Aujourd’hui des rapports sur le logement, il y en a à foison, comme si ça ne coûtait rien en jus de crâne de haut-fonctionnaire… En témoigne un dernier en date, celui remis en septembre 2021 à la ministre du Logement Emmanuelle Wargon par François Leclercq, architecte, et Laurent Girometti, aujourd’hui directeur général de l’EPA Marne et personnalité sûrement qualifiée.
Ce nouveau rapport explique en 90 pages ce que le rapport Lemas, remis en janvier 2021 à Wargon Emmanuelle, expliquait en 30 pages d’une grande clarté. Les ministres de Macron, il faut toujours les sonner deux fois ? Un nouveau rapport sans doute nécessaire donc et il faut imaginer que la ministre est tombée de sa chaise en découvrant celui-là. Quoi ? Comment ? Des appartements de plus en plus petits ? Quelle triste nouvelle Jésus Marie Joseph ! Comme elle devait être contente de l’apprendre la ministre pour prendre immédiatement les mesures nécessaires …
Elle devrait pourtant se méfier la ministre en campagne pour le chef, le diable se cache dans les détails des rapports même les plus bienveillants. Ainsi les auteurs expliquent-ils en préambule que, Covid oblige, les urbains seraient en train de quitter la ville en masse en raison d’un cumul des peurs bien compréhensible : « bien sûr le logement n’est pas le seul responsable de ces départs possibles, les prix, la nature, la pollution, les îlots de chaleur, la promiscuité, sont des sujets de difficulté, qui mobilisent, avec raison, les villes aujourd’hui ». Si on fait le compte de la litanie des sujets de difficulté, c’est en effet mal parti.
Noter cependant que « les prix » sont mis au même plan que la nature et les îlots de chaleur et la nature et blablabla. En réalité, « le prix » est la clé d’un logement agréable. Si avec mon salaire de petit cadre moyen – ou d’ouvrier spécialisé tiens ! – je peux vivre dans un appartement traversant de 150 m² à Paris intramuros avec une belle exposition, je vais m’accommoder des défauts du logement et des îlots de chaleur et j’accepterai sans déplaisir de marcher dix minutes jusqu’au prochain parc pour me rafraîchir et nourrir les pigeons.
Mais si pour la même somme, je ne peux vivre que dans un 3-pièces mono orienté de 55 m² loin des fastes de la ville avec pour seule distraction les pigeons qui chient sur mon mini-balcon, alors l’îlot de chaleur devient vite insupportable. La solution au désagrément de l’îlot de chaleur est là : de grands appartements avec de belles hauteurs sous plafond et beaucoup d’air ! Il faut être architecte pour faire une telle découverte.
Idem si j’habite une toute petite maison de pêcheur au bord de la mer ou un appartement certes petit mais idéalement placé en ville près des transports forcément doux, des écoles et des services ; qu’est-ce que le confort quand on a vingt ans, quarante ou soixante ans ? Souvenez-vous, Charles Aznavour avait des lilas sous ses fenêtres mais il ne mangeait qu’un jour sur deux.
Alors oui, comme le concèdent les auteurs, « les logements en accession à la propriété répondent à des « lois du marché » essentiellement dépendantes des capacités financières des acquéreurs ». Hé oui, le problème du logement est aussi et surtout un problème de pouvoir d’achat des Français lié à la rentabilité des promoteurs, le logement devenu une dépense d’une telle contrainte qu’elle obère les autres priorités : la santé, l’éducation, la nourriture, des choses comme ça. Cela, pour le président, c’est un sacré vrai problème. Chacun comprend donc bien l’urgence pour la ministre de multiplier les rapports pour donner l’impression de faire quelque chose à quelques mois de l’élection présidentielle.
Qu’elle se rassure tant il demeure que le logement sera forcément plus rare et cher là où veulent habiter les gens. Si c’est pour avoir un immense logement bien orienté avec chauffage au feu de bois, il suffit d’aller là où personne n’a envie d’habiter et manger des carottes un jour sur deux en respirant les lilas.
