Ethel Hazel tente de décrypter les agissements de Dubois l’architecte. Dr. Nut, amer, semble de retour au camp de base 1, Aïda est de retour à Paris. Répétition générale ?
Psychanalyse de l’architecte : les personnages à l’œuvre
Relire le prologue de la saison 7 (et le résumé des saisons précédentes)
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« La mort n’est pas drôle parce qu’elle ne supporte pas la répétition ».
Boris Vian
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Jeudi, 5h00 (heure locale) – Florianopolis, Brésil
Dans les pages locales du Diário Catarinense (« Quotidien de Santa Catarina »), le quotidien de l’État de Santa Catarina, un entrefilet titré : Corpo de nova mulher aparece na Barra da Lagoa (Un nouveau corps de femme échoué à Barra da Lagoa)
O corpo nu de uma mulher de cerca de 30 anos, loira de olhos azuis, foi encontrado em uma praia da Barra da Lagoa. Ela aparentemente morreu por afogamento e seu corpo foi levado à praia. A polícia ainda não tem explicação, mas faz a ligação com um caso semelhante quando o corpo de Léonie Meunier, uma francesa de 45 anos, também loira de olhos azuis, foi descoberto recentemente, a apenas 10 km dali, em local semelhante. circunstâncias. Um modus operandi que lembra o do serial killer americano Rex Heuermann que deixava os corpos mutilados de suas vítimas sempre na mesma praia de Long Island. Um gato copiador brasileiro? As autoridades, no entanto, suspeitam de uma forma de tráfico de brancos algures no mar, um barco onde mulheres raptadas seriam violadas e depois atiradas ao mar, sendo a corrente que trazia os corpos de volta às nossas costas. Não tendo ainda conseguido identificar a infeliz mulher, cujo corpo será autopsiado amanhã na morgue forense, a polícia está a convocar testemunhas. Quem puder fornecer informações sobre essa misteriosa vítima pode ligar para 48 4832-800. Discrição garantida. Recompensa por qualquer informação útil.
Le corps nu d’une femme d’environ 30 ans, blonde aux yeux bleus, a été retrouvé sur une plage de Barra da Lagoa. Elle est morte apparemment noyée et son corps aurait été rejeté sur la plage. La police n’a pas encore d’explication mais fait le lien avec une affaire similaire quand le corps de Léonie Meunier, une française de 45 ans, également blonde aux yeux bleus, avait été découvert il y a peu, à seulement 10 km de là, dans des circonstances semblables. Un modus operandi qui n’est pas sans rappeler celui du tueur en série américain Rex Heuermann qui abandonnait les corps mutilés de ses victimes toujours sur la même plage de Long Island. Un copy cat brésilien ? Les autorités soupçonnent cependant une forme de traite des blanches au large quelque part, un bateau où des femmes enlevées seraient violées puis jetées à la mer, le courant ramenant les corps vers nos côtes. La police n’ayant pas encore pu identifier la malheureuse, dont le corps sera autopsié demain à la morgue médico-légale, elle lance un appel à témoins. Quiconque susceptible de donner des informations au sujet de cette victime mystérieuse peut appeler au 48 4832-800. Discrétion assurée. Récompense pour toute information utile.
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Vendredi, 18h12, dans la cuisine d’Ethel Hazel, rue d’Auteuil
Ethel Hazel est préoccupée. Elle a suivi toute la semaine les infos concernant Dubois et Gloria en provenance du Brésil sans parfaitement comprendre de quoi il retourne. Cette qui cette nouvelle blonde retrouvée au même endroit, de ce qu’elle a compris ? Pourquoi cette policière française, qu’elle a reconnue, a-t-elle affirmé que Dubois n’était pas un tueur en série ? Elle ne peut croire que ce soit l’avis de Dr. Nut. Surtout elle sent que Dubois ne va pas tarder à rentrer en France. Et alors quoi ? Reprendra-t-il nos séances ? Puis-je sauver Gloria si elle rentre avec lui ? Et pourrais-je publier mon article s’il est vivant et dans le secteur ? Pourrait-il me poursuivre devant mes confrères et consœurs ? Non, il ne le ferait pas mais peut-être voudra-t-il m’éliminer avant que mon article ne soit publié. Dois-je me dépêcher de le publier ou, au contraire, jouer la prudence, et le garder pour moi pour l’instant ? Mais alors, Hollywood ? « Bon, de toute façon il n’est pas encore terminé, reprenons donc ». Un verre de chardonnay blanc et c’est parti.
