L’agence Philippon-Kalt a livré en 2020 la phase 1 de l’écoquartier fluvial de L’Ile-Saint-Denis, un projet emblématique s’il en est, puisque se profilent les jeux olympiques de Paris et que l’île doit recevoir une partie du village des athlètes. Même si les athlètes n’y mettront jamais les pieds puisqu’il n’est pas fait pour eux, le nouveau quartier de cette phase 1 est en tous points un village accueillant. Visite.
L’Ile-Saint-Denis, une île de la Seine de sept kilomètres de long – 250 m au plus large – située entre la Seine-Saint-Denis et les Hauts-de-Seine, connaît toutes les contraintes spécifiques à l’insularité : difficulté d’accès, et une seule route étroite le long de la berge pour la traverser dans la longueur, faisant souvent obstacle à l’accès à l’eau.
Pour se rendre à l’écoquartier fluvial donc, après avoir emprunté la seule route accessible et passé l’immense Centre commercial Marques Avenue, pénétrer dans le Centre de mobilité (CDM), un parking ouvert à tous, et s’y garer après en avoir compris l’astucieux mode de circulation. Construit par K-Architecture, l’ouvrage protège efficacement le nouvel espace de l’activité du centre commercial. Puis aller à pied.
C’est une histoire de sensations. Il vous est sans doute déjà arrivé de découvrir un endroit qui pourtant vous semble familier, dans lequel vous vous sentez bien immédiatement. C’est le cas ici, où des ruelles desservent un entrelacs de typologies de logements, au sein de petites unités qui forment ensemble une sorte de ‘village’ comme on s’attend justement à en trouver sur les îles.
Sur les îles en effet, des Cyclades jusqu’à Noirmoutier ou Jersey et ailleurs, avant l’avènement de la voiture, une réalité insulaire s’est toujours imposée à l’urbanisme. Les villages étaient bâtis non en fonction d’un plan préétabli mais en fonction des éléments naturels : l’eau, le vent, le rivage, la nature. Quand elles existent encore, les ruelles et venelles du réseau viaire subsistant nous rendent familier chacun de ces villages dès qu’on y pose le pied.
C’est exactement la sensation ressentie en découvrant ce petit morceau de ville : tout est flambant neuf mais déposer sa voiture au CDM est comme accoster en terrain connu pour ensuite rentrer chez soi dans un quartier à échelle humaine, le fleuve toujours présent et désormais accessible, une promenade piétonne faisant le pendant naturel de la route de l’autre côté de l’île. « Ici, c’est l’environnement qui a dicté le projet », souligne Brigitte Philippon. Une création artificielle édifiée ex nihilo, mais un projet pourtant contextuel en somme… Comme sur une île en tout cas, un projet qui s’appuie sur les déclivités du terrain dans le sens de la longueur et de la largeur, le rendant ainsi facilement accessible.
Une sensation de confort améliorée encore du fait que tout le quartier – 300 logements – est livré quasiment en même temps. Les premiers acquéreurs ou locataires n’arrivent pas dans un quartier en chantier aux rues défoncées. Tout est déjà prêt : les circulations piétons et cycles ainsi que les espaces paysagers, y compris le restaurant qui souffre de la pandémie et du confinement mais pas de la localisation.
Certes à quelques pas, le terrain est terrassé pour la prochaine phase et les travaux débuteront bientôt, notamment à cause de l’impératif olympique, mais un vaste vallon transversal amené à durer vient d’ores et déjà apaiser et drainer le champ de terre tout en protégeant les habitants déjà installés et les abords de leur nouveau quartier des nuisances des chantiers à venir.
« Nous nous sommes inspirés de l’échelle du site, des maisons de ville bordant le petit bras de la Seine pour induire des ambiances différentes et des contrastes sur cet espace insulaire étroit et linéaire, les bâtiments plus hauts du côté du quai », explique Brigitte Philippon.
Tous les architectes ont compris l’intention des urbanistes et y ont mis du leur. C’est ainsi que des immeubles réalisés par des agences différentes* s’appuient sur un socle commun qui donne unité et cohérence aux bâtiments hauts sur les quais, l’arrondi des balcons de Périphériques faisant par ailleurs le lien avec l’arrondi du CDM.
Une île ? Garder à l’esprit que ce petit ‘village’, pour lequel ne manque que le nom tant il a déjà son identité, s’inscrit au début d’une opération de (prenez votre souffle) : 153 000 m² de programmes immobiliers composés de 1 000 logements, de 50 200 m² de bureaux et activités, de 7 600 m² d’équipements publics, le tout avec 7,3 hectares d’espaces publics.
L’espace public justement. Alors même qu’au rythme des rues, venelles et transparences, se dégage un sentiment d’intimité, de proximité et d’appropriation, le projet propose pourtant dans ce lieu contraint plus de 50% d’espace public. Ce qui est beaucoup pour une ZAC. « Considérant les questions de prospects, de confort, d’orientation et autres contraintes réglementaires, il faut un maillage et une étude fine pour offrir cette diversité d’espaces publics, c’est un processus complexe à mettre en œuvre », souligne Brigitte Philippon. C’est sûr que gérer les voies-pompiers dans ces conditions est plus compliqué que de dessiner des rues de 15 mètres de large… « Puisqu’il était sans voiture, le projet a été optimisé à l’échelle du piéton », explique-t-elle. D’où peut-être cette sensation si agréable en le traversant.
