Pour l’architecte, l’enjeu est la culture. Pour Momo, de Allo Saveurs, l’enjeu est la qualité de vie dans le quartier. Pour le maître d’ouvrage, les enjeux sont sans doute multiples. Visite de la nouvelle Cité des arts de Montpellier (Hérault).
Nombreux sont les architectes à se plaindre que l’architecture soit devenue une addition de normes quantitatives et mesurables, que la beauté par exemple ait disparu du discours. Mais qu’est-ce qu’un beau bâtiment ?
Marcel, dit Momo*, jeune entrepreneur affairé, tient sandwicherie : Allo Saveurs, du falafel libanais jusqu’au sandwich Cévenol, avec des portions de frites généreuses. Sa petite boutique, un peu à l’écart dans une petite rue peu passante, est cependant située presque devant l’entrée de la nouvelle Cité des arts, livrée en 2021 par Architecture Studio avec l’agence montpelliéraine MDR. Selon Momo, dont les trois tables de la minuscule terrasse ont vue directe sur l’ouvrage, ce bâtiment est « beau » sans aucun doute. Un cri du cœur à prendre au sérieux pour un type qui vend une bière locale intitulée Fuck Covid. Un sentiment – la beauté du bâtiment – d’ailleurs partagé par les habitants du quartier nous dit-il.
Mais que lui trouve-t-il de beau à ce bâtiment Momo ? Le pavillon de l’ancienne maternité Grasset – édifice académique du début du XXe siècle avec ses modénatures – conservé selon les recommandations de l’Architecte des Bâtiments de France (ABF) et parfaitement remis à neuf ? Ou est-ce l’architecture abstraite de la façade de métal et de verre rythmée par de grands brise-soleil verticaux sérigraphiés faisant référence à une vibration symphonique et dont les couleurs évoquent celles des platanes environnants ? Ce ne sont pas le dessin et l’aménagement intérieur de la Cité que Momo peut trouver « beaux » puisqu’il n’y est jamais entré.
Ce n’est même pas comme si l’arrivée des 2 200 élèves de ce conservatoire lui apportait un surplus de business qui le rendait bienveillant. Non, les apprentis musiciens, danseurs et comédiens, il ne les voit guère de près, ils arrivent en tramway, à vélo ou à trottinette et repartent aussi vite après les cours. Et les parents qui les attendent ne viennent pas dans sa sandwicherie pour tailler le bout de gras. Il n’empêche, pour lui, ce bâtiment est « beau » et pour une bonne raison : il a à lui seul changé le quartier.
« Le pavillon était une ruine, à l’abandon. Il avait même été un commissariat avant de devenir un squat », explique Alain Bretagnolle, associé d’Architecture Studio, lors de la visite de Chroniques un jeudi de fin d’hiver. Sous un ciel gris, sans le soleil qui rend la misère moins pénible pour citer Aznavour, de comprendre que le temps qu’il fallut pour la ville et le propriétaire de s’entendre enfin sur un projet et de régler les difficultés administratives afférentes – compter en années – pendant ce temps-là donc, le bâtiment se détériorait, bientôt devenu un chancre qui, du fait de sa dimension, pourrissait debout tout le quartier.
Dit autrement, si une autre équipe qu’Architecture Studio avait gagné le concours, Momo l’aurait trouvé « belle » quand même l’autre Cité des arts. Ce qui sans doute a le mérite de relativiser l’ambition des architectes. D’ailleurs, si c’était autre chose qu’un conservatoire qui avait été construit là, une piscine par exemple, Momo l’aurait trouvé « belle » aussi sûrement.
Encore que, comme le fait remarquer Alain Bretagnolle, « la globalisation est devenue la dérégulation, la culture est donc un enjeu crucial pour l’avenir ». Il a sans doute raison. D’ailleurs, si c’était une prison, autre équipement public, il serait peut-être moins enthousiaste Momo mais en l’occurrence, tout plutôt que la désolation d’un bâtiment décati qui prend toute la place dans le quartier.
Durant la visite de ce « beau » bâtiment donc, il n’en est alors que plus aisé de lui trouver des qualités. La Cité des Arts regroupe un auditorium de 400 places, sept studios de danse, un studio de théâtre, deux plateaux d’orchestre, deux salles d’audition, deux salles de musique de chambre, deux salles de pratiques collectives, une salle de pratique collective de musique ancienne, deux salles de pratique pour les percussions. C’est un projet.
