Digue allongée et piétonnisée, port agrandi avec promenade et de nouveaux logements familiaux, François Leclercq (Leclercq Associés) écrit le prochain chapitre de l’histoire paradoxale de la Grande Motte, passée de « la Grande Moche à la Grande Mode » en 50 ans. Communiqué.
Ville verte injustement devenue symbole du bétonnage de la côte, la cité balnéaire imaginée par Jean Balladur est aujourd’hui un modèle de réussite qui s’invente un avenir au-delà des vacances d’été et questionne l’échec des villes nouvelles françaises.
Au début des années 60, la côte languedocienne est encore un paysage austère de vignes et de marécages battus par les vents qui n’intéresse que les chasseurs et les moustiques ; les vacanciers préférant passer leur chemin jusqu’à la Costa Brava en plein essor. Un exode estival inacceptable pour le général De Gaulle qui décide de prendre en charge les vacances des classes moyennes, tandis que la Défense devient un ambitieux quartier d’affaires.
Colbertiste et dirigiste, la 5ème République s’occupe alors du travail et des vacances de ses citoyens avec la même certitude moderniste. Six stations balnéaires reliées par une autoroute littorale sont lancées sur cette terre vierge du Languedoc. Jean Balladur hérite de la Grande Motte, à laquelle une colline de vigne plus haute que les autres donne son nom.
Débarrassée de ses moustiques et plantée de 30 000 pins pour stabiliser le sol, cette dune devient le point zéro d’une aventure architecturale pensée comme une déambulation piétonne dans un espace vert. « La survie du monde végétal ne va-t-elle pas de pair avec la survie des hommes ? Quand ils ont rêvé d’un lieu enchanteur, comme le paradis terrestre, les hommes ne l’ont pas situé dans un palais somptueux mais dans un jardin », écrit Jean Balladur dès les années 60.
Échaudé par les échecs du gigantisme de Versailles, Brasilia ou Chandigarh, révolté par la priorité donnée à la voiture dans les grands ensembles et les villes nouvelles sans âme, Balladur imagine une ville courbe, traversée de mythes et de légendes afin de palier son manque d’histoire. Une ville à taille humaine, organique et sensuelle dont le point d’orgue est la pyramide.
« Les volumes parallélépipédiques de grande hauteur plantent leurs murs perpendiculairement dans le sol. Ces hautes verticales et ces angles droits poignardent avec arrogance la terre et le ciel. Le dessin pyramidal soulève la terre comme des vagues successives. Il quitte l’horizontale du sol par une pente, s’élève et rejoint le sol par une pente descendante. Un mouvement naturel comme les mamelons de la terre elle-même, sans brutalité », résume alors François Leclerq.
Mexico est une cité développée sur des marais, cernée de volcans éteints auxquels les Aztèques ont rendu hommage avec des structures pyramidales. Balladur reprend à son compte ce principe géomorphologique et trace un paysage de béton inspiré par les Cévennes. Ses pyramides sont plantées sur la côte pour « peigner le vent » et offrir un abri à la végétation. La courbe des bâtiments permet d’envelopper de grands jardins privatifs tournés vers la mer et dessine une ville nature qui offre une multitude de chemins possibles entre les immeubles parmi les pins, les cyprès et les tamaris.
A l’est, le quartier du Levant, pyramidal et masculin, à l’ouest les conques de Vénus avec son architecture courbe et basse. Au centre, le port et son chantier naval. « C’est ce trou dans le paysage et son chantier naval de bric et de broc que nous transformons avec l’allongement de la digue, l’agrandissement du port et la construction de 500 grands logements pour accueillir des familles à l’année », indique François Leclercq.
« La Grande Motte fait désormais partie de la grande zone active de Montpellier. On peut vivre et travailler ici. Or, l’immense majorité des logements sont des studios cabines pensés pour les estivants. Il y avait un manque pour ces nouveaux résidents permanents. Nous allons également créer 400 anneaux supplémentaires, qui font cruellement défaut sur la côte, pour accueillir les bateaux. Le nautisme est une activité non saisonnière pour la Grande Motte avec son port unique dans la région », poursuit l’architecte.
Héritier de la vision piétonne et nonchalante de Jean Balladur, François Leclercq a imaginé une Ballade d’1,5 km pour relier les plages du Levant et du Couchant dans le nouveau port (dont les travaux ont commencé avec l’allongement de la digue en 2019). A terme, « une place encore plus grande donnée aux piétons et aux mobilités douces, ainsi qu’une végétalisation à l’avant des immeubles en front de mer », souligne l’architecte urbaniste.
Une fois le chantier naval déménagé, la construction d’une dizaine d’immeubles débutera avec un geste d’architecture magistral : la création d’une nouvelle colline qui unira les deux quartiers masculin et féminin. « Cette colline ne sera pas d’un bloc comme les bâtiments existant de Balladur, elle sera constituée d’une dizaine d’immeubles dont chaque silhouette sera sculptée en fonction des vents, de l’ensoleillement et des vues. Vue depuis la mer, cette dizaine de bâtiments se fondra dans une lentille en trois dimensions pour créer la colline manquante entre les deux quartiers », indique François Leclercq.
Ultime hommage à la relation du plein et du vide chère à Balladur qui mettait en garde : « Il ne faut pas se tromper sur la matière qui installe la pensée de l’architecture dans l’espace vécu. Cette matière n’est en réalité ni le béton, ni la pierre, ni l’acier, ni le bois. C’est le vide. Le plein des matériaux n’a d’autre fonction que de faire comparaître le corps du vide. La matière solide joue le même rôle que les bandelettes dont s’entourait l’homme invisible de H.G. Wells : rendre visible le geste de l’invisible ».
L’ensemble des travaux s’achèvera dans dix ans. « Le chantier est passionnant par son ampleur mais aussi et surtout par la culture architecturale unique des habitants. Ici, personne ne souhaite un retour au style provençal ; on se demande plutôt comment poursuivre au mieux l’œuvre en béton de Jean Balladur », conclut François Leclercq.