SYNDROME DE LA BELLE AU BOIS DORMANT DE L’ARCHITECTE DUBOIS
La répétition, ou synchronie
Si je peux dans le cadre de cet article parler de syndrome, c’est, nous l’avons vu, parce qu’il y a chez Dubois l’architecte une répétition des actes. Or pour la psychanalyse, la répétition compulsive inconsciente serait liée à un effet traumatique dû au débordement du moi face à une réalité ingérable. Son métier d’architecte serait-il finalement au-dessus de ses moyens intellectuels et de son ambition ? La répétition peut être ainsi un moyen habile de ne pas se poser de questions : faire une école, puis deux, puis dix, les faire sinon mieux au moins plus vite. Des psychanalystes soulignent d’ailleurs que la répétition en elle-même, plus que l’acte répété, finirait par être source de jouissance.
Il ne fait aucun doute que Dubois jouit de ses trophées accumulés dans son mausolée enfoui quelque part mais l’architecte en lui ne s’est jamais laissé aller à répéter ses bâtiments ; de mémoire, parmi ceux dont il m’a parlé, du logement à la morgue en passant par un projet urbain en Bretagne rurale, il n’en a à ma connaissance pas fait deux pareils. La répétition chez lui, parce qu’il est architecte, ne peut donc pas être une stricte reproduction des mêmes actes, même s’il tue de la même façon toutes ses victimes, du moins celles qu’il garde, en les étouffant d’amour pour ainsi dire. C’est l’aspect négatif de la répétition quand elle est au service de la pulsion de mort.
Je cite ici la thérapeute Annie de Butler : « D’une certaine façon, nous pouvons dire que la répétition fait à la fois le jeu d’Éros – en suscitant séduction et amour – et le jeu de Thanatos – en faisant de la relation le lieu de projections répétitives des anciens traumatismes liés aux expériences affectives précoces ». Noter que Dubois, sans psychanalytique de couple, a fini par créer de lui-même un personnage ayant à la fois les traits d’Eros, d’Hypnos et de Thanatos.
J’ai abordé avec lui de sujet de la répétition :
Citation : Je ne crois pas que le principe de plaisir soit mis à l’écart dans la pulsion. Quand les gens deviennent obèses avec trop de sucre, c’est le principe de plaisir qui induit la répétition puis la compulsion, comme avec la cigarette. Pour autant, quand un architecte démarre un projet, que dis-je participe à un concours, que dis-je est retenu pour un concours, que dis-je est choisi pour réaliser une faisabilité à deux balles, même si le processus est répétitif et, en effet, souvent compulsif, il n’exclut pas pour autant la notion de plaisir. Il faut comprendre ce que c’est que de gagner un beau concours, dans une compétition du tonnerre, et c’est votre nom qui sort, c’est extrêmement jouissif et tout architecte a envie de revivre ce moment-là encore et encore.
Question : Même si, comme vous l’expliquez, la représentation pulsionnelle est entravée ou s’avère incomplète, voire inatteignable…
Citation : Mais un projet d’architecture est toujours incomplet et ce que vous appelez « compulsion de répétition » n’est peut-être que la volonté de mieux faire à chaque fois. Est-ce un processus d’addiction ? Peut-être pour certains d’entre nous, certainement même. Un état de dépendance, comme un toxico attaché à sa drogue ? Sans doute aussi dans un sens puisque moi-même je ne saurais rien faire d’autre qu’architecte. Je peux nommer l’architecture ma passion, mon métier, mon talent, tout ce que l’on veut, toujours est-il que je serai bien en peine de faire autre chose, et je pense que cela vaut pour beaucoup d’architectes, alors les mots addiction et dépendance, ne serait-ce que d’un point de vue financier, peuvent sans doute s‘appliquer à mon cas, vous avez raison.
Question : C’est ce que vous cherchez avec moi, une issue à l’emprise d’une répétition mortifère ?
