Chroniques d’architecture n’a pas été tiré au sort parmi les 150 membres du panel citoyen mis en place par Emmanuel Macron en octobre 2019 afin d’apporter des «solutions concrètes» pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pourquoi s’en remettre au hasard ? Voici donc, à l’instar d’autres organisations professionnelles qui ne s’en sont pas privées, la contribution de Chroniques à l’adresse de ce président en mal d’idées.
«Les bâtiments HQE avant-gardiste que nous avons construits il y a vingt ans sont déjà obsolètes. Nous y constatons des situations de surchauffe en été ; nous n’avions pas anticipé une telle accélération climatique», se désolait récemment Denis Dessus, président du Conseil national de l’Ordre des architectes. (Batiactu 16/01/20). Dommage. La faute à pas de chance !
Cela écrit, il en sera certainement dans 20 ans de cette RE2020 qui ne résout rien* comme de cette HQE déjà obsolète avant d’avoir rentabilisé son investissement. Sérieusement, depuis le temps que les sachants se grattent la tête, quel gain pour le climat avec, par exemple, ces murs végétalisés qui coûtent bonbon à mettre en œuvre et toute l’usine à barbe-à-papa pour les entretenir ?
D’autant que nombre de questions demeurent irrésolues. Faut-il se garder de la chaleur ? du froid ? des inondations ? des incendies ? des particules fines ? des ondes 5G ? des cafards ? En tout cas il faut an-ti-ci-per. Alors, ne pouvant rester à l’écart de ce débat citoyen d’importance, au moins dans le domaine qui nous concerne, voici les propositions de Chroniques d’architecture.
Proposition 1 : à propos de la RE2020, en finir donc avec les normes dont le seul intérêt est, sous prétexte de croissance, de favoriser celle d’industriels dont la conviction écologique reste souvent à démontrer. Pour faire le tri dans le foutoir, mettre en place une commission – cela ce gouvernement sait faire – composée pour deux tiers d’architectes et un tiers d’ingénieurs, après bien sûr vérification de leur indépendance vis-à-vis des labos industriels. Des décisions sans appel et En marche pour la simplification administrative !
Proposition 2 : prévoir d’ores et déjà dans les charges des bâtiments neufs de larges provisions financières pour toutes ces façades légères, en bois ou autres, qui «animent» la ville – anime, c’est le mot – et qu’il faudra renouveler tous les vingt ans, voire moins, puisqu’il sera impossible de les ravaler. Il faudra alors enlever toute cette végétation qui aura pourtant eu bien du mal à pousser et replanter une nouvelle végétation adaptée aux nouvelles conditions climatiques.
Sans provisions de la sorte, imaginez l’addition quand il faudra refaire les façades de tout le village olympique, lequel aura été construit tout d’un coup ? Même question et même tarif d’ailleurs à Paris-Saclay : tous les bâtiments auront besoin en même temps d’être entièrement rénovés puisque, seulement Breeam (HQE so has been) et pas encore RE2020, ils seront bientôt obsolètes. Quant aux ouvrages construits en Partenariat-Public-Privé (PPP) au tournant du siècle, l’Etat sera fort aise suffisamment tôt de les récupérer à peu près tous en même temps dans un état évidemment mirobolant. Sans provisions, les cigales françaises ont intérêt, comme on dit à la banque, d’apprendre à danser.
Tout cela évidemment sans certitude de ce que sera le climat dans 20 ou 30 ans ? D’où la proposition 3 : construire solide pour pouvoir encore en parler dans 100 ans. Plus un bâtiment dure dans le temps, meilleur est son bilan carbone, non ? Meilleure est la qualité de ce bâtiment, plus longtemps il dure, non ?
Quant à l’usage du bois à Paris, captation carbone et bilan global, tout ça, à part faire du bien rien que d’y penser, surtout pour les politiciens à court d’idées, son impact sur la planète est nul, quelle que soit la façon d’interpréter les chiffres de bureaux d’études obséquieux. Pour qui a le cœur écolo, aime les arbres et se sent en mal d’action, c’est de la forêt boréale, des forêts tropicales et de l’Amazonie dont il faut se préoccuper. Mais, comme on dit, loin des yeux, loin du cœur. Alors chacun se satisfera en ayant l’impression de faire quelque chose en se nettoyant les dents à la paille de riz. D’où la proposition 4 : qu’au moins les politiciens cessent de prendre les citoyens pour des billes.
