Une solution radicale permettant de régler le problème des embouteillages et de la pollution à Paris serait-elle susceptible de réconcilier un président de la République nostalgique et une maire de la capitale allergique à l’automobile, tous deux œuvrant de concert à la ville-musée ?
Le 9 juillet dernier, avec sa décision de restaurer Notre-Dame à l’identique, y compris la flèche de Viollet-le-Duc qui est pourtant à Notre-Dame comme une belle-mère rapportée, le président de la République, citant « un large consensus », a expliqué s’appuyer sur l’avis des « Experts ». Lesquels sont les membres de la Commission nationale du Patrimoine et de l’architecture (CNPA), là où – comme le nom de ce machin l’indique – prédominent les amoureux des vieilles pierres. Demandez à des conservateurs ce qu’ils en pensent, il y a de très, très grandes chances qu’ils proposent des solutions conservatrices. D’où sans doute ce consensus cousu de fil blanc et orné à la feuille d’or.
En avril 2019 pourtant, le même président, sans doute alors perturbé par le foyer encore brûlant de l’incendie, avait fait montre d’une grande audace en évoquant une reconstruction en cinq ans – comme s’il y avait le feu au lac pour un ouvrage multiséculaire – et, surtout, « un geste architectural contemporain » qui avait enflammé les imaginations du monde entier. Les Américains de Kennedy ont eu la NASA, nous aurions Notre-Dame ! C’était encore quand Jupiter se prenait pour Zeus.
Aujourd’hui revenu de la lune, le même se défausse – « ce n’est pas moi, ce sont les experts » – et retrouve ses premiers élans réactionnaires incarnés par l’ineffable et inamovible Stéphane Bern. Notre-Dame à l’identique ? Celle de Victor Hugo par exemple ? Et pourquoi ne pas restaurer à l’identique la ligne Maginot ?
Bref une décision molle et sans risque, à bout de souffle avant même de finir d’être énoncée, qui correspond tout à fait à l’esprit du temps et qui symbolise parfaitement la politique menée dans à peu près tous les domaines depuis le cataclysmique mouvement des Gilets jaune.
Emmanuel Macron n’est hélas pas le seul apôtre qui, face aux défis du siècle – et ils sont nombreux – ne s’emploie qu’à poser des rustines ici ou là dans l’urgence. Anne Hidalgo, maire de Paris, est également spécialiste de la vente de vessies pour des lanternes en circuit court.
Ainsi dit-elle vouloir réduire l’impact de la voiture à Paris : moins d’embouteillages, moins de pollution, plus de « mobilités douces » (par opposition à « mobilités violentes » je présume) avec un plan plus drastique encore pour empêcher les vieilles bagnoles de circuler dans Paris (mais c’est OK pour un SUV neuf hybride).
Après ses pastilles Crit’air qui ont fait zéro différence, bientôt un péage urbain comme à Londres ? S’il s’agit d’empêcher les pauvres de traverser Paris toujours plus réservée aux riches, ça peut marcher. D’ailleurs, ne donne-t-on pas aux premiers le Grand Paris Express pour se déplacer de banlieue à banlieue. Hein, de quoi se plaignent-ils ?
Le rapport avec Emmanuel Macron ? Le même recours à de vieilles recettes sans imagination et aucune vision nouvelle, par nature radicale, qui serait susceptible d’améliorer le bien-être de tous en Ile-de-France et d’impliquer les pauvres et les riches, « en même temps » comme dirait l’autre.
Des solutions existent pourtant, en voici une : il suffit à Anne Hidalgo d’interdire dans Paris toutes les voitures DE MOINS de 20 ou 25 ans et le problème est réglé. Et de quelle façon !
Voyons. Avec une telle règle, Paris intra-muros est dès demain débarrassé des embouteillages et de sa pollution car des voitures de plus de vingt ou vingt-cinq ans, il n’en reste pas tant que ça en circulation. Surtout, ce qui est rare étant cher, voilà des véhicules qui pour les riches, du jour au lendemain pour ainsi dire, deviendraient une commodité vite recherchée. Les pauvres, qui en sont propriétaires, retireraient alors un prix excellent de leur vieille guimbarde, de quoi en tout cas s’acheter, même si elle coûte bonbon, une voiture neuve hybride ou électrique ou à hydrogène, en tout cas beaucoup moins polluante que l’actuelle pour faire ces longs trajets de banlieue à banlieue.
Les riches disposeraient bien sûr de parkings sécurisés en périphérie pour leurs véhicules neufs qui – à part lorsque le moment de faire la route jusqu’à Monaco ou en Suisse est venu – seront gentiment laissés à vieillir comme un bon vin. Tandis qu’avec leurs vieilles voitures, les riches pourraient surtout, en sus de trouver un nouveau mode de vie dans un Paris libéré, redécouvrir un plaisir de la conduite – quand c’est l’humain qui contrôle la machine et non l’inverse – qui n’existe plus avec le dernier modèle sport dont ils raffolent.
