Question « esthétique », la mairie de Paris se pose là. De fait, jamais l’usage des palettes et autres éléments de récup’ – pardon de réemploi – n’a depuis la Biennale de Venise en 2018 trouvé plus éclatante démonstration que dans la capitale. Explications.
Dans un entretien accordé au magazine Grand Paris Développement (N° 35, novembre 2020), Emmanuel Grégoire, adjoint à l’urbanisme et l’architecture (entre autres) de la mairie de Paris, annonçait, « en complément du PLU », la création d’un « Manifeste pour une nouvelle esthétique parisienne ». En effet, « qu’est-ce que la beauté de Paris, et comment conjuguer son esthétique en intégrant de nouveaux usages » ? s’interrogeait-il. Drôle de question.
Premier élément de réponse à ce complément de PLU : pour la conjugaison, compter sur « une traduction normative qui pourra aller jusqu’aux couleurs, pour veiller à une harmonie esthétique et chromatique ». Ha l’harmonie… Les normes… Les goûts… Les couleurs… Tout ça… Et qui sera l’apôtre du bon goût ? Un « architecte-designer en chef de la ville de Paris », lequel ou laquelle devra veiller « à la cohérence des choix urbains ». Parce que la cohérence des choix urbains des élus, cela ne va pas de soi ? Ils laissent à désirer ? Et c’est donc d’un designer dont la ville aurait besoin ? Le souriant Philippe Starck peut-être ?
L’entretien est paru en novembre 2020, pendant tout le tralala consacré à ce Manifeste d’envergure – rendez-vous compte, une nouvelle esthétique parisienne ! – mais, à notre connaissance, à ce jour, ce nouveau fonctionnaire arbitre des élégances n’a pas encore été nommé pour diriger ce vaste chantier. Cela dit, pour celui-là, la feuille de route est claire : « Aujourd’hui il faut prendre en charge ce sujet tout en le renouvelant, puisqu’il s’agit de végétaliser, de faire le choix de nouveaux matériaux, etc. », poursuit Emmanuel Grégoire.
Végétaliser ? Comme les fameuses façades végétales aujourd’hui disparues ? Comme ces toits végétalisés qui ne font plus l’actualité ? Comme ces uritrottoirs disparus si vite que nul n’a eu le temps de s’en apercevoir ? Quant aux « nouveaux matériaux », ça va, on a compris.
Le bois donc.*
Pour ce qui concerne ses usages, de fait, nous disposons d’ores et déjà d’éléments concrets traduisant cette évolution notable de l’esthétique parisienne.
La Ville de Paris a autorisé dès le mois de mai 2020 les bars, cafés et restaurants à installer de nouvelles terrasses, voire à s’approprier des places de stationnement. L’autorisation « extension gratuite », d’abord valable jusqu’au 30 septembre 2020 a été ensuite prolongée jusqu’en juin 2021.
Certes, sans lisibilité ne serait-ce qu’à moyen terme, les heureux gagnants du droit au trottoir n’allaient pas investir en masse dans des objets urbains stylés. Et la palette, elle est en bois n’est-ce pas ? Et voilà comment l’esthétique de Paris est devenu celle de la palette, des canisses et des fausses pelouses.
En témoigne, en termes de terrasses, le modèle de référence proposé par la ville de Paris sur son site avec la mention, pour que ce soit bien clair pour tout le monde : Bars et restaurants, une nouvelle charte pour agrandir ou créer sa terrasse.
Chacun est juge de la créativité déployée en la matière par les fonctionnaires de la ville de Paris.
Erreur de communication ? Au contraire.
Les palettes sont désormais partout et leur état de pourrissement plus ou moins avancé à la sortie de l’hiver ne peut cacher le succès phénoménal de cette nouvelle esthétique. À tel point que les palettes, désormais objets de désir, sont devenues si précieuses que d’aucuns les enchaînent ! « Au secours, je me suis fait voler ma palette ».
