Vendredi 17 septembre 2021 ont été dévoilé les lauréats des premiers Prix du Bauhaus européen*. L’Espagne est la grande gagnante de cette première phase, la France, qui se classe moins bien que la Roumanie et la Pologne notamment, la grande perdante.
Six mois après son lancement, ce programme européen « a pour ambition de faire du pacte vert une expérience culturelle positive et concrète, axée sur l’humain ». La première étape de ce nouveau Bauhaus a été de fédérer les concepteurs et conceptrices autour d’un prix récompensant des projets réalisés et des projets en gestation
Les prix étaient remis dans 10 catégories : « Technique, matériaux et procédés de construction et conception », « Construire dans une perspective de circularité », « solutions pour l’évolution conjointe de l’environnement du bâti et de la nature », « régénération des espaces urbains et ruraux », « produits et mode de vie », « préservation et transformation du patrimoine culturel », « réinvention des lieux de rencontre et de partage », « mobilisation de la culture, des arts et des communautés », « solution de vie modulaire, adaptables et mobiles » et « modèles éducatifs interdisciplinaires ». Des catégories très ouvertes qui devaient répondre à trois principes :
– la durabilité (incluant la circularité) ;
– l’esthétique ;
– l’inclusion (comprenant l’accessibilité et le coût abordable).
Le processus était relativement simple, les candidatures déposées en ligne. Après un comité de sélection permettant de vérifier que les critères de chaque catégorie étaient remplis, un vote en ligne ouvert a permis de sélectionner les 60 finalistes parmi 2 000 candidatures. Puis les partenaires du nouveau Bauhaus ont élu les gagnants et gagnantes.
Au regard des prix remis ce vendredi, deux conclusions s’imposent : l’Espagne domine et est finaliste dans presque toutes les catégories et la France, qui n’obtient aucun prix, n’est finaliste qu’une fois, dans une seule catégorie. Comment l’un des pays fondateurs de l’Union Européenne peut à ce point être absent d’un concours européen doté de 30 ou 15 000€ en plus de l’accompagnement médiatique proposé par l’Union Européenne ? Et comment de l’autre, l’Espagne peut être à ce point surreprésentée parmi les 27 pays appelés à candidater ?
L’un ne croit plus à l’Europe et l’autre y croit encore semble-t-il. Une raison simple et basique ou alors juste le reflet de l’incapacité de nos institutions à relayer les programmes européens ?
En effet, lors de la phase d’amorce du nouveau Bauhaus Européen, l’Europe a lancé un appel à partenariat – ouvert d’ailleurs tout le long du programme – visant à rassembler les professionnels, toutes disciplines confondues, afin de porter les initiatives recensées et ouvrir le dialogue avec les citoyens autour de leur attente de transformation « qualitative des espaces de vie et des modes de vie qui y sont associés ».
Dans la liste des partenaires, compter les écoles d’architecture de Barcelone, de Séville, des universités italiennes, allemandes, suédoises, etc. En France, exception faite de l’École supérieure d’art et de design de Saint-Etienne, aucune école d’architecture ne s’est portée partenaire. Le système éducatif n’a-t-il ni le temps, ni l’envie de promouvoir leurs travaux de recherche ? Ni de participer à un mouvement européen de réflexion, de création autour de principes durable, inclusif ?
Pour les autres institutions françaises présentes : l’Union sociale pour l’habitat, Lille Design et la 27e région. Rien du côté des institutions ou syndicats des architectes. Le désintérêt pour l’Europe est patent de la part des organisations professionnelles elles-mêmes. La profession est-elle trop malade pour s’impliquer dans ce programme ? Pourtant ce n’est pas faute d’entendre les architectes dire qu’ils sont frugaux, durables, écologiquement responsables, etc. Ils pourraient tenter de s’appuyer sur l’Union Européenne pour promouvoir leur travail, mais non, rien.