Ici, au contraire, pour les grands bourgeois et grosses fortunes, se procurer une vieille caisse deviendrait vite une vraie chasse au trésor. Offrir une R5 vintage au fiston qui a réussi le bac, sortir tous les jours avec sa Mustang de 1967 et non plus seulement deux dimanches par an, offrir à madame une VRAIE Alpine Renault, une Simca 1000 à fifille et rouler en Rolls ou en Cadillac « puisque Hidalgo nous y oblige ».
A chacun alors de réinventer (mot à la mode) sa mobilité (idem). Untel aura retrouvé la R16 du film The Great Riviera Bank Robbery (1979) et, ayant également trouvé celle du film Un chien dans un jeu de quilles (1983), entamera une collection de R16 de film propre à impressionner ses amis. Lesquels ne seront pas en reste, untel se vantant de sa Panhard – rare auto avec un moteur deux-temps – récupérée « dans la grange d’un auvergnat », tel autre astiquant tous les jours son Peugeot 403 Pick Up de 1959.
Les plus riches et les plus audacieux se promèneront en ville dans une De Dion-Bouton 1908 ou dans la Delaunay-Belleville qui a rendu célèbre la Bande à Bonnot, dans une traction avant de 1934 ou une 4CV Renault de 1947, ou encore au volant d’une Dauphine de 1966 ou de la Porsche 959 avec laquelle l’acteur Claude Brasseur a gagné le Paris-Dakar en 1984. Tous les députés communistes se déplaçant dans Paris en Yugo (s’il en reste encore), voilà qui enverrait un message !
Puisqu’au fond c’est la compétition entre eux qui compte pour les gens qui ont tout sans se baisser, les vieilles voitures des pauvres n’en prendront que plus de valeur. Nul doute que, contraints et forcés, les riches sauront rivaliser d’imagination. Ils auront ainsi l’air moins sots qu’aujourd’hui « aux commandes » (sic) d’une Lamborghini Sián – et son V12 hybride de 819 chevaux – dans une ville où il est impossible de dépasser les 50 km/h ! Et puis, à l’heure de remercier les vaillant(e)s soldats et soldates de la République, les pauvres qui auraient gardé leur vieille voiture auraient l’air riches en traversant Paris peinards.
Pour les ménages de la classe moyenne supérieure, il leur suffira de troquer leur BMW Série 3 nouvelle version M340i (de 0 à 100 km / h en 4,4 secondes) achetée en 2019 pour une BMW 3-Series de 1999 et personne ne verra la différence.
Bref, pour Paris, un nouveau marché de l’auto des antiquaires.
Surtout, à l’avantage écologique évident pour la planète, considérer qu’il s’agit aussi d’une mesure sociale – souvenons-nous, Anne Hidalgo est une élue socialiste – puisqu’ainsi des pans entiers de l’argent de poche des riches iraient valoriser les possessions des pauvres, dès lors encouragés eux-mêmes à conserver leur voiture écologique, achetée neuve souvenez-vous, pendant au moins 20 ans. Tout le contraire de l’obsolescence programmée.
Noter encore que cette redistribution massive de cash – d’aucuns diraient ce ruissellement – ne coûterait pas un rond aux contribuables : les riches seraient toujours aussi riches, les pauvres un peu moins pauvres – leur voiture, au lieu d’en perdre, gagnerait de la valeur chaque année – et tous ensemble œuvreraient de concert à la préservation de la planète en général et à l’amélioration des conditions de vie en Ile-de-France en particulier.
Qui plus est, puisqu’Anne Hidalgo exprime la volonté de conserver de l’artisanat à Paris, toutes ces voitures anciennes vont nécessiter de vrais artisans mécaniciens, tôliers, ajusteurs, tapissiers, peintre, etc. pour les entretenir, les réparer, voire recréer les pièces détachées nécessaires, de quoi développer un artisanat de luxe et un réservoir d’emplois qualitatifs en plein Paris. Quand la De Dion-Bouton est en panne, on n’envoie pas des clampins pour dépanner !
Le dernier avantage d’une telle mesure – et non des moindres – est que, puisque Paris a vocation à devenir une ville-musée, autant que ses rues soient envahies de voitures antiques, comme à La Havane. Les touristes n’auront de cesse avant de quitter la ville que d’avoir fait un tour dans l’une de ces automobiles toutes plus surprenantes les unes que les autres et si typiques désormais de la capitale et, qui sait, des grandes villes françaises.
Le tout coexistant évidemment avec un système de transports en commun efficace, une circulation adaptée au deux-roues et une offre de taxis neufs – i.e. écolos – couvrant tous les autres besoins.
Une telle mesure, quand elle est prise pour le bien-être de tous, du plus pauvre au plus riche, n’a finalement rien de radical. Elle serait cependant dans ce pays le signe, enfin, d’un « leadership », comme dirait Kennedy, et de fait n’entacherait en rien, au contraire, le retour nostalgique au passé consensuel – Paris à l’identique ! – dont Emmanuel Macron se veut désormais le héraut.
Mais bon, il sera toujours temps d’y penser à la rentrée, ce qui laisse l’été à Anne Hidalgo pour y réfléchir et à Chroniques d’architecture pour faire une pause estivale.
Bel été à tous donc. Et, n’oubliez pas, sortez couverts…
Christophe Leray