A cet effet – proposition 5 – chaque communiqué de presse émis par n’importe quelle communauté territoriale ayant trait aux enjeux environnementaux d’un projet urbain ou architectural devra avant diffusion publique avoir été ‘Fact checké’ par une commission indépendante composée pour un tiers d’architectes, un tiers d’ingénieurs et un tiers de scientifiques.
Sans l’imprimatur de 75% de ces votants, ce communiqué sera déclaré FAKE NEWS ! et interdit aux – de 18 ans et sur les réseaux sociaux. Avec 75% ou plus de vote positif, le communiqué sera classé grand public et pourra alors être largement diffusé auprès de tous les citoyens, même les petits enfants. Voilà qui éviterait sans doute bien des impasses onéreuses ! Le mur végétal par exemple !
Il faut cependant faire attention, construire solide n’est pas construire un bunker, c’est le rôle des architectes de faire la différence. Pour que la France dans vingt ans ne ressemble pas au mur de l’Atlantique – proposition 6 – peut-être serait-il utile de réserver la conception-réalisation, utilisée aujourd’hui pour construire une cabane dans la forêt communale, à l’urgence et la difficulté avérée des projets, c’est-à-dire revenir à l’esprit de la loi, qui était au départ une dérogation réservée aux urgences.
Parce que, sérieusement, il ne faut pas plus de cinq minutes à n’importe quel architecte un peu sérieux pour savoir si un projet est vraiment compliqué et s’il y a urgence et si sa construction mérite des mesures d’exception. D’ailleurs, le plus mauvais bâtiment de l’immense Renzo Piano est celui qu’il a fait en PPP, en France : le TGI de Paris. Symbole !**
A l’heure de ces grandes élucubrations nationales mises en scène par le président – dont la phase 3 est en cours en janvier 2020 – se souvenir que dès fin septembre 2017, le gouvernement d’Edouard Philippe dévoilait en grande pompe sa «politique du logement». Il n’était alors pas question de grand soir ni de grande concertation citoyenne et le Premier ministre avait annoncé son ambitieuse volonté de «réduire les normes» et de «limiter les contestations des permis de construire».
Plus de deux ans plus tard, la RE2020 est d’une indigence insigne au regard des enjeux, les normes ne sont plus des régimes spéciaux mais des régimes spécifiques et il est devenu impossible de construire quoi que ce soit sans qu’un ministre ou un autre n’intervienne personnellement et fasse grand cas de son opinion. Sinon, à part ça ? Ha oui, la loi ELAN. Une réussite ! Proposition 7 : cesser de prendre les citoyens pour des billes.
Enfin, il convient sans doute pour ce gouvernement qui cherche à diminuer l’impact carbone de la construction de décider une bonne fois pour toute d’une politique du patrimoine. Gustave Eiffel est un grand homme, il a construit des centaines de ponts, sans parler des halles de marché. Faut-il les garder tous ? 1 sur 10 ? 1 sur 20 ? 1 sur 100 ? La question est plus politique qu’elle n’y paraît de premier abord.
Notre proposition 8 consiste donc en la création d’une commission – puisqu’en France nous en sommes experts – constituée pour un quart d’architectes, pour un quart d’ingénieurs, pour un quart de citoyens locaux tirés au sort et pour un quart d’élus de la communauté européenne (sauf l’Angleterre). Et, dès que ça coince quelque part en France question patrimoine, c’est-à-dire presque partout tout le temps, ceux-là s’échangent des mails, regardent les photos, lisent les intentions des projets, discutent via Skype et, à la fin de la journée, un vote à la majorité qualifiée décide pour tel projet si c’est oui ou si c’est non. Et c’est réglé en 24h. Pas d’appel, pas de recours, les arguties savantes réservées aux exégètes. Considérant tout le temps et l’argent qu’une telle commission ferait économiser à tout le monde, ses membres peuvent être très, très, bien rémunérés afin de demeurer indépendants.
Ou alors, question patrimoine – dernière proposition – ce président peut toujours tirer au sort 150 Stéphane Bern qui ne manqueront pas, c’est sûr, de solutions concrètes.
Christophe Leray
*Voir notre article 2020, une année bas carbone
**Voir notre article La justice est aveugle, Renzo Piano n’y a rien vu non plus