Début février 2017, j’étais invité à l’école d’architecture de Paris Val-de-Seine à participer au jury du rendu des projets d’étudiants en 4ème année inscrits au cours intitulé ‘Transformer les contraintes’ proposé par les architectes Paolo Tarabusi et Sébastien Memet. L’objectif de l’exercice était «de confronter les étudiants aux thèmes universels et persistants de l’architecture par le biais de la pratique d’un projet de transformation».
Le projet en question est fourni par un petit pavillon des années 1980, situé dans un emplacement privilégié de Paris, en haut du parc de Belleville (XXe arrondissement), avec vue imprenable sur toute la capitale. L’ancienne Maison de l’air est en situation de quasi-abandon depuis près de quatre ans. De fait, la Ville de Paris a prévu de lancer une consultation sous forme d’appel à idées fin 2017 afin de pouvoir lui donner une nouvelle vie courant 2019.
«Réalisé en béton armé il y a seulement une trentaine d’années, ce bâtiment questionne le caractère éphémère de certaines architectures de notre époque qui ont un cycle de vie très court et fabriquent des ‘ruines instantanées’. Le thème de leur transformation devient un enjeu important et de plus en plus fréquent», souligne Paolo Tarabusi.
L’objet du projet était donc de s’attacher à la transformation de ce pavillon par l’introduction d’un nouveau programme dont le fonctionnement «demandait une réflexion fine à l’égard du caractère complexe du site (histoire, circulations, trames structurelles, réseaux, etc.)» et devait s’inscrire aussi bien sur la partie aérienne du bâtiment existant (placette-belvédère) qu’au niveau du sol, le bâtiment se situant sur un site d’anciennes carrières de gypse à l’interface entre sol naturel et sol artificiel.
Les étudiants, une vingtaine, ont réalisé ensemble les études urbaines et la maquette du site avant de se diviser en sept équipes, chacune devant ensuite proposer son programme et son projet.
Pour donner toute solennité à l’exercice, Paolo Tarabusi et Sébastien Memet avaient donc invité les étudiants à présenter leur travail dans l’amphithéâtre 120 de l’école, face à un jury constitué pour l’occasion comprenant, outre les deux enseignants, les architectes Marta Mendoza et Bernard Ritaly, Sabine Romon, responsable à la Ville de Paris de la Mission Ville intelligente et durable, et moi-même, journaliste.
A l’issue des diverses présentations, il convient de remarquer en premier lieu la qualité technique globale de la production proposée par rapport à l’exercice demandé. Même si Sabine Romon, de la Ville de Paris, s’est amusée des anomalies réglementaires (le projet s’inscrivait dans une Zone Verte et dans le PLU général), l’objectif de la conservation de la structure du bâtiment existant parmi les contraintes du site était atteint. Celui «d’explorer des pistes inattendues», ainsi que l’attendaient les enseignants, l’est moins.
C’est d’ailleurs cette qualité d’exécution, en regard du choix des programmes présentés, qui interpelle. Considérant que les étudiants avaient toute liberté d’imaginer quoi construire à cet endroit, et d’évidence ils ‘savent’ le faire, il est frappant de découvrir des propositions plutôt convenues et dans l’air du temps, c’est-à-dire très sages au fond : mur d’escalade, microbrasserie, maison des arts vivants et les inévitables fermes urbaines, serres et médiathèques. Rien en tout cas pour faire trembler les (néo)bourgeois prenant possession peu à peu de Belleville.
Certes il est difficile d’inventer un programme – tous les concours Réinventer etc. en témoignent abondamment – et ce n’était pas l’enjeu premier de la manœuvre mais, lorsque l’on est en quatrième année d’école d’architecture, un peu de fantaisie et d’audace ne seraient-elles pas de mise ? Certes le travail de l’architecte n’est pas d’établir un programme mais d’y répondre. Il demeure que les occasions de pousser à l’extrême les limites constructives et intellectuelles d’un programme seront bientôt devenues rares pour ces jeunes gens et il est dommage que l’usage des poncifs ‘Réinventer’ soit devenu si prévalent, même parmi de jeunes étudiants en architecture.
Est-ce le fait de travailler en équipes de deux ou trois qui produit immanquablement une forme de consensus résiduel ?
En tout cas, il y a là à mon sens une forme de danger car le manque de radicalité dans l’intention se traduit inévitablement dans le dessin. Par exemple, une équipe ose monter en hauteur mais c’est pour proposer une ferme urbaine parfaitement inadaptée au projet. Une autre propose la création d’une microbrasserie mais sans s’interroger sur les problèmes de logistique.
Ce qui m’est apparu alors est que ces futurs architectes – tous ou presque en ont sans ambiguïté les qualités nécessaires – semblaient tenir pour acquis qu’une ferme urbaine, une serre, une brasserie etc. étaient en soi des programmes innovants et que leur seule évocation permettait l’économie d’une vraie réflexion quant au sens même de ces programmes à cet endroit. Comme si la tour Vivante de l’agence SOA n’avait pas été publiée depuis déjà quinze ans ! La vision urbaine des futurs architectes est-elle déjà celle des élus et des communicants actuels ?
Il y a 15 ans, voire encore aujourd’hui parfois, il était de bon ton de blâmer le manque de culture technique des écoles françaises en comparaison de celle des agences anglo-saxonnes, les premières, pour se défendre des secondes, mettant alors en exergue le ‘flair’ des architectes français.
Aujourd’hui, en quelques années de pratique après leur diplôme, nombre de jeunes architectes savent bien construire. Les architectes de la nouvelle AOM, qui a emporté le concours de la tour Montparnasse à Paris, ne sont pas des vieux de la vieille et il est permis de penser que ces ‘jeunes’ architectes sauront bâtir un projet dans lequel se retrouvent justement peu ou prou tous les programmes proposés par les étudiants de 4ème année de l’atelier mené par Paolo Tarabusi et Sébastien Memet. Nouvelle pensée unique ?
D’une certaine façon, cette présentation ‘technique’ à l’ENSA Val-de-Seine illustre le paradoxe d’un métier qui se transforme de telle façon qu’il ne sera bientôt plus demandé aux architectes de construire, du moins pas à la grande majorité d’entre eux, mais juste de dessiner, au mieux.
En tout cas, les étudiants de ce groupe semblent vouloir et pouvoir construire. Peut-être auront-ils entendu le message que la technicité, même dans le cadre strict d’un exercice lié à la structure, ne fera jamais seule l’architecture, qu’elle n’est que l’un des outils au service de l’intelligence, de la créativité et de la détermination de l’architecte.
«C’est exactement ce pour quoi nous avons organisé ce jury», conclut Paolo Tarabusi. Voilà ces étudiants prévenus pour le PFE.
Christophe Leray