En revanche, l’Espagne y croit et ses institutions les plus représentatives sont de l’aventure. Le pays a toujours eu un besoin de l’Europe. Son adhésion à l’Union Européenne a permis à la démocratie fragile de se fortifier. L’Europe représente toujours pour l’Espagne un moteur et un outil de promotion de ses projets.
Cela se confirme à la découverte des projets primés. Toutes catégories confondues, pour les projets réalisés, l’Espagne est finaliste dans huit catégories sur dix (exception faite de la 1ere « technique, matériaux et procédés de construction et conception », et de la 5eme « produit et mode de vie ») et, dans chaque catégorie, elle dispose souvent de deux projets finalistes**, soit un total de 13 projets (sur 30 nominés pour les projets réalisés).
Certes, dans cette sélection, il peut sembler absurde qu’un projet de toit végétalisé à Barcelone soit présent dans quatre catégories avant de gagner le prix de la « réinvention des lieux de rencontre et de partage ». Mais il s’agit là d’une anomalie.
Parmi les lauréats, le projet de jardins partagés à San Sébastian promeut une inclusivité forte, où les habitants se sont mobilisés pour faire renoncer la ville à un projet d’urbanisation de luxe et ont fait éclore un projet citoyen qui part delà le voisinage, fédère et s’ouvre sur les autres, avec par exemple des liens avec des structures accueillants des personnes en situation de handicap. Loin par exemple du projet de jardins partagés de Stains, présenté par l’office HLM, qui certes fait une belle part à la participation des habitants mais manque le coche sur l’ouverture hors du quartier. Ou pire encore, la candidature de Nice pour la restauration de la promenade des Anglais sous l’angle sécuritaire. Rien de mieux à proposer ?
Parmi les autres projets primés « gardens in the air » à Séville où une association de jeunes du quartier a créé et installé des jardinières suspendues alimentées par l’eau résiduelle des climatiseurs de ce quartier défavorisé où les 45 degrés sont fréquents en été. L’association a inventé un parfum à partir des aromates que les jeunes ont fait pousser pour financer le développement de leur projet et écrit une œuvre musicale avec les habitants et des professionnels. Citons encore la « fabrika de toda la vida » en Estrémadure est un espace culturel et écologique, où depuis dix ans, 3 000 bénévoles ont œuvré à la restauration et la gestion de l’ancienne usine transformé en un lieu ouvert.
De ces projets espagnols primés, ce qui saute aux yeux est le fait qu’ils sont dans l’air du temps, avec une implantation locale très forte mais duplicable « facilement ». De fait, nombre de projets, que l’on nomme « tiers-lieux » en France, auraient pu concourir. Mais non, des projets présentés pour la France – une tour bas carbone de XTU à Strasbourg aux mains d’un promoteur, une serre urbaine, des projets de restructuration de logements des offices HLM (le partenariat de l’UHS leur a servi à présenter une belle brochette de programmes) – aucun n’est lauréat.
Le seul projet français parvenu en finale (dans la catégorie 1 : « Technique, matériaux et procédés de construction et conception ») est celui de l’agence de Franck Boutté qui présente la création d’un algorithme permettant de comprendre les impacts environnementaux du bâti et de mieux appréhender les sites afin de poser un diagnostic précis. Cette nomination est méritée pour une agence déjà bien connue pour son travail sur l’environnement et son haut degré d’ingénierie.
De ce premier pas de l’Union Européenne pour appréhender une nouvelle culture adaptée aux défis climatiques, de résilience, etc., il est criant de constater l’absence des grandes puissances, l’Allemagne obtient un prix mais rien pour les Pays Bas, la Belgique, la Norvège. En revanche, l’Espagne, l’Italie, la Pologne, le Portugal démontrent bien plus d’ingéniosité et peut-être un héritage culturel et politique qui leur permettent d’être à la hauteur des défis à venir.
Julie Arnault
* https://prizes.new-european-bauhaus.eu/ ** https://prizes.new-european-bauhaus.eu/finalists