Cette évolution de l’esthétique parisienne n’est cependant pas le fruit du hasard ou de la pandémie mais d’une réflexion intellectuelle intense pluriannuelle dont l’issue est aujourd’hui d’enfin attirer l’attention des citoyens électeurs sur la nécessité du réemploi du matériau, surtout s’il est en bois.
D’aucuns se souviennent peut-être en effet que dans le cadre de la COP 21, en 2015, pendant trois mois, le Pavillon de l’Arsenal avait installé sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris un ‘Pavillon circulaire’ conçu par Encore Heureux architectes.
« Architecture expérimentale, tous les matériaux sont issus du réemploi : portes en bois récupérées dans un immeuble de logement, anciennes cimaises d’exposition, plaques d’isolant de seconde main, mobilier issu des encombrants, luminaires urbains déclassés, etc. », indiquait le communiqué.**
La mairie de Paris a donc de la suite dans les idées question récup’. Idées confortées sans doute lors de la Biennale de Venise 2018, quand Encore Heureux justement, était lauréat du pavillon France.*** Avant Venise, Julien Choppin et Nicola Delon, fondateurs de l’agence en 2001, défendaient la valeur architecturale des constructions de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.
Pour le coup, comme esthétique du réemploi, Paris, nouvelle zone à défendre – ce qui est tout à fait opportun en ces temps de célébration de la Commune – est devenue la ville de l’esthétique de la récup’, du système D à palettes à deux francs six sous, du bric-à-brac de chiffonnier, de l’urbanisme de bric et de broc. Pour ceux que le mauvais goût fait hésiter encore, se référer à nouveau au modèle dévoilé plus haut en référence.
Il y a fort à parier que lorsque les choses reviendront à peu près à la normale, ces terrasses ne disparaîtront pas toutes, ne serait-ce pour les taverniers, durement touchés par la crise sanitaire, que de conserver leurs couverts supplémentaires. Et ne serait-ce pour Paris que de voir s’épanouir enfin une esthétique en totale cohérence avec les vœux des élus.
S’il n’y avait que les terrasses. Voyons les pistes cyclables qui participent également à cette esthétique du vite fait mal fait qui emporte l’adhésion. Le réemploi des blocs béton force l’admiration ! Et les bouts de jardin, en bout de piste, qui ont été beaux six semaines, il y a quatre ans… Alors lamentables bouts de jardin, canisses pisseuses et pistes cyclables formant un tout, ce doit bien être une sorte de réussite esthétique, les palettes périmées très vite enfin prêtes pour un nouveau réemploi, encore plus crapoteux.
Hélas, chacun sait désormais qu’à Paris, le choix ne se fait pas sur l’esthétique d’un projet mais sur sa valeur environnementale. Sous prétexte d’architecture vertueuse, son esthétique est devenue anecdotique. La preuve par le PLU « bioclimatique » coloré promu par l’adjoint parisien. Il faut en effet « passer d’une nature esthétique à une nature fonctionnaliste », déclare-t-il tout net, cité par Télérama (23/11/2020).
« Certaines réussites doivent nous inspirer, elles ont démontré la faisabilité d’innovations constructives ou encore de mixités qui étaient jugées jusqu’alors irréalistes. Ces innovations, qui faisaient figure d’exception il y a quelques années, doivent maintenant devenir la norme », a-t-il confirmé le mardi 2 mars 2021 en annonçant son « pacte pour la construction parisienne ».
Dont acte. Et les nouvelles terrasses parisiennes bricolées avec des palettes et des bouts de machin ne sont qu’un début, comme on dit avec assurance chez les visionnaires au goût très sûr.
Christophe Leray
*Lire notre article A Paris, il faut arrêter le cirque pseudo écolo de la construction bois !
** Lire notre article Economie circulaire : stop ou encore ?
*** Lire notre article Des Zadistes à Venise !