D’ailleurs la problématique du logement n’est pas logée à meilleure ou pire enseigne que les autres sujets d’urgence qui suscitent l’intérêt des candidats : allez un autre beau discours sur le logement avant un discours pour caresser les chasseurs dans le sens de la ligne de mire, et puis un autre beau discours pour la préservation de la biodiversité et puis un autre discours bienveillant pour les vieux, et une petite prime pour tout le monde, etc. C’est ce qu’on appelle un programme de candidat : le logement entre 17h30 et 19h, pour la ménagère de moins de 50 ans, y compris le question-réponse participatif – 500€ à gagner pour la première à signer la PrimeRenov –, une émission coincée entre le bien-être des animaux à 15h – 30 millions d’amis – et à 19h la séquence sécurité avec des policiers sapés comme roboCop. Et ainsi jusqu’au bout de la nuit : à chaque segment de la population son programme, ses subventions, son aumône et son rapport opportun. Le logement comme un gimmick parmi d’autres, avec ici un architecte et un haut-fonctionnaire au rapport plaisant !
Il est vrai que la ministre n’est pas aidée. Les auteurs du rapport doivent bien témoigner quand même, un autre détail, que « les chiffres actuels de la construction témoignent d’un certain ralentissement de la production du logement », ce qui n’est pas bon signe mais ce n’est pas la faute de ce gouvernement depuis quatre ans car ce ralentissement est « renforcé récemment par un malthusianisme municipal réticent à une densification rarement souhaitée par les habitants déjà en place ». Bref, c’est la faute des habitants.
De fait, pour les questions de densité, le pays peut toujours remercier les écolos français qui ont inventé le concept « d’hyper-densité », un concept suffisamment flou qui leur permet d’expliquer tout ce qui ne va pas dans le monde et qu’avec eux ça irait mieux. Au fait, à quelle densité la densité devient-elle « hyper dense » ? A l’échelle de mon appartement ? De mon immeuble ? De ma rue ? De mon quartier ? De ma ville ? De mon agglo ? De ma région ?
Le fait est que la densité permet la viabilité des commerces, des équipements et des services et qu’un kilomètre de piste cyclable immaculée – parce que les écolos cyclistes ont besoin de rues parfaitement pavées d’un revêtement parfaitement pétrolier sinon ça roule mal –, bref un kilomètre de goudron donc coûte moins cher quand il y a 1 000 riverains pour le payer et l’utiliser que s’il n’y a que six familles installées dans de grandes fermes réparties sur de vastes terrains agricoles. La raison sans doute pour laquelle nos écolos français prospèrent en ville et non à la campagne où ils se font beaucoup plus rares.
Toujours est-il que l’occasion était trop belle pour nombre d’élus de s’opposer à la construction de logements, surtout sociaux : « rendez-vous compte, dans ma commune pleine de lotissements, l’« hyper densité » ce n’est pas bien du tout, même les écolos l’affirment ! ». Et le bon peuple de frémir désormais à la notion « d’hyper densité ». Misère !
Heureusement, dans ce contexte où les solutions sont apparemment rares, le rapport se veut rassurant. « Les chartes de qualité proposées par certaines municipalités ou intercommunalités démontrent cette possibilité [de faire mieux] par des cahiers de prescriptions garants d’une négociation productive avec les promoteurs », expliquent les auteurs, insistant d’ailleurs sur le fait que « le retour d’expérience démontre que de tels outils ne constituent pas toujours un frein au secteur de la construction ». Ditto.
Pas toujours ? C’est donc que, quand même, ces chartes de qualité constitueraient un frein, souvent même ? Voilà qui serait une surprise ! Parce que vraiment, le maire de la commune, quand il discute avec un promoteur, ce n’est pas une charte quelconque qui les empêche de faire affaires… En revanche, cela sonne toujours bien pour les éléments de communication du maire et du promoteur, alors va pour la charte qui impose une pensée aimable pour les abeilles. Bref, les chartes « de qualité », c’est comme les COP 21, 22, 23, 24, 25, 26, tant que ce n’est pas contraignant, ça ne mange pas de pain et après nous le déluge. Et puis les chartes, en voilà une idée nouvelle. C’est Emmanuelle Wargon qui doit être impressionnée…
Quand il s’agit de logement, peut-être faut-il commencer par oublier l’idée très corbuséenne au fond de faire des résidences pour les étudiants, des résidences pour les séniors, des résidences pour les handicapés, des résidences pour cadres moyens, des résidences pour cadres supérieurs, des résidences pour nababs, toutes bien séparées et chacune dans son contexte socialement acceptable. Des résidences genrées d’ailleurs se font jour, faire cohabiter les hommes et les femmes devenant une équation de plus en plus difficile à résoudre apparemment. Même s’il y a désormais des tentatives de faire cohabiter jeunes et vieux, ces expériences restent rares, les vieux n’aiment pas le bruit après 18h tandis que « qui n’est pas jeune ne saute pas, hey ! » Comment faire cohabiter tout ce monde-là, les riches et les pauvres tous ensemble à des prix corrects ?