En écrivant, Ethel se dit qu’elle a pourtant tenté, se mettant elle-même en scène, de pousser Dubois dans ses retranchements à de multiples reprises…
Citation : En tant qu’architecte, j’ai de la chance, je ne refais finalement jamais deux fois la même chose et mes ouvrages me survivent… Mais c’est une passion pénible et il n’y a guère qu’avec vous que je peux en parler aussi librement tant, justement, il me faut habituellement, où que je me tourne, me garder de ma franchise. Sinon, pour le reste, peut-être êtes-vous en effet une issue à une répétition mortifère. Je ne le sais pas encore, cela ne dépend pas que de moi.
Nous connaissons la suite. Il est certain en tout cas que Dubois prépare pour chacune de ses victimes sa propre « couche » parfaitement appropriée mais, comme l’architecte aux dix écoles, leur prépare-t-il la même pour toutes ? S’il était ingénieur, sans doute. Mais, en tant qu’architecte, il faut ici comprendre la répétition au sens théâtral du terme. Peut-être que le lit ou cercueil de la première victime n’était que la répétition générale de la suivante…
« Dire que nous ne sommes même pas sûrs de qui est la première et du nombre de femmes/momies/zombis qu’il conserve », remarque Ethel pour elle-même.
Sans doute donc ces « couches » deviennent-elles de plus en plus élaborées, de plus en plus belles au fil du temps et de l’expérience acquise. Nous avons déjà évoqué le sens de la mise en scène de l’architecte Dubois et sans doute que chaque installation donne lieu à un grand spectacle dont il est l’auteur, le réalisateur et seul spectateur. Il faut ainsi envisager que comme un metteur en scène, Dubois ne joue qu’une seule représentation à la fois, qu’il n’a jamais qu’une seule « couche » en préparation ; il détesterait sans doute l’idée pour « ses femmes » qu’elles dorment dans un dortoir ou attendent dans une glacière que leur chambre soir prête ; il veut leur accorder à chacune toute l’attention qu’elles méritent. Cela pourrait expliquer pourquoi les délais entre les disparitions apparaissent de plus en plus courts, non seulement dans l’acte de tuer, mais dans la capacité de conserver.
Nous avons appris récemment que Dubois était en « vacances » au Brésil en compagnie d’une architecte, blonde aux yeux bleus évidemment, nommée Gloria da Silva… Il est permis d’envisager qu’elle soit sa prochaine victime.
Sans doute pour le coup lui a-t-il préparé un lit grand style, avec baldaquin et tout le tintouin, pense Ethel avec une pointe de jalousie. Non, je ne peux pas écrire ça. Reprenons.
Ainsi, si Dubois en vient peut-être à répéter ses meurtres pour le plaisir de la répétition elle-même, c’est au fond une succession de représentations générales qui l’inspire.
Ethel ne peut s’empêcher de laisser filer son imagination. À quoi ressemble donc ce mausolée dont elle devine qu’il est aménagé avec goût, voire luxe. A-t-il déjà commencé à construire la « couche » de Gloria ? Est-ce que tout cela aura une fin ? Et moi, serai-je la prochaine ? A-t-il déjà commencé à construire ma place dans son mausolée, qui n’attend plus que moi ? N’ai-je pas au fond envie de les rejoindre, enfin apaisée et toujours belle pour l’éternité ?
Si mon analyse est exacte, Gloria ne le sait pas encore mais elle fait partie d’un rituel parfaitement construit par Dubois. Je l’ai interrogé sur cette notion de rituel.
Citation : C’est justement mon rôle d’architecte de trouver des espaces entre la répétition rigide et fermée – ce que vous appelez la stéréotypie – et le champ plus large investi par les rites et rituels variés. Il faut encore à l’homme de l’art faire la distinction entre les rites intimes de l’individu et ceux de la communauté. Distinguer automatisme et culture est souvent difficile, c’est pourtant nécessaire pour élaborer des réponses architecturales individuelles et collectives adaptées.
C.Q.F.D.
