
À l’heure de l’exposition universelle d’Osaka, faut-il avoir peur de Skynet ? En 2050, qui aura encore besoin des architectes quand l’IA et les robots les auront renvoyés à leurs études ?
L’IA fait désormais partie de notre vie et ne cesse de s’améliorer. En témoignent notamment les outils de traduction qui savent désormais en même temps que le texte algorithmer les poids et mesures, de pieds carrés en mètres carrés, de lis chinois en kilomètres et de livres en kilos. Le fait est qu’en à peine quelques années, sauf pour les plus originaux – ceux de Rabelais ou de San-Antonio par exemple – une grande partie des traducteurs a dû se forger un nouveau métier. Les architectes, du moins en grande partie, sont-ils voués à suivre le même chemin ?
Il y a moins de dix ans, la télémédecine promettait qu’il y aurait de moins en moins de gens soignés à l’hôpital. Promesse non tenue puisque les hôpitaux sont ici toujours engorgés et leurs personnels dépassés par la pauvreté des moyens mis en œuvre pour maintenir un service public accessible à tous, sans parler de l’état des bâtiments.
Pourtant, toutes les données, dont la carte vitale, sont déjà disponibles sur un smartphone et les férus de technologie s’auto-auscultent à loisir et ceux-là estiment souvent ne plus même avoir besoin d’un médecin tout court puisqu’ils sont persuadés d’en savoir plus que lui ; il n’est qu’à voir le succès de l’automédication en supermarché, nouvelle industrie de nos civilisations hypocondriaques.
Force est cependant de constater que la télémédecine pas plus que les smartphones n’ont résolu le problème des déserts médicaux et de l’hôpital public à bout de souffle tandis que l’espérance de vie patine, voire décline. Aujourd’hui l’IA, du moins ceux qui en usent et en abusent, fait pourtant la même promesse d’efficacité à des coûts défiant toute concurrence.
Promesse qui ne vaut que pour ceux qui l’écoutent ? En effet, si l’on met de côté son astronomique coût exponentiel en énergie, surtout pour rédiger une recette de cuisine ou une ordonnance contre le rhume, non que l’IA ne soit susceptible de résoudre de nouveaux défis sanitaires et techniques avec des solutions sans doute meilleures que les capacités humaines – diagnostics et organisations plus pertinents, opérations robotisées de plus en plus complexes, gestion des flux en sont des exemples – mais elle ne peut pas résoudre des problèmes politiques typiquement humains.
Le vieillissement de la population, avec son corollaire sanitaire et médical, en est un, et comme l’architecture est politique, il concerne l’architecture.
Pour toutes les civilisations occidentales, les prochaines décennies vont à ce titre se révéler compliquées. Une population qui vieillit nécessite plus de soins et de personnel. Il y avait 2,02 actifs par retraité en France en 2004, il n’y en a plus que 1,40 en 2025 mais ces retraités de plus en plus nombreux nécessitent la présence de plus en plus d’actifs. Le coût pour la société est tel que ces travaux – s’occuper de personnes âgées, et autres handicapés et laissés-pour-compte dans des équipements spécialisés – sont difficiles, mal payés, mal reconnus et souvent occupés par des émigrants et des agents peu diplômés : un actif pour dix retraités !
Or, sauf à former la jeunesse conquérante Bac+5 à ces besognes nécessaires, la France gouvernementale s’évertue, avec méchanceté en plus, à tarir le flot de l‘immigration, qui a pourtant fait la richesse du pays. Qui pour torcher le derrière de nos vieux jusqu’en 2050 quand la vague des baby-boomers finira sa course ?
Voyons le Japon et l’Exposition universelle d’Osaka (du 13 avril au 13 octobre 2025), exposition qu’en janvier 2018 Vulcain ex-Jupiter et la France renoncèrent d’ailleurs à accueillir. C’est donc le pays ayant la population la plus âgée de la planète qui invite le monde à se projeter vers l’avenir avec les dernières innovations technologiques, scientifiques et environnementales du moment. Pour autant, voilà un pays qui ne s’est historiquement jamais caché de sa réticence à accueillir les étrangers en nombres, sauf les Américains sur des bases militaires, et encore, et des touristes consommateurs de sushis frais, et encore. Pour pallier le manque de main-d’œuvre et le déclin, le pays a donc depuis longtemps fait le choix de la robotique.
