Le Pavillon de l’Arsenal à Paris propose une plateforme où les faiseurs de la ville peuvent proposer leurs contributions pour le monde d’après. A l’heure où ces lignes sont écrites, 159 contributions ont été publiées : urbanistes, architectes, acteurs de la concertation, propriétaires immobiliers y sont allés de leurs analyses. Pourquoi ce pot-pourri laisse-t-il un goût d’inachevé ? Peut-être parce que ce n’est pas la quantité qui aurait dû primer mais la qualité…
Alors que, passé la sidération du confinement, les textes sur « le monde d’après » commençaient à foisonner dans les médias, le Pavillon de l’Arsenal ouvrait sa plate-forme au début du mois d’avril 2020. L’initiative aurait pu être sympathique si elle ne s’était pas finalement révélée un vaste foutoir.
Tout projet de ce type suppose ou présuppose soit un cadre, soit un projet éditorial. Là, rien de tout cela. Le cadre, c’est l’introduction sur l’obsolescence d’Alexandre Labasse, directeur général du Pavillon, qui ne pose pas les bases d’une discussion mais affirme : « Les modes de vie urbains, les conditions de fabrications de la ville, tout comme leurs usages, et les façons d’habiter sont brutalement devenus, pour beaucoup obsolètes ». Du passé, faisons table rase, pourrait-on dire cyniquement.
De telles prémices invitent à penser que tout est définitivement à refaire. Nos modes de vie et nos usages n’ont pas changé tant que cela mais ils ont subi des restrictions dictées par l’état d’urgence. Selon Alexandre Labasse, il faudrait donc tout recommencer ? Et que signifie « l’après » ? L’après confinement ? L’après vaccin ? L’après « on aura réussi à vivre avec le virus » ? L’après crise économique qui s’annonce ? Puisque rien n’est défini, chacun peut donc mettre ce qu’il veut. Ce n’est plus un pavillon mais une auberge espagnole !
Pour le projet éditorial, on repassera également. Pour lire quoi ce soit, il faut se plonger dans un grand fourre-tout où « architectes, urbanistes, ingénieurs, designers, paysagistes, étudiants, professionnels de l’immobilier et acteurs de la fabrication de la ville » ont transmis leurs propositions « pour de nouvelles manières de Faire et faire coïncider les attentes et besoins de la ville où l’on vit et celle dont on vit » (ouf !).
Dans les 159 propositions, il est quasi impossible avant d’en ouvrir une de voir la répartition de « ces acteurs », encore moins de pouvoir choisir consciemment ce que l’on va lire. Le confinement a laissé nombre d’entre eux du temps pour écrire mais il aurait dû en laisser encore au Pavillon afin de mettre en place, pour s’y retrouver, au moins une articulation permettant une recherche par mots-clés, profession, etc. Et, tant qu’à faire, demander au minimum aux auteurs de se présenter.
Alors peut-être que l’idée est de découvrir les textes au petit bonheur la chance mais un minimum d’information sur l’auteur est parfois le bienvenu ; tandis que des auteur(e)s ont envoyé une bio complète (leur C.V. en somme), d’autres rien du tout. L’un d’eux a même agrémenté sa contribution avec un portrait de lui-même tout en ouvrant sa prose par un « Il est assez pathétique d’entendre et de lire les propos de certains de mes amis architectes ». Par contre, mettre son portrait pour illustrer une pensée supérieure à celle des confrères n’est pas pathétique.
Le Pavillon demandait des projets et dessins, nombreux sont ceux qui ont choisi l’autocélébration. Et pour le coup, lire la contribution d’un promoteur ou lire celle d’un paysagiste, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. C’est facile de convoquer tout le monde – « hey Coco, j’ai une idée, on va ouvrir une plateforme, les architectes vont adorer ça » – mais rendre ces textes accessibles, cela aurait été du travail.