Une des réponses ne se trouve pas dans ce énième rapport. Il suffirait peut-être pour ce faire de supprimer l’ascenseur jusqu’au 6ème étage. Ce dernier étage sera donc par nature réservé aux jeunes, et forcément à des prix acceptables pour eux car eux seuls pourront se cogner les escaliers tous les jours. Et ils pourront faire le boucan qu’ils veulent sur le toit, cela n’empêchera pas les familles bourgeoises des 1er et 2nd étages de dormir. Il suffira ensuite à chacun de descendre dans l’immeuble au fil de la vie, un étage par nouvel enfant, pour finir à la retraite au rez-de-chaussée, avec le salon ouvert sur le cœur d’ilot végétalisé. En plus, les escaliers, foin d’obésité, c’est la garantie d’une société en bonne santé ! Il est évidemment plus facile de recommander de ne pas grignoter entre les repas (c’est dans le rapport).
Plutôt que l’appartement, c’est tout l’immeuble qui serait ainsi flexible et adapté à l’évolution des modes de vie de ses occupants. Une solution trop radicale sans doute.
De fait, il est beaucoup question de conception architecturale dans ce rapport, jusque dans les plans du logement traversant, moins de politique. Se souvenir pourtant qu’à partir des années ‘50, l’accession à la propriété pour la classe moyenne est largement encouragée par l’Etat. Il est question alors d’une politique globale, parfaitement organisée – la classe moyenne en maisons individuelles et les pauvres en immeubles collectifs – qui, 70 ans plus tard a donné les résultats que l’on sait.
Pour le coup, constater qu’en 70 ans, nous sommes passés des ZUP aux ZAC ! « Gigantisme, isolement par rapport aux centres urbains, mauvaises dessertes, déficits d’équipements publics et sociaux, etc. », explique le rapport. Parlant des ZUP ou des ZAC ? D’après vous ? Quelqu’un d’ailleurs connaît-il le meilleur rapport qualité/prix en termes de qualité de vie entre l’une et l’autre ? Bonjour l’évolution quand même, quand on y pense !
Si vraiment il est question de fabriquer du logement de meilleure qualité, l’une des avenues de bon sens serait d’urgence de faire disparaître la conception-réalisation et de remettre les architectes au centre du jeu : plutôt que les entreprises, qu’ils soient les mandataires des projets, comme c’était le cas il n’y a pas encore si longtemps. Cela implique cependant de remettre en cause la Loi ELAN dont les fondements mêmes sont basés sur des assertions – plus vite, mieux, moins cher – non vérifiées qui ne servent que quelques lobbies au détriment de l’intérêt général, ce dont ce dernier rapport d’ailleurs témoigne encore.
Tiens, cette loi ELAN pas plus que la conception-réalisation ne sont jamais citées au fil des 90 pages du rapport. Qu’en pense-t-il pourtant de cette loi Laurent Girometti qui, « directeur de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages au sein des ministères en charge du logement, de l’urbanisme, de la construction et de l’environnement » de 2014 à 2018, en fut l’ardent promoteur, sinon l’auteur ? Depuis la loi ELAN, il ne s’est jamais construit aussi peu de logements et rien ne va plus*, ce qui une fois de plus en dit long sur le management de la start up nation. Une réussite ! Et c’est au même que l’on demande un rapport sur la qualité des logements ? Un expert ! Il n’allait pas, par modestie sans doute, se déjuger quand même.
Christophe Leray
*Lire notre article Le logement, un sujet trop sérieux pour être laissé à Macron ?