(À suivre)
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Vendredi 22h01, dans le bureau de Dr. Nut
Le policier est exténué. Encore une grosse semaine. Il s’ouvre une nouvelle bière, se disant que de toute façon personne ne l’attend, et se replonge dans l’analyse des chiffres du service des statistiques qui lui est parvenu en début de soirée. Ils ne font que confirmer ce qu’il ressent intuitivement, le nombre de disparitions en général, comme les « évaporés » japonais, de disparitions inquiétantes en particulier est en constante augmentation. Il ne se souvient pas d’un tel rythme quand il a commencé sa carrière mais à l’époque il n’y avait pas de réseaux sociaux, à peine le téléphone et disons… les gens étaient différents et la violence était plus feutrée, il n’y avait pas d’arme, sauf pour le crime organisé qui en faisait un usage prudent. Le rapport explique assez bien une partie de cette progression. D’abord il y a beaucoup plus de personnes vivant seules désormais : instabilité des couples, instabilité des familles, volonté d’indépendance… Cela vaut d’ailleurs pour tous les âges. Une petite surprise dans le rapport des services : entre 30 et 50 ans, la part de personnes seules est supérieure chez les hommes. Après 50 ans, les femmes seules, souvent dès que les enfants quittent le domicile, sont légion.
Le rapport cite une enquête de l’INSEE qui indique qu’en France, onze millions de personnes vivent seules, leur part dans l’ensemble de la population a presque été multipliée par trois entre 1962 et 2019, passant de 6 % à 17 %. Au sein des seuls 15 ans et plus, cette proportion a augmenté de 13 % en 1990 à quasiment 21 % en 2019. Idem pour les moins de 15 ans. Cette statistique rend Dr. Nut mélancolique. Il est habitué à son travail mais il est perturbé dès que des enfants sont concernés, et c’est souvent. Lui-même n’a pas d’enfant et présume qu’il n’en aura plus maintenant. Pour autant, malgré sa raison et son expérience, il a du mal à comprendre comment et pourquoi des enfants se retrouveraient seuls à la rue avant pour certainsde « disparaître » purement et simplement, sans que personne ne les recherche jamais. Ce qui le fait penser aux victimes de Dubois. Pourquoi s’acharne-t-il ? Justement parce que personne ne les recherche plus ? Parce que sans lui, elles cesseront d’exister et qu’il sait que Dubois les conserve quelque part ? Il doit bien l’admettre, ce n’est pas la seule recherche des victimes qui l’inspire mais bien de coincer Dubois.
Pour autant, ces femmes jeunes, jolies, intelligentes ont disparu sans laisser de trace. Elles n’étaient pas victimes de parents indignes et rien n’y a fait. Personne n’est à l’abri, se dit-il, les chiffres inquiétants le confirment et c’est sans doute cela qui l’épuise. Dans son métier, il est confronté presque tous les jours au fond pourri de l’humanité, chaque jour ou presque défiant l’imagination. Les succès de l’équipe ne compensent pas chez lui, ne compensent plus, ce sentiment de dégoût qui l’habite parfois. Dubois au moins, lui il est élégant et ne laisse pas derrière lui une traînée de sang, se dit-il. Il s’en veut à nouveau de son admiration pour l’architecte.
(À suivre)
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Samedi 00h (heure internationale), dans l’avion qui la ramène à Paris
Aïda est installée près du hublot. Le vol est calme, les lumières sont tamisées et les passagers autour d’elle ont déjà entamé leur nuit. Elle, elle n’arrive pas à fermer l’œil. Son ordinateur posé sur la tablette ouverte éclaire son visage. À l’écran une page blanche. Elle inspire profondément, ses doigts hésitent sur le clavier, puis elle commence à écrire.
Cher Dr. Nut,
je vous écris pour vous faire part de ma décision de quitter mes fonctions au sein de votre équipe.
Elle s’arrête, relit la phrase. Les mots lui semblent durs. Est-ce vraiment ce qu’elle veut dire ? Elle s’arrête, les yeux fixés sur l’écran. Elle n’arrive pas à mettre les mots justes. Les souvenirs affluent, comme des fragments désordonnés d’un puzzle. Le Brésil… Elle a adoré. La beauté des paysages, les couleurs vives, la chaleur des gens. Son expérience… aussi !! C’était d’une richesse infinie, ses responsabilités, sa collaboration avec Thiago et plus puisqu’affinité… Mais derrière la carte postale se cachent d’autres souvenirs, toutes ces visites à la morgue, toutes ces femmes décédées : Léonie Meunier, Augustinha Dos Santos, Isabella da Rocinha, Maria Aparecida Silva, Julie Durantin. Ces noms et ces visages s’accrochent à elle comme des ombres. « Merde, je connais leurs noms par coeur », se dit-elle. Elle tape de nouveau, plus lentement cette fois.
