
Dans le cadre de la requalification du site du stade Marcel Saupin, FGP (Ferrier, Gazeau, paillard) proposent «plusieurs séquences possibles, dans lesquelles les images de ce que l’on pense devoir être l’architecture d’un équipement public, d’un immeuble de logements ou de bureaux sont diluées dans un désordre inédit, mais spécifique et cohérent». A découvrir.
«Dans un espace pour des chercheurs, il était intéressant d’avoir une frugalité constructive, le message subliminal étant que l’argent est mis là où c’est important». Jacques Ferrier est sans doute l’un des seuls architectes à pouvoir dire, habituellement et sans rire, des phrases pareilles. Sauf que, pour le coup, Louis Paillard – habituellement lui-même moins austère – en rajoute ; «les bureaux des chercheurs sont gris monacal, ‘à la Brazil’,» dit-il.
Tous deux sont infiniment sérieux au moment où ils, avec Philippe Gazeau (lequel est sérieux et peu expansif de nature), prononcent ces paroles. Pourtant il suffit d’un coup d’œil sur le bâtiment (mais le mot est impropre, nous allons y revenir) pour comprendre que, nonobstant un impeccable professionnalisme, c’est porté par un enthousiasme joyeux, immédiatement perceptible en façades, que FPG(u) a livré la première tranche – l’Institut d’Etudes Avancées (IEA) et la Maison des Sciences de l’Homme (MSH) – de leur première réalisation commune (inaugurée fin février 2009), la requalification du site du stade Marcel Saupin à Nantes.

Un peu d’histoire, en deux chapitres.
Chapitre 1 : En 2003, la Ville de Nantes confie à Nantes Aménagement une étude sur le devenir du stade Marcel Saupin avec trois objectifs : conserver l’activité sportive du stade, valoriser le bâtiment et son insertion urbaine, évaluer les potentialités à accueillir de nouvelles activités, dont de nouveaux locaux pour l’IEAMSH afin de «créer un pôle d’excellence en sciences humaines et sociales». En 2005, le maître d’ouvrage a donc lancé un marché de définition pour préciser la stratégie urbaine de requalification du site, compétition remportée par FPG(u) (les autres équipes suivantes avaient été retenues : Barré – Lambot / Pierre Gautier, Atelier Seraji).
Précision utile : à Nantes, le stade Marcel Saupin est le lieu mythique de l’équipe de foot du FC Nantes, même si les Canaris jouent désormais à La Beaujoire. Stade de (très) vieille génération, il était tourné sur lui-même, le dos à la Loire.
Chapitre 2 : Depuis sa création en 2004, FGP(u) est un laboratoire de recherche regroupant ces trois architectes et leurs agences respectives afin d’explorer collectivement «de nouvelles pratiques et de nouveaux territoires créatifs comme une prise de risque indispensable, un dépassement de [leur] mode de production individuel». Dit autrement, une expérimentation dans «les domaines complexes de l’échelle urbaine, de l’innovation architecturale, des nouveaux modes d’habitat et de la construction durable».
L’intérêt d’un tel collectif, outre bien sûr la conjugaison de compétences intellectuelles et constructives multiples, réside surtout dans le fait que ces trois architectes, ayant déjà une pratique établie, s’intéressent à un sujet non sur ses qualités ‘alimentaires’ (pour faire court) mais sur la difficulté, ici une qualité, de la question de fond posée. Qui plus est, et conséquence logique, la réponse en est intrinsèquement radicale. Pourquoi en effet s’intéresser à un programme complexe si c’est pour y apporter une réponse ‘habituelle’ (là encore pour faire court) ? A ce titre, un marché de définition est pain béni car il permet d’argumenter les choix. Ce qui a peut-être manqué à FGP lors de la multitude de concours perdus depuis 2004.

«Il est intéressant de rappeler ce que l’on nous demandait de faire, au niveau programmatique, de part et d’autre des petits côtés du terrain de foot : implanter des bureaux, un parking aérien, des logements, un Institut d’Etudes Avancées, une Maison des Sciences de l’Homme et des chambres pour pouvoir accueillir les chercheurs qui vont venir du monde entier», soulignent les architectes*. Un programme complexe donc sur un site difficile.
Il est autant intéressant de noter que FGP, du fait de sa structure si particulière, a pu se permettre de proposer une interprétation radicale de la volonté du maître d’ouvrage, soit concentrer une bonne partie de ce programme «dans cette langue très étroite de terrain,» créée avec la démolition de la tribune sud, entre la pelouse du stade et le fleuve et non essentiellement sur les petits côtés comme il leur était demandé.
«On a proposé de fabriquer une sorte d’écran plein Sud, translucide et multicolore, en balcon sur la Loire face au paysage immense (…), l’implantation évidement la plus intéressante à tous points de vue, y compris pour les utilisateurs. C’était un coup de force, et c’est finalement ce qui a convaincu le jury et le maire,» disent-ils. Sans compter que cette option a permis la création – en guise de voie pompier – d’un véritable espace public en bord de Loire – une promenade pavée, liaison entre le Lieu Unique et le quartier Malakoff, ainsi qu’une grande brasserie en rez-de-chaussée. Ce que FGP appelle «joindre l’utile à l’agréable».
Dans cette composition, une tour de 50 m «épouse» le confluent de la Loire et du canal et forme la proue du nouvel ensemble, le parking et l’immeuble de bureau fermant le petit côté Est du stade. Les tribunes Nord du stade, dont l’activité est préservée, sont conservées. A l’Est de la parcelle, une opération de logement sera bientôt lancée tandis qu’à l’Ouest, un talus végétal – comme en possédaient d’ailleurs les vieux stades de l’Ouest (par exemple l’ancien stade Jean Bouin à Angers) – fermera le stade en attendant la construction d’un hôtel.

