1 300 m² représentant 1/3 du volume de la construction et environ 300 tonnes de matière.
Montant des travaux, valeur 02/2014 : 9 950 000 € ht
(Dont murs en Pisé compris Atex, essais, prototype et recherche : 650 000 € ht)
Montant des études, valeur 02/2014 : 990 000 € ht
** Cité par Félicie Geslin, Construire en terre, qui l’eût cru?, Cahiers techniques du bâtiment (06/2019)