Chaque hiver, le Museum of Architecture de Londres organise Gingerbread City, la ville en pain d’épice, une exposition de bâtiments construits en pâtisserie. Le seul inconvénient du spectacle est qu’on ne peut pas les manger. Chronique d’outre-Manche.
Le thème de cette année est « Ville recyclée » et près de 50 créations ont été réalisées par des cabinets britanniques. Leurs œuvres sont plus des tentations architecturales que des modèles architecturaux. Pour réduire la salivation anticipée et la possibilité de tomber « accidentellement » dans un gâteau avec la bouche ouverte, j’ai pris un copieux petit-déjeuner avant de me rendre à l’exposition.
Des équipes d’architectes ont présenté des projets « de rêve » mais la plupart étaient basés sur des bâtiments sur lesquels ils avaient travaillé. Apparemment, lorsque les présentations arrivaient, l’air était chargé d’odeurs de gingembre, de chocolat et de gâteau mais, maintenant, l’air est frais. Il y a des espaces d’activités pour les enfants et les chansons de Noël jouées en arrière-plan (oh non, pas encore Bing Crosby !) disparaissent rapidement de votre esprit car cette fête est visuelle. Pour vous rapprocher de certains modèles, vous pouvez vous plonger dans les bulles en plastique permettant de scruter les oeuvres.
Le lieu est le Gaumont, autrefois un grand cinéma mais maintenant un complexe à usage mixte à Chelsea, à Londres. Le Studio PDP a conservé la façade art déco de 1934 sur King’s Road et propose une version pâtissière du bâtiment, lequel s’élève au-dessus de rideaux de bonbons rouges qui rappellent le cinéma à son apogée.
Conformément au thème, les bâtiments historiques réutilisés ou modernisés occupent une place importante dans l’exposition. Par exemple, la « réinterprétation fantaisiste » par Stanton Williams du Royal Opera House, que l’agence a rénové en 2018, dans le but de remettre en cause sa réputation élitiste. Le foyer d’EM Barry (1858), appelé Paul Hamlyn Hall, est une magnifique structure de verre qui fait écho au Crystal Palace, pionnier mais temporaire, de Joseph Paxton pour la Grande Exposition de 1851. Dans la version pâtissière, Stanton Williams parle de « façades en verre glacées aux bonbons qui reproduisent le vide à double hauteur de l’original qui baignait de lumière naturelle. Un jardin de pain d’épice réinventé s’épanouit, offrant un doux sanctuaire aux visiteurs pour profiter de la végétation comestible et accéder à un café, des restaurants et des magasins en attendant un spectacle ».
L’un des plus grands bâtiments recréés en gâteau est la centrale électrique de Battersea, conçue par Giles Gilbert Scott et finalement achevée après 26 ans en 1955. C’était une icône de Londres bien avant que Pink Floyd ne la mette sur la couverture de son album Animals de 1977. C’est aujourd’hui un vaste centre commercial avec des résidences de luxe et l’une de ses quatre cheminées de 109 m de haut est une plate-forme d’observation appelée Lift 109. Il existe en fait deux versions en forme de gâteau de la centrale électrique reconvertie, dont une réalisée par les ingénieurs Buro Happold. L’autre est l’œuvre des architectes Wilkinson Eyre, qui ont utilisé des ‘brandy-snaps’ pour les cheminées.
Pour autant, la cheminée la plus haute de l’exposition (mais pas en réalité) est celle de la brasserie Truman qui, avec ses bars, son marché et ses entreprises créatives, est devenue un catalyseur majeur de la transformation de Shoreditch à Londres en un quartier bohème animé. La version gâteau de Chris Dyson Architects est une cheminée atteignant près de deux mètres avec un empilement de biscuits circulaires.
Parmi les visions futuristes, Zaha Hadid Architects (ZHA) a conçu un pont en chocolat aux lignes épurées et aux courbes caractéristiques, inspiré du pont Striatus, un concept de pont en blocs de béton imprimé en 3D ne nécessitant ni mortier ni renforcement structurel, que l’agence a présenté à la Biennale d’architecture de Venise 2021. En plus de sculpter le chocolat, ZHA a découpé son pain d’épice au laser. Clemens Linder, le designer de ZHA, s’interroge auprès de Chroniques : « Qui n’aimerait pas un pont que l’on peut manger ? » Ah, si seulement c’était permis…
De toute évidence, l’ambiance de Gingerbread City est amusante et festive mais il y a ici un message sérieux. Recycler l’environnement bâti en réutilisant les bâtiments permet d’économiser beaucoup de carbone, de préserver le patrimoine et de revitaliser la ville. Des présentations autour de l’exposition donnent des exemples de tels projets à travers le Royaume-Uni. Pourtant, Noël est une période de gaspillage excessif. Répondant à Chroniques, les architectes Haworth Tompkins ont souligné que le Royaume-Uni abattait 50 000 arbres uniquement pour le papier d’emballage des cadeaux, que 710 000 tonnes de pommes de terre cuites n’étaient finalement pas consommées et que les cadeaux non désirés coûtaient quatre milliards de livres sterling (environ 4,8 Md€). Aussi leur projet est-il une «refonte de l’atelier du Père Noël » avec quatre ateliers reliés par un tapis roulant et réaménagés pour gérer les déchets de Noël. Ces petites tartes sur les toits des ateliers seraient-elles des ventilateurs ? Haworth Tompkins rapporte qu’à l’intérieur des ateliers, « les lutins du Père Noël réparent et réinventent les objets des Noëls passés ».
Il y a tellement de réalisations savoureuses parmi les œuvres présentées qu’il est impossible de les citer toutes. Mon gâteau préféré ? Celui issu d’une vision de Dantas Reche, Melike Altinisik et Sofia Daniilidou qui ressemble à un rendu de Midjourney AI et propose d’imaginer le pouvoir de la nature transformant la ville en une forêt avec des espaces accessibles et favorisant le bien-être. Emmenez-moi dans cette forêt, maintenant ! Ou, au moins, laissez-moi manger cette version pâtissière de science-fiction !
Toutes les créations qui ne seront pas récupérées par leurs créateurs seront compostées. Certainement qu’après un mois d’exposition, les œuvres ne sont plus comestibles mais, si j’étais un architecte participant, j’aurais envie de recycler le design et la recette, de refaire ce gâteau complètement fou… et de le manger !
Herbert Wright
Retrouver toutes les Chroniques d’Outre-Manche
*Gingerbread City 2024, jusqu’au 29 décembre 2024 au Gaumont, 192-222 Kings Road, London SW3