Rejoindre un site en périphérie est un processus ardu mais nécessaire, il implique parfois de marcher sur des kilomètres contre des vents violents, avec des averses de sable tranchant qui s’envolent des dunes par vagues successives. Chronique-photos d’Erieta Attali.
Une vie de voyages sans résidence permanente m’a menée vers une vision particulière de la géographie et offert une fascination pour les paysages de la périphérie, lesquels ont façonné mon itinéraire de photographe.
Le mot « périphérie » signifiait en grec à l’origine « circonférence » : la circonférence d’une Terre sphérique, impliquant un saut par-delà l’horizon, où se trouve l’inconnu. Par définition, le mot lui-même, avec ses connotations de « frontière » et de « transition » dépend largement du cadre de référence de chacun. C’est une structure mentale relative.
Pour moi, la référence constante, ou autrement dit, le centre du monde, a toujours été la Méditerranée. Continuellement retenue par la force centripète de la mer « fermée par la terre », j’ai été simultanément attirée par les bords du monde ; les limites de ma géographie mentale où la présence humaine cède la place à des paysages insolites, au-delà de l’étendue marine.
Depuis l’intérieur d’une enceinte maritime, la Périphérie prend la forme de points de fuite : un mouvement centrifuge à travers des passages étroits vers des étendues plus vastes. Bien que l’échelle soit différente, cela n’est pas sans rappeler le processus de regarder le paysage extérieur depuis l’intérieur de l’architecture : essayer de se situer en cherchant la limite où la terre et le ciel se frôlent brièvement.
Désert d’Atacama, Chili
Lors de ma deuxième visite dans cette région aride où je voyage habituellement par moi-même, j’ai dû engager un guide local pour m’emmener dans des endroits que je ne pouvais pas atteindre autrement. Les falaises bordant le vaste paysage désertique se dressaient comme autant de fortifications monumentales en ruines : la rudesse et l’inhospitalité sont omniprésentes, ce n’est pas un endroit pour les êtres humains.
L’absence intentionnelle d’humains dans les paysages que je poursuis n’implique pas une exclusion de la présence ou de la mémoire humaine ; c’est plutôt l’inverse. Alors que je suis profondément fascinée par la stérilité abandonnée, je finis toujours par chercher une trace, voire un souvenir, de la présence humaine. Il peut s’agir d’une image construite, d’une paréidolie* où des affleurements rocheux ou des enveloppes végétales sont photographiés comme s’il s’agissait de structures, dans un processus d’archéologie inversée.
Musée de Paracas, Pérou
Après un long séjour au Chili, j’ai décidé pour la première fois de m’installer sur le territoire péruvien, explorant davantage ses terres désertiques et le travail des architectes Barclay & Crousse. J’étais sur le point de finir de rassembler le matériau photographique de ma prochaine monographie « Périphérie / Une archéologie de l’architecture contemporaine », ce qui m’a amenée à explorer la réserve nationale de Paracas.
Rejoindre le site, un processus ardu mais nécessaire, impliquait de marcher sur des kilomètres contre des vents violents, avec des averses de sable tranchant qui s’envolaient des dunes par vagues successives. Explorer personnellement l’architecture et son contexte est pour moi le seul moyen de bien comprendre le bâtiment et, dans ce cas précis, la manière magistrale dont Barclay & Crousse l’a intégré dans un contexte naturel aussi dur. Le musée de Paracas se fond dans le désert de couleur terre cuite comme un morceau d’infrastructure ancienne en ruines, un peu comme un château médiéval construit à partir même du rocher sur lequel il est perché
Coney Island, New York, USA
Cela faisait déjà deux mois que j’étais à New York, essayant de me relier à un monde visuel d’intensité urbaine nouveau et inconnu ; mon expérience jusque-là avait été celle d’un photographe archéologique et paysagiste. J’ai décidé de travailler principalement de nuit, en poses longues de plus d’une heure et en utilisant un appareil photo grand format.
Sans surprise, j’ai été attirée par le seuil entre les éléments naturels et artificiels qui composent la ville. Ces zones constituent une interface entre différents types de paysages et impliquent généralement la présence d’eau, en tant qu’élément déterminant de la topologie et du caractère de New York. Afin de souligner cette double condition de transition et/ou de connexion, je me suis concentrée sur l’horizontalité de la composition, traitant ensemble les bâtiments et les rochers comme autant d’épaves dérivantes et s’enfonçant dans le sable humide.
Aurlandsfjord, Norvège
Au cours des années 2009-2011, lors d’un voyage pour une recherche photographique dans les pays scandinaves avec ma collègue Prof. Karin Skousboll (Académie royale des arts du Danemark, Copenhague), nous avons traversé plusieurs paysages différents s’étendant loin dans le nord de l’Europe et dans le cercle arctique.
J’ai découvert lors de ces voyages des affinités profondes entre la Norvège et les paysages chiliens qui m’étaient si familiers ; une « géographie de la lumière » reliant des environnements situés dans des régions opposées du monde. Tout comme dans le centre du Chili, les matinées du nord de la Norvège sont dominées par une lumière brumeuse diffuse, qui commence à s’ouvrir en début d’après-midi.
Il y a une sensation de douceur dans la perspective atmosphérique qui offre de la profondeur tout en produisant en même temps un horizon flou et indéfini. Une fine couche de gris drape toute chose car le ciel et le paysage fonctionnent en tandem. Lors de fortes chutes de neige en particulier, ils agissent comme un ensemble homogène, où des formations rocheuses légèrement poudrées semblent flotter dans un nuage sans direction.
Erieta Attali
Toutes les chroniques-photos d’Erieta Attali
* Une paréidolie* est une tendance du cerveau à créer du sens en assimilant des formes aléatoires à des formes qu’il a déjà référencées.