
L’agence Moatti & Rivière a livré début 2021 à Deauville (Calvados) la restructuration de l’ancien couvent et orphelinat Les Franciscaines en un lieu de culture qui rassemble sur un site unique un musée, une médiathèque et une salle de spectacles, créant une nouvelle typologie d’établissement culturel. Communiqué du maître d’ouvrage.
À la volonté d’ouvrir la culture, de décloisonner ses frontières, de bouleverser ses rites et ses dogmes, le projet culturel des Franciscaines ajuste une stratégie de programmation transversale qui croise dans une constante interaction, les expositions, les collections, les spectacles et leurs prolongements à travers différents rendez-vous.
Pour ce projet, la ville de Deauville a fait le choix de réinvestir un lieu chargé d’histoire, l’ancien orphelinat Saint-Joseph de la Congrégation des Sœurs Franciscaines, auquel les habitants sont attachés, plutôt que de construire un bâtiment ex-nihilo. Ses futures attributions perpétuent sa vocation initiale d’accueil et de partage ainsi que la transmission de savoirs. Son histoire et son architecture lui confèrent une valeur symbolique importante.

Le projet architectural, réalisé par le cabinet Moatti et Rivière, allie la valorisation d’un patrimoine exceptionnel et son inscription dans une expression contemporaine qui invite à la contemplation, à la rêverie et à la convivialité. La Chapelle, parée de ses vitraux XIXe, Le Cloître, coiffé d’une verrière spectaculaire et de son grand lustre, les Salons de créativité et la Cour des expositions sont autant d’espaces qui accueilleront spectacles, conventions et événements.
« Un lieu de vie, c’est un endroit où l’on aime rester et profiter de l’espace pour flâner, lire, étudier, visionner un film, écouter de la musique, faire des recherches…ce n’est pas un lieu dont on a besoin mais un lieu dont on a envie », indique Alain Moatti.

L’histoire des lieux
En 1875, les sœurs Adèle et Joséphine Mérigault initient et financent la construction d’un édifice qui allait remplir plusieurs fonctions :
– un orphelinat ;
– un couvent pour les sœurs, qui investissent le site dès juin 1878 ;
– un dispensaire avec l’hôpital qui deviendra la clinique Saint-Joseph ;
– une école ménagère qui deviendra un lycée professionnel.
Ces missions rythment la vie aux Franciscaines pendant plus de 140 ans, fidèles à la volonté des deux bienfaitrices. En 2011, les religieuses décident de vendre, pour construire à proximité un complexe moderne, plus adapté à leur mode de vie.
Alain Moatti : les 4 points clefs du projet
Réinventer le patrimoine

« Ne pas détruire, c’est le premier acte écologique aujourd’hui. Cette démarche m’intéresse d’autant plus lorsque l’on donne à ce patrimoine une nouvelle identité et de nouveaux usages. Aux Franciscaines, il s’agissait pour nous de préserver à l’identique ce qui était ancien et d’y adjoindre une architecture qui rend possible les usages d’aujourd’hui. Aux Franciscaines, l’hétérogène symbolise le pluralisme de la culture. Il faut augmenter le patrimoine historique. Le projet que l’on construit aujourd’hui sera peut-être celui de demain. Il faut bâtir la mémoire du futur ».
Une mise en commun de la connaissance

« Ce qui est inédit, c’est de ne pas séparer les objets d’une culture, œuvres d’art, livres, musiques, films, mais de les rassembler dans un même espace. Le projet propose une « mise en commun » de la connaissance. Notre architecture radicalise cette idée par le refus d’en séparer chaque composante, pour un mélange des usages et des temporalités au sein d’un même équipement. Je crois beaucoup à cette manière dont on fait s’interpénétrer les savoirs. Notre rôle est de créer des lieux et de leur donner une valeur symbolique afin que chacun se retrouve dans cet imaginaire ».
L’architecture doit être « parcourue »

« Avec votre smartphone ou avec un livre, vous êtes seul et assis. Ici, par l’architecture, c’est par le corps et par le déplacement que le visiteur fabrique son chemin de la connaissance. Je travaille sur ces sujets depuis longtemps. S’il y a bien un rôle de l’architecture, c’est de recréer des liens entre les visiteurs, de les rendre actifs. On vient là pour manipuler des choses qu’on ne trouvera pas sur internet et pour vivre cette mise en commun. Un lieu culturel comme celui-là sert à mélanger les savoirs et les expériences ».
Un lieu convivial pour des expériences multiples

« Il y a des espaces ouverts et des espaces fermés, des lieux plus intimes où l’on peut s’isoler. Pour avoir envie de rester, il faut avoir plein de possibilités différentes et de multiples lumières. Vivre c’est changer de lieux dit Georges Perec. Aujourd’hui, on parle beaucoup des hyper-lieux, qui ont des strates de connaissance et une intensité conviviale. Les Franciscaines sera de ce point de vue un lieu assez unique ».
Le haut portail