Une aspiration devenue une réalité encore plus réelle avec l’intelligence artificielle. Tout le monde a déjà vu, au moins sur un écran, toute sorte de prototype de robot, les premiers réservés à l’industrie puis de plus en plus mignons et capables au fil du temps de courir un semi-marathon. Au Japon ces objets exercent déjà des fonctions d’accueil, de divertissement, de distribution de médicaments ou de boissons, de doudou, etc. La robotique, devenue inévitable comme s’en aperçoivent les visiteurs de l’exposition,* tend à remplacer des activités auparavant exercées par des êtres humains, voire par les animaux de compagnie. Dans les hôpitaux, les restaurants et bars, les maisons de retraite, le métro, les écoles, les robots non syndiqués sont déjà partout et le Japon a dans ce domaine acquis une avance phénoménale. D’observer le saut technologique en une génération entre les balbutiements d’Internet en 2000 à l’IA en 2025, il y a fort à parier que, comparés à ceux d’aujourd’hui, les robots de 2050 seront pleins d’attention efficace pour les heureux Japonais.
Non que nos sociétés occidentales aient renoncé à développer la robotique mais, de leur côté, elles l’ont fait à d’autres fins, guerrières notamment, non pour sauver et aider les gens mais pour les écrabouiller. Les robots de guerre et de surveillance des populations civiles – le mot drone est plus poétique – ont fait des pas de géants meurtriers partout dans le monde tandis que dans certains de nos EHPAD – quel mot horrible – le personnel est livré à lui-même quand ce ne sont pas les vieux eux-mêmes qui, livrés aux requins de la finance, sont nourris au gramme près de cynisme le plus crasse.
Ce sont là des choix de sociétés…
Les architectes ont toujours su s’approprier les nouvelles technologies, les pyramides, les jardins suspendus de Babylone, Versailles, le pont AlexandreIII à Paris,la Sears Tower à Chicago, la tour Burj al-Arab en Aradie saoudite, etc. sont des condensés d’innovations spectaculaires de leur temps. Franck lloyd Wright fut sans doute enchanté de découvrir dans les années ‘30 le graphos ! Se souvenir encore qu’au début des années 2000, les architectes DPLG travaillaient au rotring ce que nombre d’architectes d’État seraient incapables de faire en 2025.
L’IA et la robotique sont de nouveaux outils avec lesquels il faut déjà faire avec. Pour le meilleur et pour le pire, l’homme ne peut pas désinventer ce qu’il a inventé. En tout état de cause, l’homme imbécile fera avec l’IA des imbécilités puissance 10 quand les hommes bons inventeront des systèmes puissance 10 pour lutter contre l’imbécilité des autres. C’est ainsi que sur les champs de bataille, après les massacres, arrivent tous ceux qui viennent sauver les survivants : les bouchers et les médecins sur le même théâtre d’opération dans la même unité de temps. Paradoxe de l’humanité ? Sans doute, sinon à quoi servirait la Suisse ?
Cela pour dire que, à l’heure de l’exposition universelle d’Osaka, qu’il s’agisse d’hôpitaux, d’écoles, d’universités, de services administratifs ou d’immeubles tertiaires, avant qu’ils ne soient eux-mêmes remplacés par des algorithmes, les architectes se doivent désormais avec l’IA d’envisager concevoir pour les décades à venir des espaces partagés par les HUMAINS et les ROBOTS – je sais, c’est étrange de l’écrire ainsi – qui sans doute ne partagent pas les mêmes besoins. Moquette ou sol souple pour le robot bienveillant à roulettes ? Pour la maintenance, appeler le plombier ? La mise à jour est payante ?
Apprendre à construire pour le vivant, c’est une évolution circa 2025 déjà généreuse, mais dès aujourd’hui apprendre à construire pour le NON-HUMAIN mobile et bavard, voilà qui est une vraie nouveauté et ouvre aux architectes de nouveaux horizons conceptuels !
Si, comme à Osaka, cela peut servir au bien-être de nos anciens…
Christophe Leray
*Japon Le monde de main Le Parisien Week-End, 11 avril 2025