Fin 2019, les Wild Rabbits Architectes (WRA) ont livré à Villejuif (Val-de-Marne), dans un tissu urbain complexe, un petit bâtiment visant à accueillir 17 étudiants. Bien loin de l’image du triste clapier pour étudiants, la dent creuse ainsi habitée fait désormais office de trait d’union architectural et social. Visite guidée.
Le temps de marcher les quelques centaines de mètres qui séparent le ‘Friendly Building’ de la station de métro, c’est tout un paysage urbain qui défile : des petits pavillons, des grandes barres de logements sociaux, de nouvelles opérations immobilières. Bref à Villejuif, le tissu urbain est varié.
RATP Habitat possédait depuis déjà quelque temps une petite parcelle de 300 m², face au collège Karl Marx, conçu par André Lurçat dans les années 30 et aujourd’hui classé aux monuments historiques.
Que faire d’un si petit terrain, au milieu de tous ces éléments architecturaux qui ne s’entendent pas toujours très bien ? Il était hors de question d’ajouter un nouveau geste, plutôt « d’enrichir le quartier avec une maison partagée, ouverte à tous les habitants à la manière d’une micro-institution bienveillante », explique Valdimir Doray, un des deux associés de l’agence WRA.
« Pas de geste définitif pour mettre tout le monde d’accord – ni le programme ni la taille du projet ne s’y prêtaient – mais une attitude, simple, ouverte, attentive. Une volumétrie de grandes maisons, une composition toute en seuils », dit-il. Ainsi le ‘Friendly building’ fait montre d’une architecture simple qui accompagne sans rupture les changements d’échelle. Le seuil, exprimé en façade par l’auvent, marque la limite avec la ville, entre l’espace public et privé de la résidence sans pour autant dévoiler l’intimité du logement.
Pour apporter du calme à la rue, les grandes obliques de la façade ouest ont des proportions identiques à celles du pignon de la gigantesque barre voisine. Ce biais réduit l’échelle perçue et ouvre le dialogue avec les toitures en pente des maisons. Il contribue à articuler finement deux morphologies antagonistes.
Le bardage bois, à l’origine métallique, est peint en blanc, afin d’éviter l’écueil vécu il y a quelques années avec les maisons en bandes situées derrière le ‘Friendly Building’ et dont le bois mis en œuvre en façade a particulièrement mal vieilli.
La structure est entièrement réalisée en modules 3D bois, conçus et montés en atelier, puis acheminés sur place. Elle porte dans la longueur avec un refend central. Les voiles latéraux n’ont pas à se superposer impérativement ce qui laisse la possibilité d’ajuster le cloisonnement aux besoins, un parti pris qui s’est révélé fort utile ! Du bois, de la préfabrication, une architecture labellisée PassivHaus, niveau bilan carbone, le ‘Friendly Building’ est le projet d’élèves studieux.
C’est le gabarit des camions de transports qui a dimensionné la taille des éléments, dessinés en 3D. Surtout, la conception tridimensionnelle a permis ici d’élever un nouveau bâtiment dans un temps record. En quatre jours, les modules étaient montés, en vingt jours, le « gros œuvre » achevé !
« Pour les riverains, un chantier éclair est moins polluant que des mois de rotations. C’est autant d’énergie que d’habitude, concentrée sur une période plus courte », souligne Fabrice Lagarde, l’autre associé de l’agence parisienne. Le tout en respectant un budget oscillant autour des 2000 €/m², soit un budget travaux équivalent à celui des techniques constructives plus traditionnelles.
Le bâtiment R+3 avec retrait en attique signale que quelques libertés ont été prises avec le PLU de la Ville. Un cancre le ‘Friendly Building’ ? En réalité, ce qui permet au projet de monter un peu plus haut que les pavillons voisins est son statut. En effet, la colocation solidaire de RATP habitat bénéficie d’un statut de CINASPIC, soit une sorte d’équipement, et non plus de logements, ce qui lui autorise quelques propositions, à négocier directement avec les services de la ville.
« Grâce à ce statut et aux échanges avec le maître d’ouvrage et la municipalité, nous avons pu fabriquer un retrait de 2 mètres afin de pouvoir ouvrir les fenêtres côté sud et de mieux réchauffer le bâtiment », raconte Fabrice Lagarde. Ce qui permit d’entrer dans les prérogatives du label PassivHaus !
Ces libertés ont également favorisé le choix d’une structure tridimensionnelle. En effet, les hauteurs d’étages pouvaient être un peu plus hautes que sur une élévation classique et ainsi inclure sans difficulté les doubles-planchers induit par la superposition des modules.
Si l’architecture tente de réconcilier le tissu urbain hétérogène, c’est le programme qui apporte un regard social sur cette partie de la ville. Le ‘Friendly Building’ est en effet une résidence pour étudiants d’un genre nouveau. Géré par une association, l’AFEV (Association de la fondation étudiante pour la ville), il s’agit en l’occurrence pour ce projet d’un KAPS pour « Kolocation à Projet Solidaire », soit 17 étudiants se partageant les quatre logements.
En échange d’un loyer très attractif, les résidents se doivent de mener en parallèle une activité bénévole, de type aide aux devoirs par exemple, un système inspiré des KOT belges*.
« En rupture avec les clapiers d’étudiants, la colocation solidaire et sociale permet d’imaginer un lieu où l’on apprend les uns des autres à cultiver ses instincts solidaires, l’estime et la confiance. Ici, les seuils sont communs, appropriables, utilisables et généreux », conclut Vladimir Doray.
Pour jouer encore plus sur la porosité du programme, le but pour l’AFEV serait d’accueillir également, au sein d’une salle commune, une vie de quartier faite de soutien et d’animations dont le ‘Friendly Building’ serait le trait d’union.
Alice Delaleu
* Un kot (ou kotje, petit kot) est un logement privé loué à des étudiants pendant l’année scolaire ou universitaire en Belgique. Ce belgicisme désigne au départ un placard (kot à balais) et par extension, une toute petite pièce comme une chambre d’étudiant.