Pour le lecteur démuni face à cet ensemble, l’ouverture au hasard peut laisser pantois. En effet, avant de publier, il aurait pu être intéressant de corriger les scories, coquilles et autres fautes d’orthographes pour éviter de sévères fractures rétiniennes. Merci par exemple pour cette contribution qui commence par deux belles fautes dont l’une pour citer « Beaudelaire » (sic). Un minimum de relecture aurait été le bienvenu mais, pour cela, il aurait fallu un vrai projet pour ces contributions.
Certes les contributeurs devraient se relire mais aussi penser que la lecture se fait sur un site internet. Il n’est pas aisé de retourner sa tablette ou son ordi pour lire celui-là. Du coup, l’impression se dégage rapidement que chaque jour le Pavillon relève la boîte mail des contributions et hop, voilà une plateforme actualisée Coco ! Le fond, la forme, peu importe, il faut publier ces contributions des « faiseurs d’espaces » forcément exceptionnelles puisque confraternelles.
Celles-ci d’ailleurs ne sont pas exclusives. Certains textes ont déjà été publiés ailleurs, dans d’autres médias, les auteurs comptant ainsi sur l’effet démultiplicateur de diffusion de leur pensée unique sur « l’après ». Et puis publier un peu partout, c’est bon pour le moral – voire la notoriété – et, quitte à ce que la qualité ne soit pas là, il faut parfois ne pas être regardant sur le style.
Il y a aussi ceux qui en profitent pour refourguer leurs mêmes propositions depuis 10, 20 ou 30 ans, et qui n’ont pas profité du confinement pour se renouveler, évoluer ou mettre en perspective leurs travaux avec la crise, avec une analyse plus solide que celle déjà rabâchée d’une crise continue de la ville. Ceux-là avaient déjà tout vu depuis longtemps et ont déjà des solutions, donc c’est le moment de se faire briller un petit peu plus.
Bref un bon vieux souffle de « yakafokon » inspire nombre de ces lignes de prose. Ah bah oui, il n’y a qu’à faire des logements plus grands et avec des balcons ou espaces extérieurs. Parce que dans le « monde d’avant », les gens n’avaient pas besoin d’un balcon ou d’espace extérieur dans leur logement ?
L’engouement pour la maison avec jardin est pourtant bien là et les logements avec extérieur dans les villes se vendent généralement un peu plus chers, c’est donc bien qu’il y avait déjà un « bénéfice » à disposer d’un extérieur dans le « monde d’avant ». C’est le rapport de force entre promoteurs et architectes qui est à revoir dans ce cas, voire une exigence professionnelle d’essayer de construire en fonction des vœux des habitants (et pas nécessairement uniquement des exigences du donneur d’ordre). Le sociologue Jean-Louis Violeau rappelle d’ailleurs cette considération qu’avaient les architectes postmodernes pour les espaces extérieurs après la crise de 73 et avant l’avènement des promoteurs.
Pour ne pas désespérer face à ce pot-pourri, se consoler en tombant sur quelques contributions intéressantes. Pascal Rollet revient sur les maux du logement et de sa réglementation, c’est convenu mais ça se lit. Vraiment Vraiment repense la question de la production d’espace public (et bien qu’ils aient publié leur contribution avant sur leur – excellente – plateforme autrement autrement), Julien Boursier et Mélusine Hucault évoquent la Supercopro, dont quelques points sont intéressants.
Bref, il faut vouloir se lancer dans l’ouverture d’une multitude de fenêtres pour trouver au hasard quelques écrits pertinents. Parmi toutes les contributions lues par l’auteure de cet article, aucune ne s’appesantit sur l’habitat pour les seniors, sujet qui pourtant paraît primordial. Si cela est le signe de tout l’intérêt que lui porte urbanistes, architectes, acteurs de la concertation, propriétaires immobiliers, etc. c’est regrettable.
Le Pavillon promet que ces contributions donneront lieu à « exposition ». Il faut espérer que la réouverture des lieux n’arrive pas trop vite pour laisser encore du temps à la réflexion. En effet, telle quelle, l’initiative en devient gênante pour l’architecture, qui mérite bien mieux.
Julie Arnault