«Tourne-toi». «Non, pas comme ça». La décadanse chantait Gainsbourg. Maintenant que la poussière est un peu retombée, que retenir du concours Réinventer Paris ? Tout dépend de quel point de vue on se place. Par exemple, il semble entendu dans le landernau architectural, du moins dans la presse architecturale, le landernau du landernau, que l’opération de communication d’Anne Hidalgo a fait pschittt. Mauvaise nouvelle, c’est tout le contraire. En réalité, cette campagne de com a fait florès, avec les architectes dans le rôle des invités au dîner de cons.
La presse archi peut bien se gausser, et l’Ordre avoir des vapeurs – «Quoi, comment, des architectes sont exploités ?» – la politique demeure un rapport de force. Voyons. Mettons qu’il y ait 10 000 architectes à Paris, avec 50% d’abstention – les architectes sont des hommes et femmes comme les autres – 5 000 d’entre eux seulement votent. Du coup, à la fin, au mieux, Anne Hidalgo peut espérer peut-être 2 000 votes de la part des architectes (même si la plupart d’entre eux seront à un moment ou un autre en relation avec la ville maître d’ouvrage, ce qui tend à susciter des vocations). Alors d’accord, ces 2000 auraient préféré «pas comme ça».
Mais bon, quand Le Parisien titre en une «Ces projets qui vont changer Paris» et fait sur ce sujet quatre pages ‘Evènement’, au lieu de deux habituellement, sachant qu’avec 2,45 millions de lecteurs chaque jour, «Le Parisien»-«Aujourd’hui en France» est le journal le plus lu dans l’Hexagone… Ah bon, elle est ratée l’entreprise de communication de la maire de Paris ?
D’ailleurs, dans ma précédente chronique, je m’étonnais : «Par ailleurs, il est quand même étonnant que, Paris étant candidate aux J.O. de 2024, rien ne soit anticipé à ce sujet. Ah bon, les intérêts de Réinventer Paris 2022 ne coïncideraient pas avec ceux de Paris 2024 ?». Aujourd’hui nous sommes fixés : en effet, ils coïncident. De fait dans la foulée, quelques jours plus tard, était dévoilé le logo de la candidature de Paris aux J.O. Revenait en mémoire cette phrase étrange d’Anne Hidalgo au Parisien justement. A la question, quelle ville souhaitez-vous offrir demain aux Parisiens ?, l’édile répond : «c’est une ville bienveillante où l’air est plus respirable». Les arbres sur les toits consomment du CO2 et produisent de l’oxygène. CQFD et l’air de Paris sera redevenu pur en 2024 et voilà le volet écologique du projet pour les J.O.
Si la maire n’a pas raté sa campagne de communication tout en réussissant un joli coup politique, qu’est-ce que cela dit à propos des architectes ? Qu’ils sont les premiers à se leurrer ? En effet, ceci n’était pas un concours D’ARCHITECTURE, hélas, mais un concours de PROMOTEUR et un concours FONCIER. Il n’y a d’ailleurs que les architectes et les lecteurs du Parisien pour penser qu’il s’agit d’un concours d’architecture. A noter d’ailleurs que Le Parisien est désormais propriété de LVMH dont les projets ambitieux à Paris sont légion (La Samaritaine, le jardin d’acclimatation entre autres), ceci expliquant peut-être cela. Cela écrit, Frédéric Edelmann et Jérôme Porier étaient tout aussi dithyrambiques dans l’édition du Monde datée du 3 février.
Concours foncier parce qu’il suffit de lancer quelques belles carottes pour que les promoteurs, en compétition, s’intéressent soudain à telle ou telle parcelle. La ville s’est d’ailleurs d’ores et déjà félicitée du prix de la peau de l’ours, pas moins de 600 M€ de recettes. C’est sûr qu’en temps ordinaire, la plupart de ces parcelles n’intéressaient personne, la preuve, elles sont encore disponibles. Pour le coup, c’est plutôt bien joué de la part de la ville.
Sauf que cela pose question. En effet, il est supposément question d’architecture. Parmi les critères du concours énoncés par la ville, «c’est l’architecture qui fera la différence» assuraient les édiles, la main sur le cœur. La preuve «les jurys étaient indépendants et pluralistes, avec des experts, des élus de la majorité et de l’opposition» a indiqué Anne Hidalgo. Des experts ? Lesquels ? Pas beaucoup d’architectes en tout cas. Ah si, quelques architectes d’institution, pieds et poings liés donc, faisaient bravement acte de présence en tant qu’hommes de l’art. Sinon c’était qui les experts ? Les mêmes qui nous ont expliqué que la Philharmonie à 200 millions c’était possible ? Que la Canopée des Halles c’était possible ? Loin est le temps quand des Piano, Koolhass, Gehry parmi beaucoup d’autres faisaient partie des jurys de François Mitterrand !
Une autre façon de s’assurer qu’il ne s’agissait en rien d’un concours d’architecture est de regarder comment furent traités les architectes. Ils ne furent pas payés parait-il ? Ah bon, Sou Foujimoto travaille gratos ? La vérité est que les promoteurs qui avaient envie de gagner sont allés solliciter leurs champions, et les champions ne travaillent pas gratos. Par contre, puisqu’ils étaient payés, les champions ont travaillé. Il est en effet difficile d’imaginer que ces architectes connus, véritables stars pour certains, accepteraient 200 ou 250 000 euros sans produire un travail sérieux. Quand elles ont accepté le deal avec un promoteur, ces ‘stars’ ont bossé donc, dit autrement, elles ont fait de l’archi. Curieusement, on ne les retrouve pas parmi les lauréats. Des promoteurs et starchitectes ont proposé jusqu’à trois projets et aucun n’est gagnant (à part Foujimoto of course et, sur le plus vaste des sites, David Chipperfield) ?