«L’apparition de la tour dans le projet nous renvoie au travail sur le sky-line : les silhouettes découpées installées autour de la géométrie indéformable du terrain du football. Ce travail très libre de découpage de formes et de hauteurs différentes associe de manière inédite les différents programmes. Cette volonté architecturale d’accumuler, de superposer et de mixer dans tous les sens les programmes et les volumes autour de la pelouse crée un projet hybride, entre approche urbaine et révélation d’une nouvelle architecture. Ce qui peut être vu comme une sorte de ‘super-bâtiment’, un bâtiment îlot assez grand pour accueillir un stade de foot,» écrit FGP.* Voilà pourquoi le mot ‘bâtiment’ est, dans ce contexte, impropre à décrire une telle réalisation.
Histoire d’enfoncer le clou, les architectes précisent que «aucun urbaniste n’aurait pu penser ce bâtiment extrême qui fait plus de 150 mètres de long, alors que son plus petit coté fait 2 mètres d’épaisseur et qu’on est même parvenu à y installer une tour de 50 mètres de haut». En effet…
Cela dit, le travail de découpage était induit par la limite du POS. Sachant qu’ils n’allaient pas concevoir un bâtiment compact, il a donc fallu pour FGP «fabriquer du creux». Lequel se traduit en grandes terrasses et coursives exposées au sud et en une multitude de petites terrasses en façades nord, tous ces accès à l’air libre renforçant encore l’impression de transparence d’un bâti quasi totalement traversant puisque, au-delà de la lumière, il n’y a le plus souvent que quelques mètres entre les circulations en façade nord et une vaste terrasse exposée au grand paysage au sud. La salle de conseil de l’IEA donne ainsi sur un jardin privé tandis que la bibliothèque, les bureaux des chercheurs et les lieux de convivialités, protégés par des brise-soleil, s’ils sont largement ouverts sur la Loire, possèdent cependant des accès à des terrasses des deux côtés. Qu’un bâtiment si étroit soit si peu contraignant et toujours ouvert aux deux directions (la Loire et le stade) est sans doute l’un des aspects les plus étonnants de la conception de l’ouvrage.

Les différents programmes du bâtiment sont identifiables par leur volumétrie : le volume à l’ouest abrite les bureaux de la Maison des Sciences de l’Homme et le volume au centre accueille les bureaux de l’Institut d’Etudes. La partie Est de l’immeuble accueille sur ses trois derniers niveaux, 20 logements pour les chercheurs de l’IEA et leurs familles, et 80 petits logements (type T1) de la résidence tourisme répartis sur 13 niveaux.
«Nous sommes conscients de notre chance ; nous avons des conditions de travail extraordinaires,» se réjouit Martine Mespoulet, directrice adjointe de la MSH qui met en exergue la qualité des espaces communs. Les architectes expliquent avoir dû faire des «choix draconiens» et s’en être tenus pourtant à des modes constructifs «assez low tech». «Derrière la richesse exprimée, il y a un programme assez frugal,» rappelle Jacques Ferrier. Ce qui n’a pas empêché FGP de jouer du contraste entre un bureau monacal, des circulations colorées et, par exemple, un lounge de l’IEA chaleureux, avec une vraie cheminée «pour favoriser la détente et les échanges». Un généreux message finalement pas si subliminal que ça.

Enfin, il reste à imaginer ce que ressentiront les joueurs de foot et leurs supporters. Pour les premiers, des joueurs de CFA (amateurs), jouer sur un tel terrain, qui s’appelle toujours Marcel Saupin, risque d’être une expérience au moins aussi intense que celle que vivront les spectateurs dont la vision, selon les saisons et les horaires, sera toujours renouvelée sans jamais ressembler à quoi que ce soit qu’ils aient jamais connus. Quand aux équipes visiteuses, elles joueront certes à l’extérieur mais, surtout, ailleurs, dans un lieu définit par ses concepteurs, non sans provocation, comme «un nouveau genre de nouveaux monstres urbains généreux».
Une phrase pareille, peut-être seul FGP peut oser la prononcer.
Christophe Leray
*In CityRama FPG(u) de Paul Ardenne. Editeur : Archibooks + Sautereau éditeur ; Format : 23cmx30cm ; 368 pages ; Relié ; Quadri ; bilingue français / anglais ; Prix : 30 euros.

Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 11 mars 2009