Avec l’été pointant son nez, je vous emmène dans les champs pour parler de poésie. Cette chronique raconte une semaine de « Summer school » pour seize étudiants de l’ENSA Paris-Val de Seine organisée dans le Perche avec cinq autres encadrants. Nous avons marché, dessiné, débattu, construit, et beaucoup ri. Journal d’été d’une jeune architecte.
Se rassembler
À l’initiative de Martine Weissmann, nous avons formé un groupe de partage avec de jeunes architectes de l’ENSA Paris-Val de Seine diplômés du groupe A-lto. Nous nous réunissons une fois par mois pour discuter de divers sujets : éthique en architecture, ruralité/urbanité, enseignement, loi ZAN, accès aux marchés, réversibilité, etc. Ces échanges permettent d’approfondir nos réflexions et de trouver des interlocuteurs pour prendre du recul et nous aider dans notre pratique.
Une thématique récurrente de nos réunions est l’accès à l’enseignement pour ceux qui n’enseignent pas encore et la pédagogie pour ceux qui ont déjà un peu d’expérience. Nous avons conclu que tous souhaiteraient se former davantage pour mieux transmettre leurs connaissances.
C’est ainsi que nous avons imaginé la « Summer School 2024 : Le champ des possibles », dans l’idée d’une transmission horizontale du savoir pédagogique. Avec ce projet, nous avons sollicité l’ENSA Paris-Val de Seine pour organiser un atelier d’été constructif pour des étudiants volontaires.
Immersion et poétique
Nous avons choisi le village de La Perrière, dans le Perche, un lieu que nous connaissons bien, la maire ayant évoqué avec nous le besoin de logements pour randonneurs puisque le village est désormais une étape du GR22.
Ce thème nous semblait être collectivement une amorce intéressante pour les étudiants, décision devenue définitive lors de la découverte du lieu envisagé par la commune, le champ communal, un site sublime ouvert sur les rondeurs des collines du Perche. Notre champ des possibles.
Finalement, ce fut très important pour les étudiants de s’accrocher à une commande concrète, de rencontrer la maire, de comprendre la communauté de communes et le rôle du CAUE et, surtout, d’écouter les usagers. Ces rencontres leur ont donné un aperçu, certes naïf mais nécessaire, de la fabrique de la ville et de ses acteurs. De notre côté, nous avons souvent ri face au décalage entre le niveau de discours des intervenants et la compréhension des étudiants, un décalage aussi enrichissant que révélateur.
Cependant, comment faire pour que la demande et les discours ne prennent pas place comme un ordre d’exécution de projet ? Comment initier chez ces jeunes gens le regard critique nécessaire pour faire ce projet ?
Avec l’équipe encadrante, nous avons proposé entre autres des exercices appelant à la poétique. Ce fut très riche à chaque échelle des travaux de la semaine et la poésie a permis aux jeunes d’aller chercher en eux-mêmes et dans le paysage l’essentiel, le beau, ce qui fait sens. Nous leur demandons d’écrire et les poussons à ce que presque tout – de la matière à l’assemblage en passant par les colorimétries – soit poésie avant de finir en intentions architecturales.
« Empruntez le chemin,
Remarquez-vous au loin ?
Tout au bout de cette étendue,
Cette irrégularité jaillissant derrière les plantes
Montez la pente
En vous laissant happer par cette armature
Donnant l’occasion de contempler cette belle nature »
Kélia Picco
Spatialiser et construire
Je me questionne depuis plusieurs années sur la pertinence de faire construire les étudiants en architecture. J’ai participé à plusieurs événements de ce type car je crois à la valeur de l’apprentissage par le faire. Je suis convaincue que l’architecte projette avec plus de justesse et d’humilité quand il se prête à l’exercice de la conception à l’exécution avec les mêmes mains.
Il n’est pas simple cependant de parler d’architecture et de spatialité en même temps que de parler de construction. Comment ne pas se noyer dans les résolutions techniques et parler de l’apprentissage spatial de l’architecture dans ce qu’elle a d’essentielle : profondeur, lumière, parcours, seuils, etc. tout en abordant les notions de matière, de fabrication, d’assemblage, de temps de fabrication et de programme ?
