L’architecture est au cœur de la société, et donc de la politique. En témoigne encore la façon dont une simple question en la matière – augmenter la capacité d’un stade vieux de 50 ans – est devenu à Paris et en France une quasi affaire d’État !
Le stade : il s’agit évidemment du Parc des Princes, propriété de la Ville de Paris dont QSI (Qatar Sports Investments) a l’usufruit, en quelque sorte, pendant trente ans, depuis le rachat en 2011 du club de football du Paris Saint-Germain (PSG). Un stade pour lequel QSI a depuis (bail daté de 2014) déjà allongé entre 75 et 85 M€ pour une première mise aux normes en vue de l’Euro 2016, une compétition internationale prestigieuse. Mais bon, QSI avait acheté le PSG une bouchée de pain (70 M€), équipe qu’il valorise plusieurs milliards à peine dix ans plus tard.
Pour qui se pique d’architecture, assister à un match de football au Parc des Princes est une expérience impressionnante. Ouvrage (re)construit par Roger Taillibert en 1972, c’est sans aucun doute l’un des meilleurs stades de foot au monde ; il n’y a pas une mauvaise place, l’acoustique est extraordinaire, toutes les vues dégagées – c’est l’ancien journaliste sportif qui l’assure – et le porte-à-faux de 46 mètres, fleuron de la préfabrication lourde en béton armé, souligne la maîtrise technique exceptionnelle de l’architecte qui n’avait alors jamais entendu parler d’ordinateur ou de BIM. Oh, et c’est l’entreprise Francis Bouygues, alors naissante, qui a réalisé cette extraordinaire prouesse de génie civil.
De fait l’ancien journaliste sportif se souvient du stade le plus impressionnant qu’il ait pratiqué, celui des Pacers d’Indianapolis, Indiana, en NBA, la ligue de basket américaine. Les pentes de la Market Square Arena – livrée en 1974 d’après l’intuition de deux étudiants en architecture, Joseph Mynhier and Terry Pastorino – étaient si raides, les gradins si denses et remplissant l’espace jusqu’aux gouttières que les adversaires, au fond du chaudron décaissé, avaient l’impression que des spectateurs hurlants allaient leur tomber dessus depuis les combles. Les Pacers sont devenus quasiment imbattables chez eux. Le stade fut finalement démoli en 2001, en douze secondes, et remplacé, quasiment au même endroit, par une autre ‘arena’ accessible et confortable, au nom d’une banque, mais dans laquelle les Pacers perdent aujourd’hui beaucoup plus souvent, beaucoup trop souvent disent d’ailleurs les nostalgiques. Pour un stade, la démolition-reconstruction est ce qui se fait communément un peu partout dans le monde.
Il n’est évidemment pas question de démolir à nouveau le Parc des Princes. Encore que, la démolition reconstruction fasse déjà partie de son histoire…
D’où la question d’architecture qui turlupine les pouvoirs en place : comment agrandir et mettre à niveaux les prestations attendues du stade de l’une des équipes les plus cotées au monde sans que ce monument y perde son âme ?
De fait, d’une capacité de 50 000 places, l’actuel Parc des Princes rappelle que, à l’époque de Roger Taillibert, les spectateurs étaient tous peu ou prou logés à la même enseigne, avec le même siège étroit dans les courants d’air, jusqu’en haut des virages pentus inaccessibles au PMR. Même Nicolas Sarkozy, ancien président français et grand fan du PSG, a intérêt à prendre une écharpe et un manteau pour un « classico » en janvier.
Aujourd’hui, dans n’importe quel stade moderne de standing, il y a l’ascenseur pour les PMR et tout ce qu’il faut en termes d’accueil confortable, motif à installer des loges d’où regarder les matchs au chaud entre gens bien mis en buvant du champagne et en devisant des affaires.
Le problème est donc, pour simplifier, que les princes de QSI, avant d’investir 500 M€ dans une restructuration audacieuse du Parc, ne seraient pas malheureux d’être propriétaires de l’ouvrage ; trente ans sont vite passés, dont dix sont déjà de l’histoire ancienne. Ce d’autant plus que la majorité des propriétaires d’équipes d’un standing équivalent à celui du PSG sont généralement également propriétaires de leurs stades. Nasser Al-Khelaifi, président du PSG et président de QSI, envisage d’ailleurs d’acheter un club anglais, les Tottenham Hotspur et leur stade tout neuf, livré en 2019.
Hélas, le PSG a la particularité de jouer en France, à Paris en plus, et la France a ses particularités, à Paris surtout.
Parmi les particularités, la quasi-totalité des stades des deux divisions de l’élite du foot en France n’appartiennent pas à leurs équipes mais à leurs collectivités respectives, vieux souvenir du patronage à la française. D’ailleurs, cela vaut aussi pour les salles de basket et de hand-ball et de hockey sur glace et les terrains de hockey sur gazon. Au pays du Tour de France, les vélodromes ne sont pas privés, leurs déficits d’exploitation bien connus des collectivités. De fait, le Parc des Princes, avant Taillibert, était (aussi) un vélodrome qui accueillait… l’arrivée du tour de France. L’histoire aurait été différente, les aficionados de Marseille et Paris aujourd’hui prendraient feu pour le « Vélodromico ! ».
Nous sommes donc bien via l’architecture au cœur de l’histoire sportive de ce pays, ce qui ne résout en rien le problème des Qatariens qui, de l’histoire de France, ont forcément une vision parcellaire.