L’ensemble du projet sera donc rythmé par les centrales de mobilité (CDM) tous les 300 mètres, et le concept d’écoquartier fluvial sans voiture décliné ainsi jusqu’aux limites du centre-ville de la commune. C’est de bon augure pour une ZAC destinée à accueillir sur six hectares une partie du village des athlètes dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, un projet dévolu au groupe Pichet Legendre, trois agences – Chartier Dalix, Petitdidier Prioux, EGA Erik Giudice – héritant chacune d’un macro-lot. L’aménagement des berges sur 330 mètres et la création d’une passerelle de 140 mètres (signée Artelia, Lavigne&Chéron-Philippon-Kalt) reliant Saint-Denis à l’Île-Saint-Denis viendront en 2023 compléter le dispositif.
Certes, il faudrait sans doute qu’un clone de nous-mêmes, un Daniel évidemment, puisse revenir dans vingt, trente ou cent ans pour savoir si le ressenti de cette visite en octobre 2020 se vérifie encore et si L’Île-Saint-Denis a su préserver une culture insulaire qui lui est propre et d’emblée reconnaissable et familière malgré la nouveauté du dessin urbain.
En attendant, à l’heure où tous les projets d’urbanisme se ressemblent, offrant toujours à peu près les mêmes échelles, les mêmes ambiances et l’éternelle « homogénéité des îlots », soit une succession de carrés, c’est dire la surprise de découvrir pour 300 logements une telle opération.
Qui plus est, s’il s’agit bien d’un Écoquartier, aucun immeuble n’est couvert de choucroute verte ! Il est vrai que cette aventure s’est engagée pour l’agence dès 2003 (création de la ZAC en 2009), une époque où le concept d’Écoquartier alors développé par Brigitte Philippon et Jean Kalt n’avait pas encore envahi la communication des urbanistes. « Aujourd’hui les projets urbains sont souvent tenus, sans marge d’évolution, ici nous avons laissé les éléments naturels influer sur le paysage et dicter le projet », indique Brigitte Philippon.
La visite est l’occasion de faire le tour du projet d’une centaine de logements intitulé Entre deux rives – comme son nom l’indique – que l’agence a livrés en 2014, première étape de la réappropriation des friches de L’Ile-Saint-Denis.
Du côté du petit bras de la Seine, le bois des façades a plus ou moins grisé selon les expositions et cela donne justement au bâtiment un sentiment de pérennité. Le long de la berge, la nature est exubérante, un couple de cygnes flotte doucement, des perchoirs colorés sont installés dans les arbres. Un petit jardin en Île-de-France ? De l’autre côté de l’île, la facture contemporaine des façades n’a pas pris une ride avec l’arrivée et l’usage des habitants. Noter cette volonté déjà d’offrir des passages traversants autant que des espaces protecteurs au service d’une communauté tricotée entre deux rives privilégiant la liberté d’appropriation à l’injonction d’habiter. De fait, l’aménagement de ses espaces extérieurs par chacun, quel qu’en soit le goût – ha les canisses… –, ne nuit pas à la tranquille sérénité de l’ensemble.
À présenter leur travail, Brigitte Philippon et Jean Kalt conviennent cependant que beaucoup est lié au « génie du site ». Les possibilités de l’île ?
Christophe Leray
*Les architectes de ce petit miracle, insulaire, d’aménagement.
Centrale de mobilité sur la place des commerces
K Architectures
7 217 m² SDP – 220 places de stationnement + 13 places réservées (véhicules électriques livraison) + locaux pour économie sociale et solidaire + locaux communs associatifs
Façades du grand bras de Seine
Périphériques
46 logements, commerces et ateliers – 3 538 m² SDP
ECDM
46 logements et commerces – 3 551 m² SDP
Bâtiment proue sur le petit bras de Seine
Playtime AA
32 logements et espaces communs – 2 140 m² SDP
Façade petit bras de Seine
Bérangère Giaux
10 logements intermédiaires – 1 000 m² SDP
Façade place des commerces et l’allée des arts
Philippon – Kalt
32 logements – 2 125 m² SHAB
Façade sur l’allée des arts
Thibaud Babled
48 logements et ateliers – 4 185 m2 SDP
Au cœur des îles habitées
Philippon – Kalt
32 logements – 2 125 m² SHAB
Au cœur des îles habitées
Cobe
28 logements intermédiaires – 1 967 m² SDP
Habitat participatif
Julien Beller – Promoteur de Courtoisie Urbaine
27 logements – 2 161 m² SDP
Façade sur le grand bras
Hubert & Roy
34 logements – 3 292 m² SDP
Paysagiste : Inuits