Le haut portail des Franciscaines et son écran numérique donnent le ton du projet, avant même de rentrer sur le site. Il affiche la nouvelle vocation des lieux ; un lieu de partage où la pierre du XIXe siècle et les outils numériques se conjuguent au passé, au présent et au futur ; un lieu désormais ouvert à tous.
« Ce bâtiment était autrefois refermé sur lui-même, il fallait donc l’ouvrir sur la ville. C’est pourquoi, nous avons imaginé un haut portail de 15 mètres de haut, comme un élément de signalétique symbolique, qui sans toucher à la façade simplement rénovée, marque l’entrée dans le bâtiment. Il fallait ce signal fort », précise Alain Moatti.
Le cloître
Ré-inventé, le cloître symbolise tout l’esprit de la rénovation des Franciscaines. Une haute verrière contemporaine recouvre désormais l’ancien jardin intérieur. Le cadre historique du cloître subsiste. Ses quatre murs du XIXe siècle, percés d’arcades, soutiennent les trois étages et les chiens-assis du bâtiment. Les briques jaunes et les pierres meulières ont été rénovées et réfléchissent la lumière à travers le prisme d’un lustre monumental.
Sous le grand lustre, un espace spectaculaire se déploie sur 400 m². Lumineux, polyvalent, le cloître aux teintes chaudes amplifiées par un vaste parquet de bambou est aujourd’hui une salle de lecture, un espace de rencontre qui devient foyer de la salle de spectacle de la chapelle. Le cloître peut également se transformer en un espace réceptif équipé d’une sonorisation pour des prises de paroles ou diffusions musicales.
Les ciels normands ont inspiré le lustre à l’architecte. « Ces nuages que l’on voit métamorphoser les paysages, les nuages qui captent le temps et l’énergie des lumières qui impriment des rythmes, des éclats et des perspectives, les incandescences lumineuses, l’irisation des matins et la vibration silencieuse de l’air. Le soir, il remplit sa fonction de lustre et invente un espace contemporain où la lumière artificielle éclate et se multiplie dans les 14 285 tubes qui le constitue. La journée, lorsque le soleil brille à travers la verrière ou qu’il y a des nuages, il filtre tous les états du ciel et en capte toutes les nuances. Il devient la symbolique du lieu, identitaire à Deauville et au projet, éclatant dans cette lumière et magique le soir », dit-il.

La chapelle
Un auditorium de 253 m², accessible par le cloître, a pris place désormais dans l’ancienne chapelle du couvent. Des gradins modulables et rétractables permettent de métamorphoser l’espace. La salle de spectacle peut accueillir jusqu’à 230 spectateurs assis. Une scène mobile et un plancher de 9,50 m x 6 à 8 m constituent l’espace scénique.
Les voûtes et chapiteaux témoignent de la vocation originelle des lieux. Les vitraux, illustrant des épisodes marquants de la vie de Saint-François d’Assise, ont été restaurés et réinstallés. Des baies vitrées encapsulant les vitraux, peuvent laisser entrer la lumière naturelle ou l’occulter. Des triples vitrages, des parements de bois et des panneaux absorbants, assurent une acoustique de grande qualité, tout en offrant un système de sonorisation et de projection de dernière génération.
En mode réception, une fois les gradins repliés, l’espace de 9,50 m de large sur 26 m de long peut accueillir 600 spectateurs debout ou 400 convives pour des cocktails.
La promenade numérique de la grande galerie

Dès ses premiers pas aux Franciscaines, le visiteur est happé par la dimension numérique du projet. Une fois passé le haut portail ; on entre par la grande galerie, on s’imprègne du lieu et de son histoire.
La galerie propose sur toute sa hauteur une promenade numérique pour mettre à jour des images issues des collections, pour révéler et partager le patrimoine. « Notre ambition est que chaque visiteur soit physiquement et émotionnellement un acteur de cette grande galerie », précise Alain Moatti.
A l’aide de huit bornes numériques, les visiteurs explorent les collections connectées et construisent leur parcours personnalisé. Ils deviennent commissaires d’exposition et bâtissent leur musée imaginaire en sélectionnant les éléments qui viendront s’afficher dans les onze écrans de la galerie.
« La ville a des collections formidables sur son identité et son histoire, des films, des cartes postales, des livres, des affiches… Notre défi : donner accès à tout ce fonds. Tout le travail sur le numérique consiste donc à faciliter l’accès à ce corpus de connaissances, à cette énorme base de données et à ce fonds d’images, et surtout à permettre au visiteur d’être surpris par les images qui apparaissent. L’intérêt, ce n’est pas de savoir ce que l’on cherche, mais comment on peut se laisser surprendre par onze grands écrans de 4 m² qui dévoilent des narrations sur Deauville. L’intérêt n’est pas d’insister sur une histoire majeure mais de raconter mille autres histoires parfois plus secrètes », indique Alain Moatti.