La Ville de Paris, dans un premier temps, semblait encline à céder l’ouvrage à un bon prix, pour elle, dans un contrat bardé de conditions annexes, dont sans doute le parking à trottinettes (les discussions précèdent le référendum trottinettes). Le Qatar a apparemment trouvé l’addition trop salée et – toujours se méfier de l’orgueil blessé, comme dirait Nietzsche qui s’intéressait à l’architecture – a fait en retour une proposition d’achat au prix d’un kebab sans viande ni sauce ni épices. De quoi crisper tout le monde autour de la table.
Jusqu’à ce que finalement s’opposent à la vente les véhéments alliés écolos et communistes d’Anne Hidalgo au Conseil de Paris (Ouest-France, 8/12/22), la maire PS virant alors sa cuti, recta.
Depuis, ça coince.
La société QSI a beau jeu de mettre en avant qu’elle pourrait très bien, à l’issue de son bail, tirer sa révérence et, avec les 500 M€ d’investissement de toute façon prévus, construire son propre stade tout neuf, à Paris ou pas loin, pour accueillir ses stars mondiales dans des vestiaires dotés d’un jacuzzi et d’une ligne de nage nordique.
Non seulement c’est ce qui se fait chez les propriétaires d’équipes étrangères de prestige, mais c’est ce qui se fait déjà ici en France, avec notamment la Nanterre Arena, signée Christian de Portzamparc,* qui accueille depuis 2017 des matchs internationaux de rugby ; un stade et une équipe propriétés de Jacky Lorenzetti, lequel a développé et fait prospérer la société franco-suisse Gestion, devenue Foncia en 1991, avant de faire prospérer son équipe de rugby, le Racing 92, au travers de sa salle de spectacles aux loges multiples, devenue la Défense Arena.
Tout aussi récent, juste à côté du Parc des Princes, le stade Jean Bouin de 20 000 places et 51 loges signé Rudy Ricciotti, où joue le Stade Français, autre équipe professionnelle de rugby. Inauguré en 2013, l’ouvrage est pourtant propriété de … la Ville de Paris.
Laquelle ne veut donc plus vendre le Parc des Princes, arguant désormais du « patrimoine » inaliénable, comme si en France nous ne savions pas vendre notre patrimoine architectural aux investisseurs privés et fortunés, place de la Concorde par exemple, sans parler d’hôtels particuliers par centaines. À tel point que Vulcain ex-Jupiter, cul et chemise avec Tamim ben Hamad Al Thani, l’émir du Qatar bon client de notre industrie militaire et gentil fournisseur de gaz, s’est senti obligé de mettre son grain de sel.
Le 18 janvier en effet, Karl Olive – ancien maire de Poissy et actuel député (Renaissance) des Yvelines – a relancé les hostilités en expliquant à la maire de Paris sur les ondes de RMC Sport (cité par 10sport, 19/01) tous les bienfaits de compter QSI parmi les co-propriétaires de la cité. « J’ai envie de dire à Madame Hidalgo, n’ayez pas une mémoire sélective. Voyez ce que l’écosystème du Paris Saint-Germain apporte à la ville de Paris. Le PSG, c’est des milliers d’emplois. C’est un cercle vertueux de l’économie locale », a expliqué ce proche du président de la République et ancien… journaliste sportif.
Résultat du coup de pression ? À ce jour, Madame Hidalgo persiste et signe dans la mémoire sélective. D’ailleurs, si elle avait le sens de l’ironie, pour ce qui concerne le « patrimoine » siglé Parc des Princes, elle devrait demander le soutien de Stéphane Bern.
Quoi qu’il en soit, que QSI s’inquiète d’une visibilité financière à long terme avant de lâcher les pétrodollars, c’est bien le moins, surtout en France. Qu’Anne Hidalgo refuse de vendre un bijou (de famille) architectural, c’est bien le moins tout autant, surtout à Paris. Dilemme ! Ici, c’est Clochemerle !
Un bail emphytéotique de 99 ans résoudrait certes le problème – autant Anne Hidalgo que Tamim ben Hamad Al Thani auraient le temps d’y repenser jusqu’en 2122 – d’autant que ce type de contrat, légal, existe déjà et s’appuie sur une solide jurisprudence. Mais ce serait trop simple pour une affaire d’Etat à la française.
Il y a cependant fort à parier, diplomatie internationale de la caverne d’Ali Baba oblige, qu’un compromis sera trouvé. De toute façon, le PSG est encore au Parc pour les prochains vingt ans. À la fin, ne demeure donc qu’une question d’architecture : comment créer toutes les loges et les aménités nécessaires à un stade du XXIe siècle tout en conservant l’esprit de l’œuvre de Roger Taillibert édifiée il y a cinquante ans déjà ? Pas une mince affaire…
Une telle restructuration du Parc des Princes, si vous le leur demandez, nombreux seront cependant les architectes qui diront savoir la dessiner et l’entreprendre, à grands frais sans doute. Il ne faudrait pas pourtant que QSI, pour quelque raison que ce soit, s’impatiente et finisse par penser ce projet irréalisable…
Pour Anne Hidalgo sinon, en guise de réemploi, transformer le Parc en Résidence des Princes, logements sociaux et en accession dotés de coursives immenses et conçus autour d’un très grand jardin partagé en cœur d’îlot…
Christophe Leray
*Lire notre article L’architecte dont le bâtiment a changé les règles d’un jeu international