Considérant le nombre de signatures de prestige ayant participé à ce concours (ici à Chronique on en connaît au moins six ou sept mais comme on n’est pas sûr de les connaître toutes, on ne citera personne), il est étonnant qu’ils soient si peu lauréats. Nombreux sont ceux qui n’ont même pas passé le premier tour !
Concours foncier disions-nous. Imaginons le dilemme du jury. Sur telle parcelle, tel promoteur avec un super architecte – qu’il paye, bien – propose un super projet à 50 millions, prix du terrain compris. Un autre promoteur quant à lui propose une architecture de l’air du temps mais un ticket à 70 millions. Ils en pensent quoi les experts du jury ? Toujours est-il que la Compagnie de Phalsbourg est trois fois lauréate.
D’autres promoteurs, parce qu’ils ne sont pas tous complètement nazes, sont allé au charbon avec de jeunes agences, certes payées dix fois moins que les stars mais payées. Ceux-là ont tenté quelque chose et quelques-uns furent récompensés.
Enfin, il est vrai que des agences ont travaillé gratos, souvent de jeunes agences. Et pourquoi pas ? Le jeune architecte de 30 ans de toute façon bosse sur des concours d’idées et autres appels à projet, alors il ne peut guère refuser l’occasion ici de peut-être intégrer la cour des grands. Comment lui en vouloir, surtout si c’est le promoteur qui l’appelle, c’est flatteur.
Alors oui, des architectes ont bossé comme des dingues à leur frais pour ce concours mais il est faux de dire que sur ce concours les architectes ne furent pas payés. Certains le furent normalement, d’autres le furent correctement, d’autres ne le furent pas. Le vrai problème n’est pas là mais dans le caractère biaisé du processus. Dans un concours d’architecture, les concurrents sont censés être sur un pied d’égalité. Ici ce n’est pas le cas.
Bref, puisque ce n’est pas un concours d’architecture, que c’est un concours foncier et qu’il n’y a pas ou peu d’architectes dans le jury, de quoi ce concours est-il le nom ? La similitude des projets interpelle, c’est à qui fera pousser les plus grands arbres sur son balcon. Pourquoi ? Parce que les architectes ont anticipé à juste titre la demande politique : à savoir un vernis vert. Et pourquoi un vernis vert ? Parce que c’est ce que réclame l’opinion publique (du moins c’est ce que croient savoir les communicants d’Anne Hidalgo).
«Nous répondons ainsi au souhait des Parisiens, qui réclament une ville plus verte», explique Anne Hidalgo. Les décisions «pionnières en termes d’urbanisme» ne sont donc plus basées sur des décisions de ‘sachants’, ces gens dont c’est le métier d’envisager le cadre urbain, mais sur des sondages, les ressentis des bouchers, journalistes, héritiers et autres fonctionnaires. Le degré zéro de la pensée politique. Comment pourtant en vouloir à ceux-ci quand les architectes eux-mêmes se fourvoient à ce point, croyant malgré l’étendue de leurs responsabilités que quelques belles perspectives leur gagneront respect et légitimité ?
Quand un lauréat propose de faire pousser des fraises des bois au 1er étage, de la menthe verte au second, n’a-t-on pas complètement perdu le sens des réalités ? Chacun de ces lauréats aux projets si verdoyants s’est-il véritablement interrogé, comme son titre d’architecte l’en enjoint pourtant, sur la fiabilité de l’arboristerie hors-sol ? Que l’on sache, le concept d’immeuble qui pousse inventé en France par Edouard François était élégant sans doute mais, mis à part quelques réussites, en Italie notamment, toujours est-il que quinze plus tard, on attend encore que pousse son immeuble, livré pourtant depuis 2000 à Montpellier, et tous les autres depuis. C’est le syndrome du magnolia, un arbre aux fleurs magnifiques mais qui ne pousse qu’en pleine terre. Et l’on découvre désormais de plus en plus d’immeubles couverts de grillages sur lesquels la végétation n’a jamais poussé. Il est quand même insensé que, au nom de l’écologie, les architectes finissent par croire eux-mêmes à ces balivernes.
Pourquoi les architectes se sont-ils prêtés à cette mascarade ? Sont-ils à ce point désespérés qu’ils sont prêts à accepter n’importe quelles conditions de travail ? Et si demain, Anne Hidalgo lance un autre concours dans la même veine, comme elle l’a évoqué, iront-ils encore ? Probablement. Quelle tristesse.
Pour finir, une note pour les amateurs de salades. Vous voulez un bâtiment qui pousse ? C’est sur les ruines que poussent les végétaux : les mousses, puis les plantes puis les arbres. Ici c’est sur des ruines intellectuelles et morales qu’est bâti cette ‘réinvention’, tout le mépris désormais porté aux architectes dociles étalé sur les murs du Pavillon de l’Arsenal qui accueille l’exposition ad hoc.
Christophe Leray