In fine, certaines notions théoriques semblent parfois trop abstraites pour de jeunes étudiants. Une des enseignantes a par exemple évoqué « champ spatial et lignes de force » devant des jeunes gens aux yeux écarquillés. Or il a suffi pour détendre l’atmosphère de quelques grands draps blancs et quelques tasseaux et, en quelques minutes, un petit groupe est déjà dans le champ pour tendre, cacher, révéler, souligner sous les commentaires de leurs camardes. Les notions théoriques seraient donc plus accessibles lorsqu’elles sont expérimentales ?
Débat ou dictature
Un des sujets qui a animé nos débats durant les dix jours de cette expérience fut la prise de décision en elle-même. Nous avons tellement parlé, débattu, poussé, opposé, lié, crié aussi que le silence en ce retour au calme à une saveur mitigée.
Dans l’urgence, nous avons aidé les étudiants à confronter leurs idées. Cependant, lorsqu’aucune solution adéquate n’émerge, devons-nous imposer notre vision ou laisser les étudiants se tromper ?
La diversité des personnalités et des avis dans l’équipe pédagogique nous a poussés à trouver une réponse singulière. Loin d’être toujours d’accord, nos divergences ont nourri d’interminables débats architecturaux et pédagogiques. Dès le retour, la richesse de ces échanges me manquait déjà.
La qualité de ces discussions nous apporte le recul nécessaire pour accompagner les jeunes étudiants vers des choix de solutions architecturales qui ne reflètent pas notre vision personnelle de l’architecture mais qui sont le reflet des réflexions du collectif enseignant avec un champ ouvert à la vision de l’autre.
Les étudiants ont appris à exprimer leurs idées, à accepter un consensus et à s’adapter aux contraintes. Par exemple, face au manque de temps ou de matériel, ils ont dû accepter et s’adapter.
La question demeure : doit-on imposer notre vision d’enseignante, débattre autant que nécessaire ou encore faire voter les étudiants ? Je vous laisse trouver votre réponse, j’ai la mienne.
Être volontaire
Cette expérience a été l’une des plus réussies auxquelles j’ai participé. Les étudiants ont été exceptionnels : courageux, à l’écoute, productifs et désireux d’apprendre. Le format de volontariat a certainement contribué à cette dynamique positive.
Nous avons été ambitieux et ils nous ont suivis, nous sommes allés loin dans les volontés spatiales, dans la dimension des projets construits et sur les types d’assemblage en bois complexe à réaliser. Sans rentrer dans les détails de conception, nous avons bâti un pavillon avec des portiques moisés d’environ 15 mètres de long, un ponton de trois plateformes en assemblage de bastaing mi-bois et un refuge bardé en trois jours. C’est conséquent sachant qu’aucun étudiant ne savait construire avant d’arriver au ‘workshop’. C’est la volonté de faire ensemble qui a permis d’être à la hauteur des ambitions.
À la fin, un projet subtil est sorti de terre, un projet qui respecte le lieu et révèle le paysage. Lors de la restitution, le champ s’est rempli de curieux, d’élus et d’habitants ; la présentation des jeunes constructeurs fut claire et parfaitement fondée.
Nos structures initialement prévues pour être démontées dans l’après-midi ne l’ont finalement pas été pour faire suite à la demande des habitants. Vous avez donc tout l’été pour passer découvrir le charmant village de la Perrière, ses habitants chaleureux et le fruit d’une expérience architecturale collective si enrichissante qu’elle ouvre le champ de tous les possibles.
Estelle Poisson
Architecte — Constellations Studio
Étudiants : Andrade Valenzuela Elisa, Barant Samuelle, Barros Iriarte Manuela, Chaieb Sarah, Collange Clément, De Vuyst Caroline , Dupuis-Beets Lia, Dussart Gabrielle, Girardot Sarah, Jomin Alexis, Le Pourveer Zélie, Picco Kélia, Pelle Helena, Ribondin Aurélia, Rusu Elodie, Verdeaux Joséphine.
Équipe pédagogique : Martine Weissman, Lucas Coudart, Coralie Gruit, Marie Prel, Constance d’Espinose, Soraya Haffaf et Estelle Poisson
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