Ces dernières semaines, j’ai beaucoup réfléchi. J’ai adoré travailler au sein de votre service, au sein de votre équipe et à vos côtés, mais je ne pense plus être à ma place. Je n’arrive plus à supporter le poids de ces enquêtes, de ces disparations, de ces cadavres. Chaque visage, chaque nom me hante. Je crois que j’y vois la limite de mes compétences et de mes facultés. Ce n’est d’ailleurs pas pour ça que j’ai été recrutée.
Elle repense à son ancien boulot, dans son atelier scientifique. Elle aimait examiner des textiles anciens, décrypter leurs secrets, remonter le fil du temps. Elle est précise, assurée, patiente, observatrice. C’est pour cette expertise qu’on l’a recrutée, pas pour jouer les agents infiltrés ni traquer un tueur insaisissable. Pourtant, au début, elle s’est laissée prendre au jeu. La traque avait un goût grisant, le goût de l’aventure comme une chasse où chaque pièce du puzzle révélait un nouveau mystère. Elle l’avait fait aussi par audace, par culot. Un challenge personnel à relever. C’est elle qui avait dit oui, pleine d’ambition et de curiosité. Mais maintenant, elle doute. Est-elle faite pour ce genre de vie ? La peur permanente, les nuits sans sommeil, le peu de vie personnelle, la peur de l’échec ?
Je n’ai pas été formée pour cela. Vous m’avez recrutée initialement pour mon expertise en textiles. C’était un travail que j’adorais, un domaine où je suis compétente. Analyser des fibres, remonter l’histoire d’un vêtement… Cela avait un sens pour moi et je me sentais pleinement légitime. Puis vous m’avez proposé une expérience que je n’aurais pu imaginer et que je ne pouvais refuser. J’ai accepté avec envie cette proposition et j’en ressors plus que grandie. Je vous remercie encore pour la confiance que vous avez pu m’accorder.
Cependant, aujourd’hui j’ai peur de ne pas être à la hauteur.
Elle s’arrête, le regard perdu. Il y a le poids des morts certes, mais il y a aussi ce qui s’est joué au Brésil, autre chose de différent. Il y a ce qu’on lui a demandé de faire. Ce rôle d’actrice qu’elle a dû jouer. Elle revoit la conférence de presse. Les projecteurs, les questions en portugais. Elle se revoit, sourire figé, en train de mentir aux journalistes, au moins par omission, de détourner des questions qui auraient dû trouver des réponses honnêtes. Elle a dû ouvertement assurer que Dubois n’était pour rien du tout dans quoi que ce ce soit.
Elle tape à nouveau, plus fébrile.
Lors de la conférence, je me suis sentie utilisée. Ce rôle d’actrice qu’on m’a imposé pour protéger Dubois ne correspond pas aux valeurs que je défends. Mentir à demi-mot devant la presse, détourner les questions, nier que Dubois était coupable. J’ai eu l’impression de trahir mon éthique professionnelle mais aussi de trahir toutes ces femmes mortes, dont Gina qui m’accompagne à chaque pas désormais. Par respect pour elles, par respect pour la famille des victimes, par principe déontologique, nous n’aurions pas dû tenir de tels propos devant la presse, même si en l’occurrence l’architecte n’y est pour rien.
Un steward passe dans l’allée parmi les passagers endormis et lui demande si tout va bien. Elle esquisse un semblant de sourire et baragouine un « Sim, tudo bem » avant de se souvenir qu’elle est sur un vol Air France. Le steward lui sourit et remonte l’allée. À travers le hublot, elle ne voit que le noir infini. Elle est en colère mais à qui en veut-elle ? À Dr. Nut de lui avoir imposé de tenir ce rôle ? Après tout, c’est lui qui l’a entraînée dans cette folie. À Dubois d’être un prédateur insaisissable ? Ou d’ailleurs de ne pas l’être ? Elle ne sait même plus s’il est coupable.