« Afin de répondre au contexte morphologique du quartier, la construction est fragmentée en différents volumes pour mieux insérer ce grand équipement de 10 000m² dans un tissu urbain très résidentiel », explique Alain Bretagnolle.
De ce fait, l’assemblage des volumes crée des vides, des patios, des terrasses et des jardins suspendus. Il y a des espaces extérieurs répartis à tous les étages, des circulations éclairées naturellement avec toujours des vues et des relations entre dedans et dehors, et un accès indépendant à l’auditorium par le grand hall ou à la salle des musiques actuelles par le petit parvis.
Toutes les salles sont différentes, pour des questions de fréquences des instruments mais aussi parce que c’est un choix d’architecte d’offrir des ambiances différenciées, le monochrome gris permettant selon l’homme de l’art de jouer avec la lumière. Le grand hall d’entrée est signé Architecture Studio sans doute…
« Nous avons créé un village musical et méditerranéen, un village vertical végétalisé, les volumes décalés créant des jardins pour un bâtiment passivement bioclimatique », soutient Alain Bretagnolle. Si l’ouvrage présente un front urbain, l’arrière du bâtiment est un lieu organique, avec des jardins, un square, les boîtes dans (et sur) les boîtes dessinant un mini ‘skyline’ ouvert sur un quartier pavillonnaire traditionnel. « Devant, le front de scène abstrait ouvert sur la ville, derrière, il y a l’affect », sourit l’architecte.
Un village, avec sa grand-rue, pourquoi pas puisqu’il nous a été donné de découvrir le lieu en fonctionnement, post Covid. Des enfants à tous les étages qui se déplacent comme s’ils étaient chez eux, des musiciens, des profs et étudiants ravis de s’interrompre pour présenter aux impromptus visiteurs leurs salles de travail, une professeure de danse qui se réjouit « d’aller danser dans le jardin, de danser dans la ville ». « Dans ce lieu, nous pouvons faire des choses avec nos collègues, il y a une vraie mutualisation qui fait naître de nouveaux projets », dit-elle.
Le 31 mars 2022, Michaël Delafosse, président de la métropole et maire de la ville a lancé la candidature de Montpellier « Capitale Européenne de la Culture 2028 ». La Cité des arts, ce « beau » bâtiment, figurera sans doute en bonne place dans le programme.
Avec un regret cependant, souligné par Alain Bretagnolle. « Il y avait un enjeu urbain, un quartier résidentiel avec très peu d’espace public ; en rendant piétonne la contre-allée, cela a permis de créer un square devant l’ouvrage. De chaque côté du pavillon, deux parvis créent ainsi deux temporalités », dit-il.
Pour convaincre le maître d’ouvrage, il a usé de l’argument de la sécurité : « Quoi, vous voulez 2 000 élèves et leurs parents coincés sur un petit trottoir entre le tramway, une voie de circulation et la façade du bâtiment ? ». Imparable ! Tout l’espace devant le Centre des arts a été aménagé et rendu aux piétons, un revêtement minéral en pierre, accompagné d’une fontaine, signant l’unité de l’ensemble.
Au fil du temps passé sur site, l’architecte avait cependant noté « la pauvreté d’accueil du quartier ». Ce n’est rien de le dire ! Voilà d’ailleurs comment, pour se rafraîchir, l’équipe de Chroniques s’est retrouvée chez Momo…
« La Cité des arts est un outil fabuleux. Pour la rentabilisation financière de l’équipement et pour plus de services offerts aux Montpelliérains, nous avions proposé une petite extension sur le grand parvis, gérée par une ingénierie culturelle coordonnée avec l’équipe du conservatoire, avec un magasin de musique, un restaurant, un service de billetterie, etc. », indique l’homme de l’art. Proposition soutenue par la Cité des arts mais refusée par la Métropole.
Il n’empêche, avec sa seule présence, pour un investissement de 24M€ (ce qui ne semble pas un « pognon de dingue » considérant les aménagements soignés), le bâtiment a changé la dynamique de tout le quartier et ce n’est sans doute désormais qu’une question de temps que s’enrichisse l’accueil autour de la Cité des arts.
L’occasion pour Momo de monter en gamme ?
Christophe Leray
*Le véritable prénom a été perdu dans la commotion mais de mémoire il s’agissait bien de l’accueil chaleureux d’un Momo.