Des promoteurs ne cachent pas leur double-vie de collectionneurs d’art. Pourtant, dès qu’il s’agit d’architecture, point de mécénat à l’horizon ! Dans la ‘family business’, la Culture aurait-elle deux vitesses ?
Du 20 au 24 octobre, dans le tout récent Grand Palais Ephémère et dans les rues de Paris, s’est déroulée la FIAC, pour foire internationale d’art contemporain. Ce premier opus post-covid regroupait les trouvailles de 160 galeries venues de pas moins de 25 pays (Turquie, Iran ou encore Brésil inclus). Un cru de bel augure autour duquel se sont croisés directeurs d’institutions et musées prestigieux, galeristes, agents et collectionneurs de tous moyens.
En marge de l’évènement, Jennifer Flay, directrice de la FIAC* expliquait que l’art contemporain avait un peu perdu de son esprit critique au profit de son internationalisation. Ironie du sort, c’est sous la sobre charpente en bois tout à fait dans l’air du temps du Grand Palais Ephémère de l’architecte très international Jean-Michel Wilmotte que se tenaient les tractations. De ce point de vue, il va sans dire que l’architecture, comme l’art contemporain, si elle a eu un jour un relatif ‘soft power’, est aujourd’hui à peu près la même, de New-York à Singapour, d’Oslo à Abu Dhabi. Pour qui en douterait, l’architecture est toujours un art.
Les collectionneurs étaient tous bien au rendez-vous, parmi lesquels François Pinault et Bernard Arnault, bien sûr, il faut bien meubler les Fondations. Ils étaient suivis de près par Philippe Journo, président de la Compagnie de Phalsbourg, ou encore de Laurent Dumas, patron d’Emerige, aussi reconnus pour leur goût très assuré pour l’art contemporain. Ce n’est pas pour rien que leurs deux entreprises œuvrent à des fondations l’une pour l’art contemporain, l’autre en faveur de la philanthropie.
Les fondations d’art contemporain structurent les valeurs des artistes et impactent aussi, selon la directrice de la Fiac, les artistes locaux. Si la foire est internationale, les grands collectionneurs français ont la réputation d’encourager en partie les artistes français, « ce qui est nouveau puisque cela permet aux artistes de mieux se positionner sur le marché », disait-elle.
Les fondations d’art contribuent ainsi à la vitalité de la création contemporaine. Les mécènes apportent du soutien et entretiennent des liens privilégiés avec les institutions pour pousser vers le haut les artistes et la qualité des œuvres. Quitte à favoriser aussi une certaine uniformisation. Ne voyons-nous d’ailleurs pas toujours les mêmes artistes dans toutes les fondations ? Chez ces gens-là, on se refile ses mignons !
Les collectionneurs font et défont les cotes des artistes. Comme ils jouent avec celles des architectes ? Sur de prestigieux concours d’architecture, quand Emerige ou la Compagnie de Phalsbourg favorisent Sou Foujimoto, David Chipperfield ou Daniel Liebeskind, ne contribuent-ils pas à faire monter « la cote » de ces architectes internationaux dévoués pour fabriquer une architecture uniformisée, au détriment d’architectes ‘locaux’ ou moins connus ? Collectionneraient-ils alors l’architecture comme les Baselitz ou les Othoniel ?
En art contemporain, il est admis qu’un artiste à la nationalité du lieu où il vit et travaille. Et pour un architecte ? Un architecte, par exemple japonais mais qui aurait une agence à Paris, serait-il alors français ? Ou un architecte français ayant un bureau en Russie pourrait-il être considéré comme étant Russe ?
Néanmoins, le mécène s’il échange avec ses artistes, ne les bride pas comme le font les promoteurs avec des architectes. En ce moment à lieu à Dubaï l’Exposition Universelle. Avec les années, ces foires servent davantage aux Etats à montrer l’avancée de leur technologie ou leur puissance que servir l’intérêt général mais elles sont toujours une foire d’architecture dont le mécène reste… la puissance publique.
Les fondations sont devenues des marques comme Guggenheim, Pinault ou LVMH. IL en va de même pour l’art contemporain que pour l’architecture. La culture est devenue un outil de marchandisation, de marketing territorial sur lequel des pays ou villes s’appuient pour attirer des touristes, Paris bien sûr, Arles** plus récemment. L’architecture devient un autre objet clinquant à exhiber.
Peut-être qu’une des différences essentielles entre architecture et art contemporain est le temps. Quand le promoteur collectionne des œuvres, la spéculation, jamais lointaine peut attendre un grand nombre d’années. Pas quand il s’agit de bâtir. La spéculation va plus vite mais moins loin. Dans les deux cas, l’instrumentalisation à des fins pécuniaires est certaine. D’ailleurs, en 2020 avec la crise Covid les craintes étaient les mêmes tant pour les collectionneurs que pour les promoteurs : voir s’effondrer subitement les bulles spéculatives de leur marché respectif.
Alice Delaleu
* L’invité des Matins de France Culture du 22.10.21 « Art et culture : entre internationalisation et uniformisation Avec Bruno Nassim Aboudrar et Jennifer Flay “
**Lire notre article Gehry plein phare à Arles, tout le monde n’est pas ébloui