Plus sûrement, elle s’en veut à elle-même, elle en est consciente. Il y a cette sensation d’échec. Elle n’a pas réussi. Elle est une scientifique, elle est rationnelle, pragmatique, pourtant elle n’a pas trouvé les réponses. Dubois retourne à Paris, libre. Gloria le suit avec une confiance presque insolente. Aïda n’a rien découvert, elle n’a pas démêlé les fils de cette affaire. Elle n’a pas pu sauver ces femmes. Pourra-t-elle sauver Gloria ?
J’ai échoué, je n’ai pas réussi la mission que vous m’avez confiée, j’ai désormais sur les épaules le poids de la culpabilité. Dubois est libre et innocenté publiquement. Quant à moi, j’ai perdu mon anonymat, Dubois connaît désormais mon rôle dans cette affaire.
« On ne s’est pas déjà croisés quelque part ? » Cette phrase de Dubois résonne encore dans sa tête. Elle revoit son sourire et son regard noir. Oui, il savait et elle n’a pas été capable de lui tenir tête. Elle s’en veut. Elle pense à sa sœur, Sofia, qu’elle a imprudemment mentionnée. Quelle erreur ! Pourquoi a-t-elle donné cette information ? Qu’en fera Dubois ? Elle serre les poings. Et s’il s’en prenait à Aïda elle-même ? Elle voudrait fuir. Derrière le hublot, la nuit ne lui a jamais semblé aussi obscure.
J’ai besoin de retrouver un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, de reconstruire un quotidien et malheureusement je ne suis pas sûre de pouvoir y parvenir au sein de votre service. Avec votre autorisation, je vais reprendre contact avec mon laboratoire afin de poursuivre ma carrière là-bas.
Je vous remercie encore une fois de votre confiance et pour tout ce que vous m’avez apporté.
J’espère pouvoir mettre à nouveau mes compétences en recherche textiles au service de votre équipe.
En vous remerciant d’avance pour votre compréhension.
Aïda s’arrête, relit sa lettre. Elle soupire et, après une hésitation, enregistre le document et ferme son ordinateur. Elle éteint alors la loupiote au-dessus d’elle, quasiment la dernière allumée dans la cabine, et appuie sa tête contre le hublot. Paris est encore loin, la nuit immense. Elle pense à sa famille et ses amis qu’elle n’a pas vus depuis des semaines, elle a une pensée pour Thiago qu’elle ne reverra probablement jamais, elle pense à ses colocataires qu’elle n’a même pas prévenus de son retour. Elle est fatiguée. Terriblement fatiguée.
(À suivre)
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Dimanche 5h00 (heure locale) – Turin, Italie
Dans l’édition dominicale de La Stampa, sous la têtière ‘L’histoire du jour’, un article signé Lorenzo Antonetti et titré : Nuova misteriosa scomparsa nell’affare Dubois: un altro architetto ritenuto morto! (Nouvelle disparition mystérieuse dans l’affaire Dubois : une autre architecte présumée morte !)
Come promemoria. Nell’agosto 2022, nella chiesa di San Tommaso, in via Monte di Pietà, è stato scoperto il corpo senza vita dell’architetto Gina Rossi, una bella bionda con gli occhi azzurri, nata il 10 agosto 1991 a Torino. Tuttavia, abbiamo potuto stabilire che Gina era scomparsa a Parigi nel…2018, quattro anni prima della sua miracolosa ricomparsa a San Tomaso! Il suo ultimo lavoro conosciuto, project manager, era presso l’agenzia Dupont&Dubois, con sede a Parigi (11), 6 Cité de l’ameublement, di cui l’architetto Dubois era allora socio. Mentre cercavamo testimoni che potessero far luce sulla sua personalità e sui motivi della scomparsa di Gina, abbiamo consultato l’elenco di tutti i dipendenti dell’agenzia Dupont&Dubois, visibile ancora oggi sul sito dell’agenzia Dupont&Dupont, e abbiamo scoperto il nome di un’altra italiana architetto, Anna Rizzo, che ha lavorato presso l’agenzia. Quindi siamo partiti per trovarla. Sappiamo oggi che è nata il 14 novembre 1979 a San Remo e ha infatti lavorato presso l’agenzia Dupont&Dubois da agosto a dicembre 2020 prima… di scomparire senza lasciare traccia! Come se fosse a sua volta evaporato. Due architetti italiani, fisicamente simili perché entrambi biondi con gli occhi azzurri, che a due anni di distanza scompaiono a Parigi dopo aver lavorato nella stessa agenzia?
