Ascension de la Dame du plateau, une pyramide où le temps semble s’être arrêté. Ici, passé, présent et futur se répondent et, parfois, se confondent. Chronique d’Abidjan.
Nous entamons ce voyage au pied de ce que les Abidjanais appellent la « Dame du Plateau », en référence au quartier où elle est érigée. Avec sa forme pyramidale et sa robe de brise-soleil qui fait également office de garde-corps, la « Dame » se démarque des autres tours de béton et de verre qui l’entourent. Cette robe ne laisse presque rien entrevoir… Seules quelques taches vertes, surgissant au-delà de ses limites, offrent un indice sur ce qui se cache derrière cette figure. Ce « retour à la nature » du bâtiment permet d’imaginer qu’un des dessins de James Wines, l’architecte renommé pour ses illustrations de structures envahies par la verdure, aurait pris vie ici, à Abidjan.
La « Pyramide » est un édifice remarquable à l’échelle continentale mais reste très peu documentée. Les traces de son intérieur sont rares, contribuant au mystère qui entoure la « Dame » et l’aura énigmatique qu’elle dégage.
Pour pénétrer dans la « Pyramide », nous nous faufilons parmi une dizaine de personnes placidement postées sur les marches de l’entrée. Dès le seuil franchi, l’atmosphère change radicalement. La fraîcheur intérieure contraste vivement avec la chaleur étouffante de l’extérieur alourdie par le goudron et les fumées d’échappement. Dedans, le tumulte et la cacophonie du carrefour s’évanouissent presque entièrement, une sensation rare de pénétrer dans un lieu peu fréquenté, comme dans les coulisses d’un spectacle en plein déroulement…
Acte I – le hall central
Les rideaux s’ouvrent, révélant un décor d’inspiration afrofuturiste. Derrière la façade apparaît une impressionnante structure en béton brut : poteaux, poutres primaires et secondaires convergent vers une plateforme suspendue dans les airs. La sous-face de cette plateforme est ornée de lustres suspendus au-dessus du vide. Ce décor évoque étrangement les créatures volantes croisées auparavant.*
Mais ce n’est ni cette structure imposante, ni les lustres aux influences tribales qui forment le clou du spectacle. Au centre du hall, l’escalier menant au premier étage s’impose comme le protagoniste de cette mise en scène. Malgré l’usure et les marques du temps visibles à sa surface, presque intact, il conserve une certaine majesté. Cet escalier « afrofuturiste » par son esthétique unique est une véritable invitation au voyage. En le gravissant, le détachement progressif de l’extérieur devient inévitable… ou presque.
Acte II – le face-à-face
À l’étage, l’espace s’étire en longueur et le cadrage continu de l’extérieur, offert par la robe de la « Pyramide », attire naturellement le regard vers le dehors… et là, le face-à-face. Les milliers de chiroptères, habituellement suspendus bien au-dessus, se trouvent désormais à hauteur d’yeux, tête en bas, accrochés aux arbres voisins. Nos regards restent fixés sur ces centaines de silhouettes noires… On les voit frémir, on les entend piailler, et de se demander si certaines d’entre elles ne se sont pas aventurées à l’intérieur de la « Pyramide ».
Acte III – là-haut
L’ascension de la Dame du Plateau culmine lorsque la vue sur le Plateau se dégage… Et de découvrir, ou redécouvrir, la géographie si singulière de ce lieu… un second retour à la nature, cette fois-ci en pleine conscience. Là-haut, le panorama offre une perspective inédite sur le territoire abidjanais, un instant de recul, à l’abri des brouhahas d’une telle métropole. La ville, son horizon, ses rives lagunaires, les tours dessinent le ciel d’Abidjan… un ciel qui, au crépuscule, se remplit de milliers de taches noires. Un spectacle qui prend tout son sens depuis ce point de vue privilégié.
En redescendant les marches de la Dame du Plateau, la symbiose unique entre la nature, l’architecture et le temps laisse pensif. Cette « Pyramide », témoin d’une époque visionnaire, incarne les rêves d’un Abidjan futuriste et les réalités d’une métropole en mutation. Mais, au-delà de ses murs, c’est tout le Plateau, centre administratif d’Abidjan, qui appelle à une analyse plus vaste.
Quelles histoires cachent ses bâtiments emblématiques ? Comment l’évolution de ses structures reflète-t-elle celle de la ville et de ses habitants ? Quel avenir pour la « Pyramide » et plus largement pour Abidjan ?
Affaire à suivre !
Thierry Gedeon
Conteur d’architecture
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