Autant la création par Odile Decq de son école d’architecture Confluence à Lyon – The Institute of Innovation and Creative Strategies in Architecture, de son nom complet – avait en 2013 donné lieu à des cris d’orfraie, autant son déménagement et son installation à Paris à l’automne 2019 se sont déroulés dans l’indifférence prudente de la profession. Visite.
La dernière création d’une école d’architecture datait de 1998 avec l’ouverture de l’ENSA Marne-la-Vallée. Mais quand Odile Decq annonça la création de Confluence, le Syndicat de l’architecture s’est inquiété du «montage financier de cette opération» tandis qu’un article plein de sous-entendus du Monde* donnait du grain à moudre aux détracteurs du projet. Apparemment, ceux-là n’ont aujourd’hui plus peur de la louve dans la bergerie.
Située désormais juste sous son agence, l’école consiste en un plateau ouvert à l’étage et une salle de réunion/exposition en rez-de-chaussée dans l’étroite rue des Arquebusiers à Paris (IIIe). Par rapport à la vaste enceinte de l’école de Lyon – devenue une école de design – l’espace de la nouvelle école est… parisien. Il y a encore tout ce qu’il y avait avant mais dans un espace plus réduit et plus cher. «A Lyon, je vivais dans un grand studio de 20 m² pour 500€, à Paris j’ai 9 m² pour 600€», note Max, un étudiant américain. «Mais ça vaut le coup de se retrouver à Paris», ajoute-il très vite.
De fait, note Odile Decq, «à Lyon, personne ne venait nous voir, ici les gens n’arrêtent pas de passer». Quelques jours avant Chroniques, elle recevait la visite d’une directrice d’une école d’architecture indienne. Et lors de notre visite en décembre 2019, nous avons croisé l’architecte anglais l’anglais Peter Cook, la sud-africaine Karin Smuts ou encore Andrew Todd, architecte d’origine britannique vivant à Paris et auteur du seul théâtre élisabéthain en France.
Sinon, le fonctionnement de Confluence n’a pas changé depuis Lyon : chaque étudiant dispose d’un desk individuel et le cursus de l’école est organisé chaque semestre autour d’ateliers – trois ‘workshops’ de 5 à 10 jours – d’une dizaine de séminaires, d’un ‘studio long’ avec un professeur autour d’une thématique, de conférences, de visites architecturales et de visites de chantier. Les machines-outils et le fab lab rapatriés avec l’école, tout y est. Comme à Lyon, un badge donne accès à l’école 7 jours sur 7, 24h sur 24.
«C’est plus petit mais c’est plus convivial et il y a plus d’émulation», souligne Nicolas Hannequin, architecte et partenaire du projet depuis le début. De fait le lieu ressemble à une agence d’architecture dont tous les employés seraient jeunes et un peu maladroits. D’ailleurs une ancienne étudiante travaille aujourd’hui dans l’agence d’Odile Decq, juste au-dessus.
En tout cas le déménagement à Paris a permis de doubler les inscriptions, une trentaine d’étudiants actuellement contre 15 à Lyon. Compter plus de 50% d’étrangers, de la Chine au Bénin, une population étonnamment variée pour un si petit groupe. Le prix des études – 11 000 €/an – n’a lui pas bougé. Ce qui est à peine plus cher que l’Ecole Spéciale d’architecture à Paris dont Odile Decq fut directrice de 2007 à 2012, moins cher en tout cas que l’université publique en Angleterre (à partir de 12 000€) et beaucoup moins que la plupart des écoles de commerce, cotées ou non, en France.
«L’équilibre sera atteint avec 40 ou 50 étudiants», précise Odile Decq. Depuis mars 2018, le comité du Royal Institute of British Architects (RIBA) a validé «sans conditions» les deux diplômes délivrés par Confluence, le niveau licence et le niveau master, ce qui répond à l’une des premières inquiétudes quant aux objectifs de cette école. Sauf à penser que les membres du RIBA sont des demeurés, force est de constater que l’alternative pédagogique proposée par Odile Decq est légitime, à défaut de n’être pas dans le droit fil du «continuum historique de l’architecture française et de son système d’enseignement», comme le lui reprochait en 2013 Patrick Colombier, alors président du Syndicat de l’architecture
Il est certain que l’effectif de Confluence n’a rien à voir avec les 2 000 étudiants de l’ENSA La Villette, la plus grande des 20 ENSA, dont Odile Decq fut étudiante, ni avec ceux de L’Ecole Spéciale (ESA) ou de l’INSA Strasbourg. «En France les écoles n’ont aucune souplesse pour inviter des gens, les procédures sont lourdes et il faut demander une permission pour faire une conférence. Ici nous avons toute la souplesse d’une petite école», remarque-t-elle.
Selon la directrice de Confluence, des études d’architecture doivent développer la capacité de penser et de proposer des solutions et non viser à former des exécutants répondant à une commande. «Nous voulons rester une petite école mais faire monter le niveau», dit-elle. C’est là sans doute le principal défi de Confluence à l’échelle de son modèle économique actuel.
L’après-midi de la visite de Chroniques avait lieu la présentation par leurs auteurs des résultats d’un workshop intensif d’une semaine sous la direction de Peter Cook. Le thème de l’exercice, commun à tous, était d’imaginer une extension pour le centre Georges Pompidou à Paris, un bâtiment connu de tous les étudiants en architecture – c’est un rectangle – et que ceux de l’école avaient pu découvrir ‘en vrai’ depuis leur arrivée à Paris.
Au fil des présentations, de flagrantes différences de niveau apparaissent, du très bon – Max, l’étudiant américain a rejoint Confluence parce qu’il était «malheureux» dans un studio de Skidmore, Owings and Merrill (SOM) à New York ; «c’était déprimant d’y travailler», dit-il – jusqu’à l’incompréhensible.
Peut-être que, pour quelques étudiants, cette école est le dernier recours de gamins qui n’ont plus nulle part où aller mais qui restent persuadés, ou dont les parents restent persuadés, qu’ils seront architectes un jour. Qui plus est, la langue de l’agence est l’anglais, ce qui rend les choses plus ou moins difficiles pour les élèves francophones. Dans ce cadre, le jury de ce workshop se montre cependant sans concession, ce qui n’est sans doute pas bon pour le bilan financier de l’école à court terme mais prometteur pour l’avenir.
«Les étudiants sont les victimes de l’ordinateur. Ils ne devraient pas commencer à toucher aux outils informatiques avant la deuxième année. Si vous les mettez sur Rhino dès le premier mois, ils n’en reviennent jamais !», souligne Peter Cook à propos d’un projet inepte sur le fond sinon sur la forme. «La perfection est ennuyeuse, un diagramme parfait est ennuyeux, un jour parfait au parc est ennuyeux», dit-il.
A Confluence, personne ne court le risque de s’ennuyer.
Christophe Leray
* Le Syndicat de l’architecture s’inquiète de l’ouverture d’une école privée à Lyon, par Jean-Jacques Larrochelle publié le 25 février 2014