Inoltre, per coscienza, abbiamo fatto ulteriori ricerche tra i dipendenti dell’agenzia per verificare, oltre agli italiani, se non fossero scomparse anche altre donne? Al termine di questo minuzioso lavoro, abbiamo scoperto il nome di Christèle Meyer, stagista per un anno presso l’agenzia Dupont&Dubois dal settembre 1999 al giugno 2000. Bionda con gli occhi azzurri – ormai un indizio – abbiamo provato a trovarla e a contattarla , se non altro perché era presente fin dall’inizio dell’agenzia, solo per scoprire che anche lei era misteriosamente scomparsa… nel giugno 2000! Oltre vent’anni fa! Dopo un periodo così lungo, le tracce dell’esistenza stessa di Christèle Meyer sono labili ma, per quanto minime, non fanno altro che aggiungere nuovi elementi al percorso che invariabilmente… conduce all’architetto Dubois.
Se avete ulteriori informazioni chiamate il giornale allo 0116568304. Discrezione assicurata. Premio per qualsiasi informazione utile.
(Continua)
Pour rappel. En août 2022, le corps sans vie de l’architecte Gina Rossi, jolie blonde aux yeux bleus, née le 10 août 1991 à Turin était découvert dans l’église San Tommaso, Via Monte di Pietà. Or nous avons pu établir que Gina avait en réalité disparu à Paris en… 2018, quatre ans avant sa réapparition miraculeuse à San Tomaso ! Son dernier emploi connu, cheffe de projet, était au sein de l’agence Dupont&Dubois, sise à Paris (XIe), 6 Cité de l’ameublement, dont Dubois l’architecte était alors associé. Alors que nous recherchions des témoins qui auraient pu nous éclairer sur sa personnalité et les raisons de la disparition de Gina, nous avons consulté la liste de tous les collaborateurs de l’agence Dupont&Dubois, encore visible aujourd’hui sur le site de l’agence Dupont&Dupont, et avons découvert le nom d’une autre architecte Italienne, Anna Rizzo, ayant travaillé à l’agence. Nous avons donc entrepris de la retrouver. Nous savons aujourd’hui qu’elle est née le 14 novembre 1979, à San Remo et a bel et bien travaillé à l’agence Dupont&Dubois d’août à décembre 2020 avant de… disparaître sans laisser de trace ! Comme si elle s’était à son tour évaporée. Deux architectes italiennes, similaires physiquement puisqu’elles sont toutes deux blondes aux yeux bleus, qui à deux ans d’intervalle disparaissent à Paris après avoir travaillé dans la même agence ?
Aussi, par acquit de conscience, avons-nous poussé la recherche parmi les employées de l’agence pour vérifier, au-delà des Italiennes, si d’autres femmes ne s’étaient pas également évaporées ? À l’issue de ce travail de fourmi, nous avons exhumé le nom de Christèle Meyer, stagiaire pendant un an à l’agence Dupont&Dubois de septembre 1999 à juin 2000. Blonde aux yeux bleus – un indice désormais – nous avons tenté de la retrouver et de la joindre, ne serait-ce parce qu’elle était présente aux tout débuts de l’agence, le tout pour apprendre qu’elle a également mystérieusement disparu… en juin 2000 ! Il y a plus de vingt ans ! Après une aussi longue période, les traces de l’existence même de Christèle Meyer sont ténues mais, aussi minimes soient-elles, elles ne font qu’ajouter de nouveaux éléments à la piste qui invariablement… mène à Dubois l’architecte.
Si vous disposez d’informations supplémentaires, appelez le journal au 0116568304. Discrétion assurée. Récompense pour toute information utile.
(À suivre)
Dr. Nut (avec les notes d’Ethel Hazel)
Aïda Ash (avec les notes de Dr. Nut)
* En librairie L’architecte en garde à vue
* En librairie, Le fantôme de Gina
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