
Le Louvre n’est pas un sanctuaire. C’est un lieu de culture, d’ouverture, de circulation. Il mérite que chaque accès, chaque façade, chaque seuil soit interrogé avec liberté et rigueur.
Le 27 juin 2025, un concours international d’architecture a été lancé pour reconfigurer les accès au musée du Louvre. Le programme, tel qu’annoncé, prévoit la création d’une nouvelle entrée monumentale à l’Est du palais, sous la colonnade de Perrault, non loin de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. Ce choix, s’il devait devenir exclusif, suscite de nombreuses objections, patrimoniales, symboliques, urbaines et pratiques.
Car une évidence s’impose : le Louvre regarde aussi vers l’Ouest. Depuis la destruction du palais des Tuileries par la Troisième République, en 1883, le musée bénéficie d’un dégagement unique sur l’axe historique qui va des Tuileries à l’Arc de Triomphe, en passant par la place de la Concorde et les Champs-Élysées. Ce vide, longtemps perçu comme une blessure, est aujourd’hui une chance. Il offre une transition harmonieuse entre jardin, patrimoine et lumière. Il crée un appel d’air visuel et symbolique. Il invite à penser une autre manière d’entrer dans le Louvre : non par la compression des foules sous la pyramide, ni par une entrée de service latérale, mais par un accueil majestueux et fluide, dans le grand axe républicain.
Or, cette évidence semble frappée d’amnésie. Pourquoi l’option Ouest n’est-elle même pas envisagée dans le cadre du concours ? Pourquoi tant de discrétion autour d’un espace pourtant si propice ? Pourquoi ce refoulement ?
À ces questions, une hypothèse s’impose, embarrassante mais crédible : l’Ouest du Louvre serait aujourd’hui verrouillé par un tabou architectural, celui d’un retour possible – voire fantasmé – du palais des Tuileries.

Depuis plusieurs décennies, des voix s’élèvent pour en réclamer la reconstruction à l’identique. Elles émanent du Comité national pour la reconstruction des Tuileries, créé en 2002, de figures comme l’académicien Maurice Druon (1918-2009) ou Alain Boumier (1937-2009, président de l’Académie du Second Empire) et de cercles traditionalistes, nostalgiques d’un Ancien Régime idéalisé. La monarchie, les fastes impériaux, les beaux ordres de l’architecture classique sont invoqués comme autant d’arguments pour reconstituer le « chef-d’œuvre » de Philibert Delorme. Même le général de Gaulle, dit-on, aurait confié une étude sur le sujet à l’architecte Henry Bernard (auteur de la Maison de la radio).
Mais reconstruire les Tuileries aujourd’hui serait un contresens. Ce serait nier l’histoire, celle d’un palais incendié par la Commune et démoli par la République. Ce serait rejeter les principes mêmes de la conservation patrimoniale moderne, qui préfère préserver les traces plutôt que reconstituer les simulacres. Ce serait enfin réactiver une fracture politique — monarchie contre République — que le paysage parisien, dans sa puissance de suggestion, avait permis de pacifier par le vide.
Faut-il pour autant laisser ce vide devenir un impensé ? Faut-il s’interdire de l’habiter autrement, d’en faire un lieu vivant, d’y accueillir les publics du plus grand musée du monde ? En figeant l’Ouest du Louvre dans une éternelle hypothèse de reconstruction, on sacrifie une possibilité d’aménagement à un passé qui ne reviendra pas. On condamne l’avenir à l’immobilisme, au nom d’une fiction patrimoniale.
Nous ne demandons pas que l’entrée à l’Ouest s’impose. Nous demandons qu’elle soit au moins étudiée, pensée, envisagée dans les termes du présent, et non censurée au nom d’un projet irréalisable. Un concours d’architecture digne de ce nom ne peut exclure, par avance, une option si évidente.
Le Louvre n’est pas un sanctuaire. C’est un lieu de culture, d’ouverture, de circulation. Il mérite que chaque accès, chaque façade, chaque seuil soit interrogé avec liberté et rigueur. Laisser l’Ouest aux chimères d’une reconstruction, c’est tourner le dos à ce que Paris fait de mieux : penser la ville à travers le temps, sans se laisser prendre au piège des nostalgies.
Collectif Louvre (& J.-C.R.)
* Lire l’édito Entrée ouest du Louvre – Un contre-projet impératif
Pour découvrir et signer la pétition POUR UNE ENTRÉE OUEST AU MUSÉE DU LOUVRE